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études et archives

Registre des Archives départementales de la Corrèze - Références

Sénéchaussée ducale de Ventadour

La sénéchaussée ducale de Ventadour fut créée en 1578 après l'érection du comté en duché-pairie, par démembrement de celle de Tulle. D'abord établi à Égletons, le siège de la juridiction fut définitivement fixé à Ussel en 1599. Une transaction de 1601 a permis de délimiter les ressorts et compétences respectifs des officiers de la sénéchaussée de Tulle et de celle du duché-pairie de Ventadour.

. plumitif des audiences, 1700-1702, 1708-1712, 1721-1725, 1736-1789, B 414-479
. audiences, sentences préparatoires, défauts, etc., 1715-1717, 1776, B 2047-2048
. transcriptions des jugements, 1784-1789, B 480-481
. présentations au greffe, 1735-1747, B 482-484
. présentations et défauts, 1759-1789, B 485-493, 2053
. sentences, appointements et sentences, 1675-1789, B 494-567, 500 bis, 2054-2055
. sentences sur procès, 1785, 1787, B 2050-2051
. procès-verbaux, enquêtes, significations, etc., 1676-1789, B 568-636

. procès-verbaux, 1707-1789, B 2056-2060
. instructions criminelles, 1697-1789, B 637-687
. informations criminelles, 1709-1777, 1780-1789, B 2061-2063
. distribution des procès, 1743-1744, B 2052
. procédures, 1766-1785, B 2064-2067
. procédures concernant Meymac, 1785-1788, B 2533
. exploits de J.-Bl. Perpezat, huissier, 1744-1770, B 2190

Sources complémentaires :
2 F 46        cour de la sénéchaussée ducale de Ventadour, XVIe s.-1782.
6 F 1        factum du procès entre Pierre de Fénis, lieutenant général en la sénéchaussée de Tulle, et les officiers du siège ducal de Ventadour.
6 F 21        transaction entre les officiers des sièges de Tulle et de Ventadour, 1601.
6 F 135    juridiction de Ventadour, 1680 ; liste des papiers de la sénéchaussée, 1773.
6 F 179    sénéchaussée et cour ducale de Ventadour à Uss
el, v. 1657.

 

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Titre : Bulletin de la Société scientifique historique et archéologique de la Corrèze

Auteur : Société scientifique, historique et archéologique de la Corrèze. Auteur du texte

Éditeur : (Brive)

Date d'édition : 1942

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Langue : Français

Format : Nombre total de vues : 33810

Description : 1942

Description : 1942 (T64).

Description : Collection numérique : Fonds régional : Limousin

Droits : domaine public

Identifiant : ark:/12148/bpt6k6548559b

Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2008-89252

Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb344265167

Provenance : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 23/09/2013

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UNE JUSTICE DUCALE

La Sénéchaussée d'Ussel (1599-1789)

Jean Faucher

« Ussel était le siège de la sénéchaussée du duché de Ventadour. La juridiction s'étendait sur (quatre) villes et près de cinq cents fiefs, la plupart très considérables, abbayes, prieurés marquisats et baronnies, entre autres celui de Saint-Chamans, apanage de la maison d'Hautefort et des Cars. »

(DELMAS, Histoire d'Uael, p. 3.).

Etablissement de la Sénéchaussée à Ussel Au milieu du xn" siècle la justice de Ventadour était encore ambulatoire : un lieutenant du comte allait de ville en ville, à travers le fief, tenir périodiquement de solennelles assises, où il s'entourait d'un conseil formé de notables du lieu. L'érection de la seigneurie comtale en duché, au mois de février 1578, entraîna un changement profond. Henri III, voulant, disait-il, rendre le jeune duché « esgal en authorité aux aultres du royaulme », « permit », dans ses lettres

N.-B. — Ces pages d'histoire locale, écrites à la demande des « Pelauds d'Ussel », à Paris, devaient leur être lues un soir de l'hiver 1939-1940.

Le fonds de la Sénéchaussée de Ventadour, dans lequel a été puisée la partie essentielle et inédite de cette étude, est immatriculé aux archives de la Corrèze sous les numéros 414 à 493 de la série B et sous les numéros 501 à 687 de la même série.

Mes remerciements cordiaux vont à mon excellent ami, M. Régis Rohmer, archiviste du département, pour m'avoir permis, avec toute son obligeance et sa bonne grâce, de consulter librement les documents qu'il détient.


patentes, de « créer et [d'] ériger perpétuellement un estat et office de seneschal, qui sera nommé seneschal de Ventadour, un lieutenant-général et aultres officiers nécessaires » ( 1). Cette décision, qui accordait une compagnie de magistrats, instaurait en même temps une justice permanente et imposait au nouveau duc, implicitement, l'obligation de la rendre sédentaire, de l'établir à demeure, en un lieu déterminé.

Quelle serait la résidence? Le choix présentait une importance capitale à cause des avantages matériels et moraux que le bénéficiaire en retirerait. Excluant Donzenac et les faubourgs de Tulle, le Parlement de Bordeaux prescrivait de placer le siège « en une ville du duché » (2). Seraitce Egletons, Meymac, Neuvic ou Ussel Voisine du château de Ventadour ?, Egletons fut désignée d'abord (2 bis); mais, au bout de vingt ans d'efforts et de luttes, Ussel obtint une préférence définitive, et le duc décidait le transfèrement du siège dans la cité usselloise, indiquée entre toutes par la situation géographique, le nombre d'habitants, le prestige d'un passé valeureux. C'est à la présence de cet organisme, à son maintien dans la localité, qu'Ussel, principale ville du pays montagneux, dut, deux siècles plus tard, d'être élevée au rang de sous-préfecture et de recevoir un tribunal de première instance, continuateur de la sénéchaussée.

L'engagement de fixer le siège à Ussel fut enregistré par notaire, dans un acte du 15 novembre 1599, signé « anvyron l'heure de vespres, au logis de Pierre Soulhac, marchant de nostre ville ». Anne de Lévy, 2e duc de Ventadour et pair

(1) Cité par HUOT : « Les archives municipales de la ville d'Ussel », p. 24 (1 vol., Ussel, imp. B. Faure, 1856).

(2) Arrêt du 4 décembre 1578 entérinant les lettres-patentes de février (Huot, id., p. 102). Donzenac, acquis par Gilbert de Lévis en 1572, appartenait « pour les deux tiers » aux Ventadour « et pour l'autre tiers au curé dudit Donzenac » (Arch. Corrèze).

(2 bis) Installation de la sénéchaussée à Egletons : 15 janvier 1579.

Tulle serait devenue probablement le siège de la juridiction si le Parlement de Bordeaux n'y avait mis obstacle (Biill. Soc. Lettres Cor., t. VIII, pp. 412-413, en note).


de France (3), « conseiller du roy en ses conseils privés et d'Estat, chevallier de ses ordres, cappitaine de cent lances de ses ordonnances, lieutenant-général en Languedoc et sénéchal de Limousin », baron d'Herment, de Donzenac, d'Annonay, comte de la Voulte (4), promit solennellement « d'establir le siège ducal en ladicte ville, de lui faire avoir sa séance en icelle » et, autant pour ses successeurs que pour lui, « de rendre le siège perpétuel » (5). Loyalement devait être tenue la promesse. On ignore ,à quel moment débutèrent les audiences : il semble que ce ne fut pas aussitôt, que l'installation des services, la mise en marche des rouages ont été lentes et longues, si l'on en juge par l'état des frais d'aménagement qui porte la date du 3 novembre 1612, c'est-à-dire de 13 ans après le contrat de 1599 (6).

1

Le Personnel. — Sénéchaux. Lieutenants-généraux; Bonnet, Fontmar- tin, Diousidon, Duptantadis, Delmas. Lieutenants particuliers et conseillers: Bonnet, Demichel. Greffiers. Avocats et procureurs principaux: Chastagner, Montlouis. — Incidents entre magistrats. L'embûche du 30 septembre 1753. — Procureurs et avocats. Entrée en fonctions. Serment annuel. Meschin. Chabannes. — Huissiers. — L'interdit de 1784.

Cette court de la duché-paierie de Ventadour comprenait cinq magistrats : au siège, un président et deux assesseurs; au parquet, l'avocat et le procureur ducaux. Le président était le sénéchal de Ventadour. François d'Hautefort, baron

(3) Les Ventadour-Lévy étaient pairs de France depuis 1589.

(4) Voir l'appendice sur les Ventadours.

(5) Bull de la Soc. Arch. et Hist. de la Corrèze, tome XXIII, pp. 451 et suiv. - Et Huot, id., p. 29.

(6) Pièce reproduite par Huot, id., -pp. 21 et 22.

Pour juger les différends fiscaux, Ussel posséda jusqu'en 1686 une élection particulière composée de 64 paroisses. Elle fut réunie à celle de Tulle (DELMAS, « Histoire de la ville d'Ussel », p. 2). Les appels étaient portés devant la Cour des Aides de Clermont.


de Saint-Chamans, premier sénéchal, eut pour successeur Pierre de Lentillac, vicomte de Sédières (1602, 1613), que remplaça Charles de Lentillac, vicomte de Sédières et baron de Brignat (1638). Vinrent ensuite (7) : le marquis Anne de Soudeilles, « seigneur de la Gane, Gouteyrie, Roussille et Roussillon » (1659, 1680.) (8); le marquis Louis-Marie de Soudeilles, fils d'Anne; Louis-Charles de Combarel du Gibanel, chevalier, baron de Sartiges, la Rebeyrotte, le Boy (1747) (9); et, en dernier lieu, le comte François de Combarel du Gibanel (1783) (10), fils de LouisCharles. Grands seigneurs, pourvus d'emplois, ces officiers — les plus hauts du fief ducal — ne voulurent point s'astreindre à présider et à diriger les débats. L'eussent-ils pu, sans avoir fait auparavant quelques études juridiques (11)?

On les vit rarement exercer leurs fonctions, dans lesquelles ils furent suppléés par les lieutenants-généraux.

Durant les 190 ans de la sénéchaussée usselloise, ceux-ci ont été, suivant l'ordre chronologique (12) : Nicolas Dupuy, docteur ès droicts, mentionné l'an 1600 (13); Antoine de

(7) DELMAS : « Histoire de la ville d'Ussel », 2e éd., 1810, pp. 71-73 (1 vol., imp. Veysset, à Clermont-Ferrand, rue de la Treille).

(8) Archives de la Corrèze, B. 49. — Son fils L:Hlis-l\farie (le suivant) : « Seigneur du Lieuteret, de la Ganne, du Bazaneix. » (Bull.

Soc. Hist. Cor., VIII, 391.)

(9) Arch. Cor., B. 428.

(10) Arch. Cor. B. 467.

(11) « Attestation des officiers du siège portant que la ville d'Ussel est régie par le droit écrit (1772). » (Arch. Cor., B. 619.) Le duché de Ventadour était pays de droit écrit.

(12) DELMAS, id., pp. 74 et 75. En sa première organisation, la justice ducale, siégeant « au lieu de Gloutons » (Egletons) était rendue par un sieur Carvillier, venu du présidial d'Aurillac (arrêt d'avril 1583, cité par Laveix : « La Sénéchaussée de Ventadour », pp. 12 et 13).

(13) Nicolas Dupuy « était de la ville de Meymac, et de la même famille que les seigneurs de Mirambel ». (DELMAS, id., p. 74.) C'est en 1629 que le duc de Ventadour céda Mirambel, par échange, à Jean Dupuy, de Meymac, et à Nicolas Dupuy, écuyer, son fils (CHAMPEVAL : Le Bas-Limousin seig. et rel., p. 342). A Mirambel, baronnie du xv" siècle (paroisse de Saint-Rémy), les Dupuy se maintinrent jusqu'à leur extinction dans les Monamy (vers 1740-1745).

1700 : Antoinette Dup. de Mir., épouse de Jean de Cardaillac. —


Fonmartin, seigneur de la Mauriange, trouvé titulaire en 1603; Jacques de Fonmartin, fils d'Antoine, démissionnaire en 1628 (7 décembre) (14); Pierre du Plantadis, sieur de Charboudèche, investi en 1629 (23 janvier); son fils Etienne, qui exerça de 1654 (25 avril) à 1680 (23 octobre); JeanAntoine de Bonnet, seigneur de La Chabanne, nommé en 1681, mort en 1719 (15); Antoine de Bonnet, fils de celui-ci, lieutenant-général de 1719 à 1740 (30 avril); Pierre-Léonard Diousidon de Charlusset, reçu en 1740, décédé l'année suivante (31 octobre); Antoine-Alexis Milange, en exercice de 1741 (16) à 1757; Pierre du Plantadis, de 1757 à 1772 (1er octobre); enfin, Jean-Baptiste Delmas, seigneur de la Rebière, installé le 1CT décembre 1772, à son poste en 1789.

Si l'on excepte Diousidon qui ne fit que passer, la durée moyenne des fonctions fut de 19 ans. La charge était vénale : elle a été payée 18.000 livres « vers le milieu du XVII" siècle » (17). Avant d'exercer, le titulaire, qui devait

1781, Jeanne (de la branche de Margnac et du Madiolet), sœur SaintLouis, religieuse ursuline à Ussel (Arch. Cor., B. 580, 559, et rég. par.

d'Ussel).

Une seconde branche issue du lieutenant général eut pour auteur Pierre Dupuy, Sr de Saint-Pardoux, marié à Catherine de Mary. Leur fils aîné, Baptiste-Antoine, docteur en théologie, fut curé de Meymac (1683). César-Rigal, leur autre fils, d'abord curé de Peyrelevade, devint archiprêtre de Saint-Exupéry, où il fit bâtir le presbytère (Bull. Soc.

Hist. Cor., t. VIII, p. 232). Il était connu des gens de lettres par son oraison funèbre de Louis de Lascaris d'Urfé, évoque de Limoges (DELMAS, id., p. 80).

(14) Il « se démit en faveur de Pierre du Plantadis ». (DELMAS, id., p. 74.)

(15) Son acte de sépulture, et donc la date de son décès, ne se trouve pas dans les registres d'Ussel.

(16) Arch. Cor., B. 423. Milange venait de Bort, où il était juge-châtelain; et l'intendant de la province limousine le comptait au nombre de ses subdélégués. Anne Chassagnac, sa femme, lui donna un fils, Jean-Joseph, qui, le 9 août 1752, eut pour parrain Joseph Milange, bachelier de Sorbonne et supérieur du séminaire d'Avignon (Reg. par.

d'Ussel). Ce lieutenant-général ne fut pas inhumé à Ussel.

1564 : A. Milanges, greffier de Bort (Bull. Soc. Lettres Cor., VII, 468).

(17) Selon HUOT, id., p. 103. C'est en 1604, on le sait, que fut institué la Paulctte.


être docteur ou licencié ès lois, conformément à l'ordonnance royale de 1498, et avoir 25 ans accomplis, prêtait serment devant la Cour du Parlement de Bordeaux. Six sur onze décédèrent en exercice; un cessa volontairement; le dernier se trouva destitué par la Révolution; pour les trois autres, l'on ne sait rien de précis.

Parmi ces lieutenants-généraux civils et criminels, les Bonnet méritent une mention spéciale. On les trouve notaires au XVIe siècle. Antoine est consul en 1599 et signe au contrat d'établissement du siège; François, curé d'Ussel en 1615; Gérald, consul en 1631. Go-seigneurs de Charlus (1622), ils s'attachent aux Ventadours qui font juge de la Garde (1660) un autre Antoine, fils de Gérald, procureur à la sénéchaussée (1625), marié à Marguerite Jaloustre, et, en 1681, leur cèdent le fief de La Chabanne avec pleine justice. Un fils de cet Antoine, Jean de Bonnet, advocat en parlement, époux de Marie Delmas de Grammont, devient lieutenant particulier du sénéchal (1660), juge de BelleChassaigne (1660), puis, et en même temps (1670), intendant de la maison de Ventadour (18). Autant qu'on peut s'en rendre compte par les actes de l'état-civil, trop sommairement rédigés à cette époque, il a trois sœurs : Marie, femme d'Annet de Monloys, avocat; Halis, de Jean de Fon-

(18) Contrairement à l'opinion de Delmas qui en fait le successeur d'Etienne du Plantadis et « le croit pourvu en 1680 » (p. 57), Jean de Bonnet n'a pas été lieutenant-général. Mais il fut lieutenant particulier. « 25 octobre 1680 : Enterrement de M. Etienne Duplantadis, lieutenant-général d'Ussel. » « 22 décembre 1681 : M1' Me Anthoine de Bonnet, Sr de la Chabanne, lieutenant-général au sénéchal de la présente ville. » « 11 novembre 1687 : M1' Me Anthoine de Bonnet, seigneur de la Chabanne et Chasseil, lieutenant-général de cette ville. »

« 24 mars 1693 : Anthoine de Bonnet, seigneur de la Chabanne et lieutenant général. » — « 13 janvier 1681 : Mr Me Jean de Bonnet, lieutenant particulier civil et criminel en lad. sénéchaussée. » « 20 avril 1681 : Sr Me Jean de Bonnet, intendant de Monseigneur le duc de Ventadour. » « 20 mars 1688 : Monsieur Me Jean de Bonnet, intendant de la maison de Ventadour ». (Actes paroissiaux d'Ussel.) La qualité de lieutenant-général attribué à Jean de Bonnet par le rédacteur de l'acte mortuaire de sa veuve, un quart de siècle après son décès, ne peut constituer une preuve.


martin, seigneur de Lespinasse; et Anne, d'Elie de Pomerie, seigneur de la Vaysse (Neuvic). Sa tante Gabrielle a fait mariage avec Pierre de Monloys, sieur du Masviel. Une autre tante, Catherine, est ursuline à Ussel sous le nom de sœur Aymée de Jésus. Sa fille Marie-Anne — dont le parrain fut Anne de Soudeilles, sénéchal, et la marraine Marie de La Guiche, duchesse douairière de Ventadour (1662) — épouse (1684) M. de Fonmartin, seigneur de La Mauriange, et une autre fille, Marie (1686), Joseph Chazal, sieur de Maussac (Jean)-Antoine, aîné de ses fils, cumule avec la lieutenancegénérale (1681-1719) la subdélégalion en chef de l'Intendance d'Auvergne et la mairie d'Ussel. Conseiller du roy, écuyer, premier maire perpétuel de notre ville (Jean)Antoine reçoit l'investiture le 7 septembre 1693. Il s'est allié à Marie-Virginie de La Vergne, et laisse une descendance : Antoine, le dernier lieutenant-général (1719-1740), époux de Marguerite du Couderc (1716), également maire d'Ussel et subdélégué de l'Intendance, mort prématurément vers la cinquantaine; Marie, devenue la femme de Guillaume Espinet, avocat du roi au présidial de Tulle.

Un autre Antoine enfin, le fils du précédent, né à Ussel en 1717, peut-être un peu trop jeune au décès de son père, abandonne les charges officielles assumées par les siens depuis trois générations. Cependant, il gère la mairie de 1749 à 1763 avec le concours d'un adjoint (19). Avocat en Par-

(19) Pierre de Bonnet de la Chabanne en 1751; Pierre Bonnot de Charlus en 1753. On relève aussi : 1741, « M. Dufour, secrétaire du Roy et lieutenant du Maire d'Ussel ». Précédemment : « 15 septembre 1707 : Mr Guilhaume Dufour, conseiller et secrétaire du Roy en la chancellerie de Tulle et lieutenant du Maire de la présente ville » d'Ussel. (Reg. par. d'Ussel.) — « Le titre de Lieutenant du Maire correspondait en réalité à un office payé au fisc et accordé par le roi contre argent comptant, office créé par un édit de 1702. » Cf. Louis DE NUSSAC, Un lieutenant de Maire à Brive, Bul. Soc. hist. Cor., t. XL, pp. 436 et suiv.

Procureurs du roi en l'Hôtel de Ville : 1752-1758, Antoine Conchon de la Mazière (Arch. Cor., B. 601, B. 437); 1773, Jean-Baptiste Conchon (époux de Marie Chnuveau de Rochefort); 1783, « Jean Conchon, seigneur de la Mazière, conseiller et procureur du Roy en l'Hôtel de Ville et juge de police de cette ville » (époux de Françoise Pradinas).


lement de Paris, chevalier, seigneur de La Chabanne, des Salles, de Pontic, de l'Ebraly, du Bech « et autres places » (20), « l'un des deux cents chevau-légers de la garde du Roi » (1741) (21), il épouse (1739) Rose-Angélique de Vaurillon de l'Estang, fille de Gabriel de Vaurillon, ancien président de l'Election de Joinville, et d'Antoinette-Rose de

USSEL. — Eglise paroissiale.

A droite, Maison Montloy, dite de Mareille (Cliché du Syndicat d'Initiative d'Uiael).

Brienne, puis (1752) convole avec Gabrielle Fumât, très jeune personne encore pensionnaire au couvent des Ursulines de Montferrand (22). Les Bonnet possèdent à l'inté-

(Reg. par.) A quelques mètres de l'église, en direction de la tour de Soubise, la demeure des Conchon, bâtie en 1647, serrée entre d'autres, présente deux étages aux fenêtres ouvragées, un rez-de-chaussée en arcade et, à gauche, une tour avec entrée en ogive.

(20) Arch. Cor., B. 587 et registres de catholicité d'Ussel. - La Chabanne : par. de Saint-Fréjoux. Les Salles, Pontic : par. d'Ussel.

L'Ebraly : par. de Saint-Dezéry. Le Bech : par. de Saint-Bonnet-IePort-Dieu (près Bort). 1782 : seigneur du Bazaneix (Saint-Fréjoux).

(CHAMPEVAL : Bas-Limousin, p. 265.)

(21) Arch. Cor., B. 649.

(22) Reg. par, d'Usuel,


rieur d'Ussel cette grande maison à trois étages, en pierres de taille, sans caractère architectural sauf quelques moulures au-dessus de l'entrée, qui, sur la place d'Armes, fait l'angle de deux rues, en face de l'immeuble ayant appartenu aux Cosnac : c'est là qu'Antoine habite, à moins qu'il ne séjourne en son manoir et sur ses terres de La Chabanne.

Son frère Charles est prêtre et docteur en théologie (1782); un autre frère, François, mari d'Antoinette Chrestien, revêt l'uniforme d'officier au régiment de Nicolaï-Dragons; et leur sœur, Anne, s'allie à Charles-Annet de Roziers, chevalier, seigneur de Moncelet (1753). La même, ou une seconde sœur de pareil prénom, contracte mariage avec M. Lespinasse de Maffrand (?), dont elle reste veuve (1782). — Lorsqu'éclate 1789, les esprits, surexcités, ne ménagent point Antoine de Bonnet qui, à vrai dire, a plusieurs fois cherché chicane à ses inférieurs (23). Une plainte remise à la sénéchaussée par une femme et une fille qu'il a publiquement traitées de « carognes » et de « salopes », le déclare « connu par son opulence et par la haine qu'il a vouée à presque tous les citoyens de la ville » (24). Cela finit mal. Certaine nuit de messidor an I, des gens « à visage sinistre armés de piques » enfoncent les portes de La Chabanne, pillent le château, saisissent « le comte » qui était dans son lit, et, l'ayant garotté, transportent en prison, sur une charrette, ce vieillard maintenant « dans l'enfance » : traduit devant le tribunal révolutionnaire et condamné à mort le 15 germinal, il est guillotiné à Tulle, à l'âge respectable de 76 ans (25).

Quelques mots sur les Chassain de Fonmartin, les Diou-

(23) Plainte de Messire Antoine de Bonnet de la Chabanne contre ses locataires de l'auberge du Pont-Barrat (1774). (Arch. Cor., B. 674.) Plainte pour fait de chasse portée par Messire Antoine de Bonnet contre Jean Monteil, garde des bois de l'abbaye de Bonnaigue (1774).

(Arch. Cor., B. 549.) Poursuites de Messire Antoine de Bonnet de la Chabanne contre Antoine Rebeyrix et Jean Mignon, tenanciers du Friaudcix (1780). (Arch. Cor., B. 465.)

(24) Arch. Cor., B. 687.

(25) Raymond LACOSTE; : « Le dernier d'une race éteinte : l'abbé


sidon et les Duplantadis. Les Chassain étaient, voilà quatre siècles, une famille notariale d'Egletons. Guillaume devint conseiller royal en l'élection du Bas-Limousin et, l'an 1545, hominagea Fonmartin, près de Darnets, aux Ventadours.

Martial, son fils, élu du même siège, en charge au moment où le vicomte de Turenne s'emparait de Tulle (1585), représenta le pays aux Etats généraux de 1588. Le mariage de Françoise, fille de Martial, avec Pierre Geouffre porta le fief de Fonmartin dans la maison de Chabrignac, qui le transmit plus tard à celle des Lavaur de Sainte-Fortunade.

Venus à Ussel au commencement du XVIIe siècle en la personne du frère de Françoise, Antoine, les Chassain de Fonmartin, écuyers, furent, dans les alentours, seigneurs de La Mauriange, de Lespinasse et de Charlusset : — de La Mauriange dont se titrait (1603) cet Antoine, premier lieutenant général, et qu'une branche ayant pour auteur son fils Jacques, second lieutenant-général, détenait encore en 1836, quand mourut la dernière des Fonmartin, Jeanne, laissant l'héritage aux Demasson de Saint-Félix, ses enfants; — de Lespinasse, leur domaine principal, avec château à tour quadrangulaire et portail crénelé, que Jean, autre fils d'Antoine, posséda dès 1627, mais qui, durant les XViIIe et XIXe,appartint aux Delpeyrou de Bar (1754) en suite de l'union de Marguerite avec Jean Delpeyrou, puis, par l'effet d'alliances successives, aux de Meynard, aux Fontanges, aux de Selve et aux Flaghac; — de Charlusset, dont Jean-Guillaume, frère de Marguerite, officier de grenadiers royaux, chevalier de Saint-Louis, se disait seigneur en 1763. Un frère de Martial (1588) était aumônier du roi et chanoine d'Agen. Geneviève avait épousé Charles de Lafageardie de La Praderie (environ 1600); Jacques, lieutenant-général, Sibylle de la Baylie (vers 1620); une autre Geneviève, Antoine de Gombarel du Gibanel (1654). Des mariages ussel-

lJcmichel », pp. 39 à 43. — Victor FOHOT : « Les Emigréss corréziens », p. 154. — CHAMPEVAL : lias-Lim., p. 265.

« .Antoine Bonnet, dit lu Chabanne, ev-devant noble, condamné à mort. » (26 fructidor an II.) (Arch. Cor., Q. 89.)


lois unirent aux Fonmartin les Pascal, de Bonnet, Delmas, Laval, Demichel, Conchon; d'autres, les Dartois, Laplène, Marche, Perry. L'aîné des enfants de Jean-Guillaume et

USSEL. — Vieille rue.

Sur la droite au premier plan, Maison Esparvier; au second plan, après le croisement de rues, Maison Chassain de Fonmartin.

A l'extrémité, le clocher de l'Eglise.

(Cliché de la Corrèze Républicaine, à Brive).

d'Anne Moncorrier, Jean-Baptiste, marié à Françoise de Mary, laissa deux filles que mes aïeuls, leurs parents, connurent et fréquentèrent : Emilie (+ 1871), femme de l'avocat Redon, maire de notre ville, et Louise (+ 1858) épouse


d'Antoine Diousidon (26). C'est avec Emilie que les Fonmartin s'éteignirent à Ussel, et ce sont les descendants de Louise qui, sous d'autres noms, conservèrent Charlusset.

Bourgeois remontant au xve siècle, les Diousidon se mêlèrent à la vie judiciaire du fief de Ventadour. On relève aux XVIIe et XVIIIc : Guillaume, consul (1628, 1641); Jean, procureur au siège ducal (1643); un autre Jean, advocat en la Cour et juge du prieuré de Saint-Angel, marié à Louise Combes (1668); Jean, notaire (1669); Pierre, avocat (1700); Jean-Baptiste, praticien (1715); Gabriel, notaire et procureur, greffier de Bellechassagne, marié à Elisabeth Besnard (1729); Jean-Baptiste, huissier, époux de Marie Chabanne (1738, 1748); François, notaire et juge ou lieutenant de neuf juridictions, mari de Jacquette Sautarel (1769); Jean, juge de la baronnie d'Anglards, de Margerides, Fleurac et SaintJulien, lieutenant de Beyssac, procureur fiscal de Mirambel (1785); Jean, avocat (1789). On trouve encore, en 1721, Louise, fille dévote de Saint-François; en 1737, Jeanne Saint-Supéry, veuve d'un Diousidon; en 1740, Joseph, pro-

(26) Reg. par.; Arch. Cor., B. 526, 573; POULBRIÈRE : Dict. des par., I, 433; II, 82; CHAMPEVAL, Bas-Lim., 292, 376, 270, 849; Bull. Soc. Hist.

Cor., XII, 304; René FAGE : « La prise de Tulle et son occupation, 1585-1586 », pp. 79 à 80 et 171 à 175.

La Mauriange, par de Veyrières (Antoine, 1623-1663, mari de Jeanne Pascal; Antoine, époux d'Anne de Bonnet, 1684-1729; Jean-François, 1752; Louis, 1770-1823). Lespinasse, par. de Latourette (Jean, 1627, marié à Halis de Bonnet; Jean, époux de Gabrielle (de) Laval, 1666; Jean (1733-1754). Charlusset, par. d'Ussel, domaine suburbain au. nord de la ville.

Les Fonmartin habitaient une maison de la rue Esparvier dont le jardin s'étendait jusqu'aux fortifications. Par côté, la maison bordait une impasse (aujourd'hui commencement de la rue Neuve-du-Palais), impasse butant contre les jardins qui, de la porte du Thuel à la porte Duchier, de la porte Duchier à la porte Bourbounnou, de la porte Séclide à la porte du Thuel, séparaient alors les habitations des remparts. Sur son emplacement et dans son jardin, des immeubles neufs ont été construits. La demeure voisine appartint aussi aux Fonmartin, avant d'être à Cécilie de Lachaze, née Badour, mère de Gaston. Ces vieilles bâtisses, dépourvues de caractère artistique, empiétaient sur la rue Esparvier dont elles contribuaient au pittoresque en la rendant tortueuse.


vincial des Jésuites en Guyenne; en 1746, Jeanne, fille de feu Antoine, en son vivant notaire et procureur; en 1751, Thérèse, fille dudit Gabriel (27). Les Diousidon étaient propriétaires de Charlusset avant les Fonmartin de Lespinasse.

Pierre-Léonard ajoutait à son nom celui de cette terre.

Juge de Saint-Angel et subdélégué de l'Intendance provinciale, Pierre-Léonard coulait sa vie dans le fauteuil de second lieutenant du siège, lorsque, inopinément, il occupa la première place rendue libre par la brusque mort d'Antoine de Bonnet. Son frère Joseph, « habile dans les négociations », lui procura cette charge, rapporte Delmas (28), « et cela sans finances », à cause qu'il était d'un grand âge et n'avait point d'enfant. Sa nouvelle carrière ne pouvait être longue : elle dura seulement quelques mois.

Un Duplantadis, Antoine, lieutenant-général de la HauteMarche, fut député du Tiers aux Etats de Blois (1588). Trois autres ont été lieutenants-généraux du duché de Ventadour : le père, le fils et l'arrière-petit-fils. Le premier des trois, Pierre (1629-1654) tenait la terre de Charboudèche, dont il se titrait, de Martin Duplantadis, élu en l'élection de la Marche, son père, qui l'avait acquise en 1628 dans la paroisse de La-Mazière(-Haute). Etienne, deuxième lieutenant (1654-1680), eut Gabrielle Esparvier pour épouse et laissa des enfants en bas âge. Un de ceux-ci, Pierre, devint avocat (1692), consul (1696), « conseiller du Roy et assesseur en la maison de ville d'Ussel » (1697). Son mariage avec Louise Andrieu du Teil produisit au moins sept enfants, dont encore un Pierre, lequel, né le 19 novembre 1701, baptisé le 20, devait, à cinquante-six ans, être pourvu de la lieutenance générale (29). Après des études « de droit canonique, civil et français » (30), ce Pierre du Plantadis, troisième

(27) Reg. par. d'Ussel, et Arch. Cor., B. 642, B. 536, B. 646, B. 594, B. 669, B. 622, B. 632, B. 416, B. 653, B. 597, B. 645, B. 477, B. 421.

(28) Id., pp. 75 et 85.

(29) Bull. Soc. Hist. Cor., XII, 304; POULBRIÈRE : Dict. des par., II, 43; DELMAS, 74; Reg. par. d'Ussel.

(30) Copie de l'attestation du premier avocat général du Parlement (le Paris : Arch. Cor., B. 423.


lieutenant (1757-1772), écuyer, d'abord avocat à Ussel, prit femme en Catherine de Sarrazin de Saint-Dionis (13 octobre 1732) (31). Sortirent de leur union : Louise, mariée (1758) à Jean-Joseph Brival, seigneur de Nouzeline et de Lavialle, dans la suite lieutenant particulier à Ussel, fils de Joseph Brival, avocat du roi au siège de Tulle, et de Jeanne Baubiat; Gabrielle, baptisée le 14 février 1738, devenue (1761) mon arrière grand'tante en épousant un gentilhomme du haut pays d'Auvergne, Jean de Baron de Layac, petit-fils de Jean de Baron, écuyer, seigneur de Layac et de Boussac, et de Marie Faucher de Cisternes; Joseph, Augustin, et Françoise. Reçu lieutenant particulier en 1741, consul d'Ussel en 1745, Pierre du Plantadis fut investi de la charge de lieutenant-général seize années plus tard, succédant à Milange décédé. Lui-même mourut au bout de dixhuit ans d'exercice, le 1er octobre 1772, septuagénaire et veuf de Catherine de Sarrazin (32).

Parlerai-je aussi des Delmas? Le plus ancien connu, Etienne, vivait à la fin du XVI" siècle, avec Jeanne d'Adhémar, sa femme, originaire du Languedoc. Jean Delmas, leur fils, argentier de la duchesse de Ventadour (1602), maître d'hôtel du comte de la Voulte, « épousa, à Ussel, en 1603, Marie de la Forest, qui lui apporta la seigneurie de Feyt, le fief de Grammont, divers autres biens » (33). François, fils de Jean et mari de Jeanne de Fonmartin, était procureur ducal en la sénéchaussée d'Ussel (1666). Après lui on distingue deux branches principales : l'aînée, dite de Gram-

(31) Bull. Soc. Hist. Cor., t. XV.

(32) Reg. par. d'Ussel — Armes : d'azur a un palmier d'or. —

1764 : .« La maison appelée de Loyac appartenant à Me Pierre Duplantadis, dont jouit Joseph Goudounesche, Me tailleur. » Arch. Cor., B. 610. Cette maison, sise entre la porte Ducher et le couvent des Ursulines, hors des murs, vient d'être démolie pour faire place à la Caisse d'épargne.

(33) DELMAS, id., p. 17. — Grammont : domaine de la paroisse d'Ussel, à la sortie nord-est de la ville. — Feyt : paroisse du BasLimousin confinant à l'Auvergne et à la Marche. Il ne s'agirait que de la terre de Feix, par. de Saint-Pardoux-le-Vieux. (CHAMPEVAL, id., p. 273.)


mont, et la cadeLLe, ou de la Rehière. Pierre Delmas fut Tailleur de la branche de Granimonl. Il épousa Antoinette du Couderc, fille d'un conseiller au siège, et remplaça son père comme procureur principal (1681, 1703). De cette branche émergèrent : un autre François, avocat en parlement, marié à une autre Jeanne de Fonmartin, qui détint à son tour la charge de procureur principal (1707, 1723), et JeanLouis, avocat en la Cour, époux de Marie Lejeune, qui remplit les mêmes fonctions (1730, 1741), après son père. son grand-père et son aïeul. Jean-Louis était petit et de coloration noirâtre : à en croire une mauvaise langue de l'époque, il mesurait 3 pieds 1/2 seulement et paraissait « plus noir que nègre ». On note aussi Marguerite, fille de François et de Jeanne de Fonmartin, devenue femme (en 1668) de Jean Combes, bourgeois de Saint-Angel, né par sa mère des La Salvanie; Antoine, qui, entre le 6 août 1765 et le 1er janvier 1784, eut treize enfants de Charlotte-Claudine Autier de Villemontée; Marie-Antoinette, épouse d'André-Robert Vi 11 il tel (1773). Le père Delmas, cordelier, fut en son temps (1720, 1762) « célèbre par ses voyages du Levant. Il avait visité tous les lieux de la Palestine consacrés par la résidence du Sauveur, et en avait fait une relation qui n'a pas été imprimée » (34). Parmi les autres, on peut citer un vicaire d'Ussel (1726), un directeur du collège (1730), un curé de La-Mazière(-Basse) (1762-1772), un maire de la cité (1769). Une fille, Antoinette, vécut « dévote du Tiers-Ordre de Saint-François » (1730, 1778) (35).

Dans la branche cadette, Antoine Delmas, écuyer, docteur en médecine, était le fils d'un frère de Pierre. Des six enfants que Jeanne Desplas lui donna, le 4° devait être le lieutenant-général Jean-Baptiste Delmas de la Rebière. Né le 11 mai 1724, marié à Louise Despert de la Borderie

(34) P. 34, « Histoire de la ville d'Ussel », de J.-B. DELMAS, son petitneveu.

(35) Armes des Delmas (de Grammont) : de sinople îi trois fasces ondées d'argent. -- - L'auteur de la loi protectrice des animaux, du 2 juillet 1850, est un Delmas de cette branche.


(1753), Jean-Baptiste se titrait (1780) « chevalier, seigneur de Naugenac, du Veisset, du Chiroux, co-seigneur de la Rebière et du Mont » (36). Avocat en Parlement, gendarme de la garde ordinaire du roi, subdélégué dans la généralité de Limoges, il fut d'abord lieutenant particulier (1761) avant d'être nommé lieutenant-général (1772). Il eut la gérance de la mairie pendant la suspension du titulaire, Firmin Barbier de Villeneuve, de 1776 à 1780. La nuit fameuse du 4 août, en abolissant l'organisation existante, fit perdre à Delmas charges et dignités. II reçut, mais ne garda point, la présidence du Tribunal constitué en remplacement de la justice seigneuriale. Porté sur la liste des émigrés, rayé de la liste le 29 messidor an III, il s'éteignit le 21 juillet 1810, à 86 ans, comme il publiait la 2" édition de son Histoire d'Ussel. Un arrêt du Parlement de Bordeaux, de 1784, annulé par le 4 août 89, avait accordé la survivance de la lieutenance-générale à son fils Antoine, seigneur de Loches et du Loubeix, subdélégué de l'Intendance à Ussel (36).

(36) Reg. par. d'Ussel. - Naugenac, par. de Soursac. Le Veysset, Chiroux, la Rebière, par. de Chaveroche (1744 : « .Antoine Delmas, docteur en médecine, acquéreur du domaine de la Rebieyre. » Arch.

Cor., B. 652). Le Mont, par. de Saint-Fréjoux..1672 : François Delmas, avocat, possède Chiroux et le Veysset.

Delmas écrivit encore un Essai sur l'histoire du duché de Ventadour et de la maison de Rohan, dont le manuscrit fut, au cours de la Révolution, brûlé sur la place publique.

J.-B. Delmas ne dit pas comment ses ancêtres — ni lesquels — ont été anoblis. Le mot « écuyer » titrant son père a été ajouté sur son acte de baptême (14 mai 1724). — Du côté des Grammond, collatéraux, on descend jusqu'à Jean-Louis, contemporain de Jean-Baptiste et de son père, pour rencontrer ce titre. (Retenir que les Delmas furent des magistrats seigneuriaux, et non royaux; d'autre part, que les Ventadours ne possédaient pas le droit d'anoblir.) — Avant la scission en deux branches (1670), aucun Delmas n'est qualifié d'écuyer ou de chevalier, aucun n'est trouvé gentilhomme. — Un moraliste du XVIIIe siècle constatait que trop de gens prenaient des titres auxquels ils n'avaient point droit.

(36) Arch. Cor., B. 634, B. 473. — DELMAS, id., p. 75, renvoi 1.

Une nièce du lieutenant-général, Marie-Agathe Delmas (1782-1864), épousa, le 13 floréal an X, Michel Lacliaze, fils de Joseph et de Marie Bayle, petit-fils de Paul et de Marie Lacliau. Ce Joseph était veuf en


Les occupations du lieutenant-général étaient absorbantes. Lui incombait tout le travail de président, qu'aurait dû faire le sénéchal, et, en outre, il menait l'instruction des affaires pénales. Le premier des deux assesseurs, dénommé lieutenant particulier, lui venait directement en aide, tandis que le deuxième assesseur, le conseiller, remplissait seulement les fonctions de juge. Vous avez remarqué l'appellation de ces magistrats : c'était la même que dans les présidiaux. Leur prestation de serment s'effectuait devant le lieutenant-général. Ainsi que ce dernier, ils achetaient leur charge, ce qui les rendait, comme lui, indépendants et inamovibles, sauf « forfaiture préalablement jugée » (37) (le cas devait se produire peu d'années avant 1789).

Gaspard de Lametz était lieutenant particulier en 1623 (probablement dès 1605), Joseph Chavialle en 1630 (38), Jean-François Clédière, sieur du Rigouneix et du Gardet, en 1647; Jean de Bonnet en 1660, Joseph Barrot en 1708 (39), Pierre-Léonard Diousidon en 1721, Pierre Duplantadis en 1740, Pierre Demichel en 1758, Jean-Baptiste

premières noces, sans enfant, de Marguerite (de) Labarre : il tenait d'elle le fief de Saint-Germain(-la-Volps). Marie-Agathe et Michel sont les grands-parents de Gaston de Lacliaze, avocat, maire d'Ussel (+ 1912), et de Mme Marthe Mazelreix, toujours vivante (décembre 1939).

(37) En application des lettres le Louis XI, du 21 octobre 1467.

(38) 1630 : Joseph Chavialle, époux de Marguerite de Lametz, 1630, 1641 : Jacques Larnetz, sacristain, 1638 : Isabeau de LaIIietz, femme de Jacques Breulh, docteur en médecine (consul en 1637). 1637, 1662, Honorette de Lametz, épouse de Jean (de) Forsse, bgs d'Ussel.

(39) Barrot. — 1667 : Marguerite (de) Barrot, femme de Joseph (de) Combes, Sr de Chassaignolles (Valiergues). 1680 : François, consul, époux de Charlotte Musnier; 1690, Anthoine, prestre et docteur en théologie. — Joseph (de) Barrot, Sr de la Gorse, (1719), fils de François et de Charlotte, marié à Marguerite Chaminade (1690), advocat en parlement (1690), juge du Port-Dieu (1695), capitaine-major de la milice bourgeoise d'Ussel (1699-1706), lieutenant particulier (1708), (+ 13 décembre 1719). — 1743 : Jean-François, bachelier de Sorbonne, curé du Bourg-Lastic. 1759 : Hélène de Charlus, veuve du Sr Barrot; 1780 : Antoine, avocat au siège, juge de la Gane et de Veyrières — (Reg. par.; Bull. Soc. Hist. Cor., XXII; CHAMPEVAL; DELMAS; Doc. personnels.)


Delmas de la Rebière en 1761, Jean-Joseph Brival de Lavialle en 1772, Pierre Bonnot de Bay en 1786 (40). — Pierre de Mary (1639), Pierre du Couderc, sieur de la Veyssière (1648), Jean du Couderc (1684) (41), Joseph-François Bonnot, sieur de Bay (1725), Guillaume Demichel (1774), détinrent la charge de conseiller (42).

, Oh note des Bonnot à Ussel en 1599. Dans la suite, Antoine, sieur de Chasselines, est procureur du roi en l'élection de Tulle; Jean, son fils, Etienne et Martin, acquièrent des charges de conseillers en la même élection (1624, 1647, 1677); Pierre est avocat principal à Ussel (1661), un autre Antoine syndic de l'hôpital (1680). Un fils de Jean, Pierre (de) Bonnot, sieur du Monteil, lieutenant de cuirassiers,

mort en 1735, épouse (1703) Jeanne Lavai, qui lui porte en dot la terre de Bay, dont se qualifie l'aîné de leurs enfants, Joseph, conseiller du sénéchal (1725). Ce Joseph, mari d'Anne Lacroix, est le père de Jean-Baptiste Pierre, dit Piarretou (1753), qui lui-même fait alliance avec Catherine du Couderc et devient (1786) lieutenant particulier au siège. Des autres enfants de Joseph et d'Anne, une fille, Jeanne, est la femme d'un sieur Richon, une deuxième Jeanne celle d'un Rochon de Montazel, cependant que Marie-Anne et une troisième Jeanne s'unissent tour à tour, en 1767 et 1778, avec

(40) Reg. par.; Arch. Cor., B. 638, B, 505; B. 417, B. 422, B. 447, R. 457, B. 472, B. 716. — CHAMPEVAL, id., 263, et HUOT.

(41) Du Couderc. — 1638 : Pierre Couderc (du Couderc, 1661), S* de la Veyssière (Ussel), advocat en la Cour (1645), époux de Jacqueline Bonnot (1645), conseiller au siège (1648-1672). 1666 : Antoinette, mariée à Pierre Delmas de Grammond. 1680 : Jean, Sr de la Veyssière, époux d'Antoinette Nochèze, conseiller (1684) (+ 1er novembre 1721). 1689 : M. du Couderc, consul. 1690 : Antoinette, veuve de Pierre Laporte.

1694 : Marguerite (de) Monloys, veuve de Hélie du Couderc. 1707 : Antoinette du Couderc, mariée à Guillaume Dufour (+ 1713), secrétaire du Roy. 1716 : Margueritê (fille de Jean et d'Antoinette Nochèze), épouse d'Antoine de Bonnet. 1764 : Catherine, mariée à Pierre Bonnot de Bay. 1663, Jean, 1769, Jacques, prieurs et curés de la Tourette.

1782, Pierre Léonard, époux de Léonarde Méalet. (Reg. par., CIUMPEVAL; POULBRIÈRE; Doc. pers.et divers.)

(42) Arch. Cor., B. 496, B. 505, B. 417, B. 438. B. 465, B. 716, et reg.

par. d'Ussel.


Augustin de Tournemire, paroissien de Chirac. Le fils du lieutenant Pierre, Jacques, époux de Madeleine Monteil (1795), est l'aïeul des Bonnot que nous avons connus (43).

Martin Demichel, procureur au siège ducal (1624), fut consul d'Ussel en 1644 et 1645. De Pierre, notaire et procureur (1666), juge de la Garde et de Chasselines, procureur d'office d'Aix et d'Eygurande (1676) (44), époux Andrieu (1677), et de Jean, fils de celui-ci, également notaire et procureur (1708), agent du duc de Ventadour (1723), juge du Port-Dieu et d'Aix (1735, 1751), marié à Marguerite Pascal (1711), est issu Pierre-Léonard Demichel, tenu sur les fonds baptismaux, le 17 février 1723, par Pierre-Léonard Diousidon. Contrôleur des actes (1741), directeur des fermes du Roy (1751), juge d'Aix, d'Eygurande et du Port-Dieu (1751, 1757), seigneur du Theil et de Saint-Dezéry (postérieurement au 13 juin 1752, date du décès de Joseph Andrieu, titulaire de ces fiefs), lieutenant de la commanderie de Belle-Chassagne (1758), enfin lieutenant particulier au siège, (1759), Pierre-Léonard Demichel eut de sa femme, Jeanne de Fonmartin de Lespinasse : Guillaume, avocat en parlement, reçu conseiller au siège en 1774; Antoine, docteur en théologie, chapelain de Malte, vicaire de Gimel, curé d'Ussel (1802, 1817), « dernier d'une race éteinte » aujourd'hui, « grand cœur et grand d'âme », selon les expressions de son

(43) Reg. par.; Bull. Soc. Hist. Cor., XXIII et XXII; Doc. personnels et divers. — Antoine (de) Bonnot : époux de « damoiselle » Anthoinette (de) Forsse, fille de Jean et d'Honorette de Lametz. - L'hôpital d'Ussel dont il fut syndic a été fondé, l'an 1269, suivant « lettres données par les seigneurs Eble de Ventadour et Hélie d'Ussel, damoiseaux, aux consuls de la ville d'Ussel pour recevoir, autoriser et approuver la donation que font Aymar, dit de Geneau aux Pratz* et Jeanne del Veldior, dite la Douairière, d'une maison et dépendances sises audit lieu, pour les pauvres et même pour les passants ». Un vidimus de cette charte est aux Archives municipales. Il en existe un autre, du 11 septembre 1766, dans les Archives du comte d'Ussel, à Neuvic.

(44) Le procureur d'office « était celui qui faisait les fonctions de ministère public dans une moyenne ou basse justice seigneuriale. On l'appelait procureur d'office parce qu'il pouvait agir ex officio, c'està-dire d'office et de son propre mouvement, sans aucune instigation ni réquisition de partie » (Encyclop. méth. du XVIIIe siècle).


biographe (45); Marie-Victoire, sœur jumelle d'Antoine, qui contracta mariage à Ussel, le 3 février 1780, avec le chevalier Gaspard de Pouthe; et Marie-Jeanne, qui, au même moment, épousa le frère de Gaspard, François-Augustin de Pouthe, chevalier, garde du corps, et vint demeurer au château de Mareille, près du grand'oncle et de la grand'tante de son mari, Antoine de Pouthe et Marguerite de Monloys (46).

Assistant les magistrats, établissant les minutes, délivrant les grosses, le personnel assermenté du greffe comprenait le greffier en chef et un ou plusieurs greffiers commis. Gérald Laval (1623), Guillaume Lescrivain (1628), Mondon (1703), Antoine Lescrivain (1704), Pierre Moncourrier (1737, 1753), Antoine Redon (1768), Pierre Moncourrier de Beauregard (1777) ont été greffiers en chef. Maignac (1700), Diouzidon (1744), encore un Maignac (1744), Queyriaux (1749), Martinot (1753), Gendre (1759), Dupeyroux (1759), François Badour (1760), Eybraïlh (1763), François Redon (1773), un Moncourrier (1778), Goudounèche (1787), Rouffiat (1787), furent greffiers commis. Le greffier en chef, bien qu'il ne perçût aucun émolument pour les affaires concernant le duc, devait verser à celui-ci, chaque année, le mon-

(45) Raymond LACOSTE, id., p. 48.

(46) Reg. par.; Bull. Soc. Hist. Cor., XXIII; Doc. divers et personnels.

Joseph Andrieu, seigneur du Theil et de Saint-Dezéry (+ 1752), devint, par son mariage avec Antoinette l'Ebraly, le beau-frère de Jean Forsse, bgs d'Ussel, mon ancêtre, et de Annet Sauty, seigneur de Chalons, notaire royal.

Les Andrieu, bgs, détenaient le Teil (Ussel) depuis 1630. Ils eurent, 1625, la sieurie de l'Ebraly (Saint-Dezéry). A partir de 1629, ils possédèrent Bay (La Tourette) dont une de leurs branches se titra. C'est d'eux que Bay vint aux Bonnot, la mère de Jeanne (de) Laval étant Marguerite Andrieu de Bay — sœur aînée d'une autre Jeanne qui épousa Pierre Demichel (1677).

Les seigneurs de la Ganne (Saint-Exupéry) (1500-1630), de Roussilhe (Bort), la Maison-Rouge (Saint-Bônnet-le-Port-Dieu), qui avaient nom Andrieu, étaient écuyers. (Reg. par. — CHAMPEVAL : Bas-Lim.)


tant du bail de son greffe (200 livres en 1777) (47). Pierrè Moncourrier et son fils, Pierre Moncourrier de Beauregard — fils et petit-fils d'un notaire et procureur à la sénéchaussée (1668) — étaient aussi notaires et procureurs, en même temps que greffiers en chef (48). Le premier épousa Marie Monlouis; le second, Marianne Mornac de Badour. Ils appartenaient à une famille essentiellement usselloise, connue depuis la fin du XVIe siècle, éteinte en ces dernières années (49).

Voilà pour le siège. Auprès des trois juges le duc de Ventadour avait placé un avocat et un procureur qui le représentaient et requéraient en son nom. Ces officiers, d'abord ducaux, ensuite principaux (50), ou encore « du prince », représentèrent au XVIII" siècle les princes de Rohan-Soubise que leur alliance avec la fille du dernier Lévy (1694) avaient faits ducs de Ventadour. De même qu'on trouvait ailleurs les gens du roi, ils étaient, eux, les gens du prince.

Comme avocats, il y eut : 1623, Jehan Clédière, sieur du Breuil (51); 1630, Anthoine Esparvier; 1661, Pierre (de)

(47) Lettres de provision du 20 mars 1777 (Arch. Cor., B. 461).

(48) Arch. Cor., B. 419, B. 469, B. 461, B. 637, B. 569, B. 521, B. 449.

Arch. personnelles.

(49) Reg. par. et de l'état civil d'Ussel; Arch. Cor., B. B. 22.

(50) On note le mot principal (« advocat principal ») dès 1625 dans les actes baptistaires de l'église Saint-Martin d'Ussel. En 1662, dans le contrat de fondation du couvent des Récollets, signé le 25 octobre à « l'hosteil Vantadour », cette même expression est employée. Elle désignait l'avocat le plus important, et le premier de tous, comme étant du siège.

(51) Sur les Clédière et sur les Esparvier, voir : J. FAUCHER, « Vieilles maisons, vieilles familles d'Ussel. » (1 br., 1939.) Jehan Clédière : Sr du Breuil et de Rigannes, advocat en la Cour du Parlement de Bourdeaux (1623), advocat principal de Vanthadour (1626), procureur principal du duché de Vantadour (mars 1628), procureur général de Monsieur de Vantadour (novembre 1628) ; feu Me Jehan Clédière, procureur général et domanial du duché de Vanthadour (20 mars 1630). — Anne de Mary, sa veuve (1631, 1670).

Catherine de Clédière, leur fille (+ 1693), épouse vers 1640 Mathieu Forsse, bgs, consul (1646).

Jean-François Clédière, lieutenant particulier; marié (avant 1647)


Bonnot; 1683, Jean du Couderc (52); 168., Pierre (d')Esparvier (53); 1699, 1705, François Delmas de Grammont; 1735, 1762, Antoine Chaminade (54); 1769, Antoine-Joseph Monlouis; 1787, Pierre-Marc Monlouis de Laval; — comme procureurs : 1628, Jehan Clédière, sieur du Breuil; 1632, François Delmas, sieur de Grammont; 1681, Pierre Delmas de Grammont; 1707, un autre François Delmas de Grammont; 1730, Jean-Louis Delmas de Grammont; 1742, Antoine Chas'tagner du Teil ; 1769, 1786, Pierre-Joseph Chastagner du Mazeau. Le lieutenant-général recevait leur serment (55).

à Marguerite (de) Laval. Sa fille, Anne de Clédière, filleule d'Anne de Mary, épousa, 10 février 1669, François Dubois, écuyer, SI' de Clavières, frère du seigneur de Margerides.

1623 : noble Jehan de Clédière, vice-sénéchal pour le Roy au païs de Bas-Limousin.

Pierre de Mary, seigneur de Curziat, vice-sénéchal du Limousin, marié, en décembre 1609, avec Catherine d'Ussel, fille d'Antoine, chevalier, baron de Châteauvert, coseigneur d'Ussel, et de Claudine de Lestrange. — 1639, 1646, Pierre de Mary, conseiller au sénéchal. 1679, « feu Messire Martial de Mary, vivant vice-sénéchal du Bas-Limousin ».

1700, Jean de Mary, sieur de Laval. (Reg. par. d'Ussel. Bull. Soc. Hist.

Cor. Arch. Cor., B. 498.)

(52) Au 17 octobre 1684, sur les registres d'Ussel, on remarque cette mention : « M. de la Veyssière, avocat fiscal. » Ceci laisse penser que Jean du Couderc fut avocat principal entre le 28 juin 1682 (« advocat en la Cour ») et le 23 octobre 1684 (« conseiller au siège » ).

(53) « 17 juin 1692 : Marguerite de Laval, veuve de M. Pierre d'Esparvier, avocat principal au siège sénéchal de cette ville (Reg. de la par. d'Ussel).

(54) Chaminade. 1545 : Michel Chaminade (Livre Noir). 1553 : Chaminade, consul. 1559 : X. Chaminade (établissement de la sénéchaussée). 1670 : Antoine, bgs, époux de Marie-Marguerite Dallet; juge de Bonnaigue et de Monestier (1692), de Bonnesaigne (1694). Marguerite, leur fille, mariée à Joseph Barrot (1690, 1706). — 1680, Annet et, 1681, Antoine, notaires et procureurs. 1703 : Pierre, « philosophe ». 1707 : Guinot, praticien. 1721 : X. Chaminade, vicaire à Ussel. - 1704 : Antoine, avocat principal (1735, 1762), et Marie-Jeanne de Plasse du Chassaing, son épouse. Leur fils, Antoine-Xavier, sieur de Montéjoux, marié (1744) à Marie-Anne Désortiaux de la Ceppe. Leurs petitesfilles : Marie-Michelle, femme (1763) de Jean-Baptiste Forsse; Marguerite, unie (1772) à Mathurin du Faure. — 1770 : Marguerite, fille dévote du tiers-ordre de Saint-François. (Reg. par.; Bull. Soc. Hist.

Cor.; HuoT; Doc. pers.)

(55) Reg. par. d'Ussel; Arch. Cor., B. 422, B. 615, B. 494, B. 414 et supplément; et HuoT, id., p. 104.


A l'origine, l'avocat avait la prééminence sur le procureur et, en la pensée du duc, constituait le plus important des deux agents. C'est du moins ce qui ressort du règlement sur les préséances, du 15 novembre 1599 (56). Mais, dans la suite, on vit au contraire le procureur, chef d'un parquet organisé, primer hiérarchiquement l'avocat réduit à n'être plus désormais qu'une sorte de substitut. L'une des causes de cette transformation fut assurément l'imitation des cours royales, qui ne cessa de hanter nos magistrats, dont la juridiction avait une étendue supérieure à celle de certains présidiaux.

Mialaret, le Teil, le Vige, les Vergnes, le Mazeau — domaines de la région de Neuvic - fournirent des surnoms aux Chastagner. Procureurs ducaux, les Chastagner détinrent eux aussi la subdélégation de l'intendance au XVIIIe (1742-1769). Pierre-Joseph, fils d'Antoine et de Marie-Anne Giraud, s'unit à Marianne Ternat, parente de Pierre Ternat, curé d'Ussel (1761-1783), ancien curé de Neuvic, originaire de Mauriac; et de ce mariage sont issues les générations qui ont perpétué la famille jusqu'à nos jours. Thérèse eut pour mari (1752) Joseph de Plaigne, écuyer, seigneur de Pradniau, et leur fille Clémence, Pierre Salviat, avocat, rereveur domanial. Le fils du dernier procureur, Jean-Joseph, épousa Marie-Magdelaine de Cosnac. En 1685, on rencontrait à Ussel Pierre Chastagner, sieur du Mialaret; en 1676, Marguerite Pradinas, « veufve de Jean Chastagner, avocat »; et, en août 1666, Marguerite Chastanier, veuve de Michel Tixier, bourgeois, dont le fils Jean, avocat, célébrait sa noce avec Jeanne de la Farge (57).

Assez nombreux, les Monlouis descendaient de ces Monloys dont j'ai parlé dans mon étude sur les « Vieilles familles ». Habileté, décision, énergie, telles sont les qualités que

(56) « Règlement accordé pour les précéances et démarches de Messieurs les officiers et consuls de la ville d'Ussel. » (Reproduit Bull.

Soc. Hist. Cor., XXIII, 454-455.)

(57) Reg. par.; Arch. Cor.; CHAMPEVAL, Dict. des familles, I. 508; Documents personnels,


montrèrent les Monloys, notamment Martin, dont la belle attitude, en 1532, rangea les siens parmi les meilleurs ussellois. Les Monlouis, riches bourgeois titrés, de cette catégorie sociale qu'on a qualifiée de sous-noblesse, possédèrent un certain nombre de terres : Mareille, Consergnes, la Rebeyrotte, Loche, le Maschat, le Masviel, le Gardet, la Grange du Bost, Pontic, Rouberteix, Toylias, sur la paroisse d'Ussel; Séjéat, sur la paroisse de Saint-Exupéry; la Maison-Rouge et Sudrie, sur la paroisse de Saint-Bonnet-le-Port-Dieu (58).

La branche d'Ussel, tige originaire, produisit des avocats, des procureurs, des notaires, des juges seigneuriaux, un receveur d'amendes, des consuls, un maire électif, des prêtres, des magistrats (Guinot, 1624, 1635); Michel, 1629, 1647; Joseph, 1676) au tribunal d'élection qu'Ussel posséda quelque temps. Elle s'est alliée aux Clédière, aux Bonnot, aux Laval, aux de la Farge, aux de Bonnet, aux Esparvier, aux Jaloustre, aux Andrieu, aux du Couderc, aux Bastisse, aux Pascal, aux Demichel, aux Giraud, aux Danjolie (famille de la mère de Marianne Ternat), aux Rochefort, aux Désortiaux de la Geneste. Antoine épousa (1764) Thérèse Forsse dont le père, Joseph, est le trisaïeul des Forsse encore vivants (58 bis); leur fils, Antoinette Choriol de Ruère, fille de Jean Choriol, ci-devant seigneur de Ruère et notaire royal d'Eygurande. Marie-Jeanne (+ 1763) revêtit le costume gris et blanc des Menettes de Saint-François; MarieUrsule (+ 1758) et Jeanne (+ 1779), le costume noir et blanc des Menettes de Saint-Dominique : c'étaient deux sociétés de pieuses filles qui, explique Delmas (59), « ne faisaient point de vœux, mais vivaient dans une grande régularité, donnant aux enfants les premiers principes de la religion et de la piété, et s'occupant des œuvres de charité recommandées par l'Evangile ». De la branche d'Ussel se

(58) CHAMPEVAL : Bas-Lim., passim.

(58 bis) En 1939, lorsque ces lignes furent écrites. Depuis, les Forsse d'Ussel sont décédés (juin-août 1941). — Les Forsse avaient leurs tombeaux dans l'église paroissiale, au temps de la sénéchaussée. Six d'entre eux y ont été inhumés entre 1669 et 1733 (Reg. par.).

(59) Id., p. 96,


détachèrent, au cours du XVIIe, les Monloys de Mareille et les Monloys de Séjéat. Jean de Monloys, seigneur de Séjéat et de la Maison-Rouge, épousa (vers 1730) Marie de Labarre de Saint-Germain. Joseph-François, seigneur de Séjéat, était allié aux Dupuy de Mirambel (1765). Une petite-fille de Joseph, Gilberte-Marie Monloys, devint, le 18 fructidor an XIII, la femme d'Antoine Laveix, notaire, et lui donna une postérité qui se continue à Séjéat. Ceux de Mareille se distinguèrent par leurs alliances. Marguerite de Labarre de Saint-Germain s'unit à Léonard de Monloys, « seigneur dudit lieu ». Leur fils, Martin-Joseph (1697-1769) (60), entra dans une famille de haute chevalerie en obtenant la main d'Aimée de Lentillac, propre nièce du marquis de Sédières.

De cette union naquit, le 14 décembre 1733, Marguerite de Monloys, qui devait être la femme d'Antoine de Pouthe de la Roche-Aymon, seigneur de la Ville-du-Bois (61).

Dans ce tribunal tranquille, où ne paraissait probable aucune complication grave, il semble qu'une entente parfaite, une mutuelle estime, une confiance réciproque dussent exister entre les magistrats. Il n'en fut pas toujours ainsi, et des dissentiments s'élevèrent en plusieurs circonstances. Je laisse de côté le mémoire Diousidon, excessif et empreint de parti-pris. D'autres pièces sont plus sûres, dont je vais me servir pour citer quelques-uns des faits, heureusement rares, mentionnés dans les archives.

Jean-Louis Delmas et Antoine de Bonnet s'affrontèrent (1746) dans un procès pour affaires de famille. Ils étaient apparentés. Le cousinage résultant de l'union de Jean de Bonnet et de Marie Delmas de Grammont avait été resséré par des alliances communes avec les du Couderc : par celle du grand-père de Jean-Louis Delmas avec Antoinette du

(60) « M. Monlouis de Mareille de la Rebeyrotte. » (1747.) (Arch.

Cor., B. 704.)

(61) Dans la Haute-Marche, près d'Evaux, diocèse de Limoges. Reg.

par.; Doc. divers et personnels.


Couderc, en 1666, et par celle du père d'Antoine de Bonnet avec Marguerite du Couderc, en 1716. Marguerite descendait de Pierre, père d'Antoinette. Cette parenté assez étroite fut la cause du procès. Bonnet gagna au fond; mais, comme chacun avait, dans l'ardeur de la polémique, inséré, en ses écritures, des termes inj urieux pour l'adversaire, Millange, rejetant les demandes de réparation d'honneur, mit sur ce point les parties hors de cour (62).

Delmas de la Rebière, lieutenant-général, et Brival de Lavialle, lieutenant particulier, furent en désaccord. Vous verrez ce qui en résulta, en 1784, de leur mésentente (63).

Un jour, à l'audience, le lieutenant particulier Diousidon et le conseiller de Bay protestèrent contre l'habitude du lieutenant-général de prendre seul certaines décisions. JeanAntoine de Bonnet répondit : d'où s'ensuivit une altercation très vive (64).

Cet incident-ci ne fut, au fond, qu'une manifestation de l'inimitié persistante des Bonnot envers les Bonnet. En 1753 cette inimitié durait « depuis près d'un siècle » (65). L'épisode navrant que voici, succédant à des menaces, des injures, des tentatives d'agression, provoqua une information judiciaire.

Vers dix heures et demie du soir, le dernier dimanche de septembre 1753, Antoine de Bonnet, maire d'Ussel, venait de se coucher en sa maison donnant sur la Place, derrière l'église, quand il entendit frapper au heurtoir de la porte d'entrée. Il se leva, ouvrit une fenêtre, et aperçut un petit drôle qui lui dit apporter une lettre pressante de M. de Saint-Angel (66). Seul ce soir-là, sa jeune femme et ses domestiques étant restés à la Chabanne, il endossa une robe de chambre et, sans bas ni culottes, en coiffure de nuit, un flambeau d'argent à la main, descendit du premier étage.

Le drôle ne se trouvait plus à la porte. Bonnet pensa qu'il

(62) Arch. Cor., B. 521.

(63) Arch. Cor., B. 468.

(64) Arch. Cor., B. 854.

(65) Arch. Cor., B. 854.

(66) Messire de Clary, chevalier, baron de Saint-Ange], conseiller en la Cour des aides de Clenyiont,


était allé s'asseoir sur un banc de la boucherie disposée vis-à-vis et « au-dessous » de l'immeuble. Posant le flambeau sur les dernières marches de l'escalier, il sortit et s'avança vers la boutique. Pas de bruit dans la rue; les gens dormaient, ou se mettaient au lit. Après avoir fait quelques pas, il fut tout à coup assailli par quatre individus munis de gourdins et d'armes, qui le saisirent, deux par devant, deux par derrière, le frappèrent d'un coup de bâton dans le dos, d'un autre coup sur le front, lui donnèrent un coup de poing dans l'œil, écorchèrent son visage avec les ongles, et tentèrent de l'assommer par un nouveau coup de bâton sur la tête que Bonnet parvint à éviter. Aux cris de : Au feu! on m'assassine! poussés par le seigneur de la Chabanne, des voisins ouvrirent leurs volets : aussitôt les malandrins lâchèrent prises, et leur victime courut se réfugier dans la maison du sieur de Mareille, en face de la sienne, « devant l'église ». Joseph de Monloys rentrait de « souper » en ville. Il accueillit Bonnet sur le pas de sa porte, à la seconde même où une balle tirée par un autre bandit caché dans un recoin, manquant son but, passait en sifflant au-dessus de leur tête et allait frapper le volet puis ricocher sur une vitre de la fenêtre basse du sieur de Mareille.

Antoine de Bonnet, « pâle et ensanglanté », avait, rapporteront des témoins, « une grande noirceur et contusion sur un œil, le visage égratigné, une blessure dans le coude du bras droit, et une autre noirceur au bas de la main, où il disait avoir été mordu ». On lui donna les premiers soins.

Accompagné par M. de Mareille et suivi de deux ou trois personnes, il rentra chez lui. Bonnet constata que le flambeau était éteint; il s'assura qu'aucun malfaiteur ne se cachait dans les pièces et, après avoir reçu quelques visiteurs et vérouillé soigneusement sa porte, il se recoucha. Le lendemain tout Ussel prononçait le nom des coupables, et le surlendemain la grand'mère et mère de ceux-ci venait en pleurant exprimer ses regrets à la victime de l'odieux guetapens (67).

(67) Arch. Cor., B. 854, B. 857. — Celui qui tira la balle était le père des jeunes gens qui assaillirent Bonnet lorsqu'il s'avança sur la place,


Des magistrats, passons aux hommes d'affaires. Pour postuler au nom des plaideurs et défendre leurs causes, il y avait des procureurs — les avoués d'aujourd'hui — et des avocats. Ces hommes de loi étaient nommés par le duc.

Les procureurs recevaient des lettres de provision. Presque tous joignaient à leur charge celle de notaire et cumulaient ainsi deux offices distincts. Ils furent nombreux et s'appelèrent Andrieu. Arestier, Aubar, Audouze, Badour, Bastisse, Bessoles, Bonnet, Bonnot, Bonsir, Bosdeveix, Bourzac, Cayre, Ceyrac, Chabanes, Chaminade, Chassagnac, Chaudergues, Conchon, Couffy, Danail, Daubard, Delfau, Demichel, Desplas, Diousidon, Dupuy, Durand, Durand de Beauregard, Durriou, Esparvier, Forsse, Fourest, Friou, Giraud, Giroud, Goudounesche, Guinard, Holier, Jaloustre, Laval, Laveix, Lavigne, Lescrivain, Loche, Longevialle, Martinot, Meschin, Millac, Moncourrier, Moncourrier de Beauregard, Mondon, Monlouis, Monloys, Nochèze, Pascal, Paynot, Pelletaud, Plaze, Pollot, Pradinas, Redon, Rochefort, Roubinet, Roudet, Roussange, St-Supéry, Tessier, Tournadre, Triou, Vergne, Vermeil, Vialatte, etc. Parmi les avocats, on remarque Barrot, Berbray, Bertrand, Blanchet, de Bonnet, Bonnot de Bay, Boyer, Brival, Brousse, Chabanes, Chaminade, Chastanier, Chavialle, Clédière, Counil, Delmas, Desper, Diousidon, Du Couderc, Dumon, Du Plantadis, Esparvier, de Foninartin, Forsse, Galand, de la Farge, de la Geneste, Labou- • noux-Desvergnes, Langlade, Lavergne de Lajugie, Lescrivain, Lissac, Longevialle, de Monloys, Monlouys, SaintSupéry, Sauty de Châlons, Sudour, Tixier (68). Avocats et procureurs avaient leur doyen.

Avant d'entrer en fonctions, ils devaient, devant le tribunal assemblé, prêter serment « de bien et fidèlement exercer leur profession en leur âme et conscience ». Ils pro-

Bonnet porta plainte en s'adressant par « requête, au lieutenantgénéral criminel ès sièges royaux de la ville de Tulle ». (Jarrige du Bournazel.) (Arch. Cor., B. 854.)

(68) Arch. Cor., B. 414 à 493 et B. 501 à B. 687, passim; Reg. par.; HUOT; divers, -


mettaient spécialement de « prêter leur ministère aux pauvres gratis » (69) : et ceci montre que l'assistance judiciaire était pratiquée avant qu'une loi en consacre l'obligation.

Les honoraires des procureurs, fixés par un tarif semblable à celui des cours présidiales du ressort de Bordeaux, furent augmentés le 14 janvier 1744 (70).

Conformément à l'ordonnance royale de 1667, le serment était renouvelé tous les ans, à l'audience de rentrée. Ce jour, le tribunal se rendait en cortège et en robe « dans la chappelle du palais et du collège », à moins que ce ne fût à l'église paroissiale, où il entendait la messe solennelle du Saint-Esprit, précédée du chant du Veni Creator (71). Après quoi, l'audience s'ouvrait « au palais du sénéchal ». Avocats, procureurs, greffiers, huissiers, chacun à tour de rôle, à l'appel de son nom, s'avançait, montait sur le siège et, « devant la Passion figurée de Notre-Seigneur JésusChrist », « entre les mains du lieutenant-général », réitérait le serment, « la main levée à Dieu et un genou en terre » (72).

En dépit de belles qualités, ces hommes ne furent pas sans reproche. A plusieurs reprises la sénéchaussée dut sévir contre eux. C'est ainsi qu'en 1717 il fut interdit à Guillaume Meschin d'exercer pendant quelques temps, parce qu'il s'était, en diverses occasions, ingéré dans la connaissance des causes « nonobstant la présence des magistrats » et « sans suivre même l'ordre du tableau » (73). En 1735 le procureur Chabanes ayant, à l'audience, « manqué de respect » envers le lieutenant particulier Diousidon, celui-ci demanda réparation de « l'injure », et le tribunal, après réquisitoire de l'avocat principal Xavier Chaminade, con-

(69) Arch. Cor., B. 467, 5e feuillet.

(70) Arch. Cor., B. 425.

(71) La dernière messe célébrée « dans la chappelle du collège »,

est du 12 novembre 1789. (Arch Cor., B. 478.)

(72) Arch. Cor., B. 459, B. 4(;3, B. 471, B. 469.

(73) Arch. Cor., B. 642.


damna Chabanes à rester en prison tout le jour et le suspendit pendant trois mois (74).

Au degré inférieur, les huissiers - parmi lesquels Beaune, Bonnefon, Bouhaud, Bourdanchon, Bousset, Chaize, Chiniac, Chirol, Continsouzas, Diousidon, Goudounèche, Ignie, Machat, Maignac, Marchandon, Mauriac, Mongenot, Montanier, Peyrelade, Pourville, Pradinas, Vedrenne, Vennat — méritèrent, eux aussi, des punitions sévères, L'un, étant « d'une ignorance crasse », dit le texte, dut rembourser les frais qu'il avait engagés dans une saisie. Pour négligences jugées inexcusables, un autre subit la suspension temporaire. Un troisième, ayant fait à tort un procès-verbal d'exécution, paya dix livres de dommages-intérêts. Une amende de vingt livres fut infligée au sieur Besson qui avait exploité sans être provisionné ni avoir prêté serment. Un autre encore, fils d'huissier, s'étant attribué le titre et les fonctions, avait été ajourné devant le tribunal et subissait un interrogatoire au moment, heureux pour lui, des événements de 1789 (75).

Mais voici que les officiers du siège — sanctionnant leurs subordonnés hiérarchiques — étaient à leur tour frappés par leurs supérieurs. En 1741, le duc de Ventadour révoquait Jean-Louis Delmas, procureur principal (76). En 1784, la Souveraine Cour du Parlement de Bordeaux, dont ressortissait la sénéchaussée, punit sévèrement le tribunal pour une faute qui, maladroitement révélée, parut grave. Il s'agissait de ces épices sur lesquelles comptaient nos magistrats qui avaient acheté leur charge et ne recevaient point de traitement de l'Etat. Je laisse parler le procureur général.

Il y eut « scandale » à notre audience, dit-il , « par la représentation d'un billet écrit par le lieutenant particulier au lieutenant-général de Ventadour », aux termes duquel « le premier annonçait au second que certain procès dont

(74) Arch. Cor., B. 417.

(75) Arch. Cor., B. 447, B. 660, B. 452, B. 521, B. 628, B. 630, B. 471, B. 467, B. 534, B. 524, B. 478, B. 636.

(76) Arch. Cor., B. 422,


les épices avaient été consignées d'avant venait d'être terminé par une transaction, et que les parties voulaient retirer les épices. Sur quoi il invitait le lieutenant-général à rapporter à juger à eux deux ce procès sans appeler un troisième juge, et à partager entre eux ce qui reviendrait au troisième sur lesdites épices. Le lieutenant-général qui le produisit, continue le Procureur, espérait de faire reverser toute l'horreur de ce crime sur le lieutenant particulier son adversaire, parce qu'il se flattait de pouvoir dérober à la Cour la connaissance de la sentence qu'ils rendirent de concert et qu'ils ne craignirent pas d'antidater de six jours avant le billet ». En punition, le tribunal entier, composé de Jean-Baptiste Delmas, lieutenant-général; Brival, lieutenant particulier; Demichel, conseiller; Chastagner, procureur principal; Monlouis, avocat principal, et du greffier en chef, Pierre Moncourrier de Beauregard, estimé « pas moins coupable », fut, par arrêt du 10 juillet 1784, transcrit sur les registres du sénéchal le 17 juillet, suspendu de ses fonctions et remplacé par le présidial de Tulle. L' « interdit » devait être levé le 31 août en faveur de Monlouis, Demichel et Moncourrier. Delmas dut attendre jusqu'au 21 juillet 1785, et Chastagner jusqu'au 7 août suivant (77).

Restait Brival. Au début de 1786, Pierre (de) Bonnot, juge de la Gane, avocat en parlement, était nommé lieutenant particulier (78).

(77) Arch. Cor., B. 468, B. 469, B. 470, B. 633, B. 472.

(78) Provisions du 4 avril 1786. Prestation de sermet et installation du 26 juin 1786. (Arch. Cor., B. 633, B. 472.)


II

Où siégeait la Sénéchaussée?

Dans quel bâtiment la sénéchaussée ducale était-elle installée? Où tenait-elle ses audiences?

Aux termes du contrat de 1599, l'édifice attribué à la sénéchaussée devait être la « Maison de Vanthadour » sur la place « appelée le marché du bled ». Mais quelle place était, au XVIe siècle, celle du marché au blé, place désaffectée par la translation du marché sous la Halle au commencement du XVIIe? II y avait, autour de l'ancien château, plusieurs points pouvant servir à cet usage. En vain, j'ai cherché dans les manuscrits l'indication des immeubles entourant le marché. Delmas lui-même n'a, deux siècles après, produit aucune justification écrite.

Laquelle était cette « Maison de Vanthadour » qui existait en 1599 et, indique l'acte, « avec toutes ses appartenances et deppendances demourera et sera perpétuellement acquise pour la séance, tenue et administration dudict siège et officiers d'iceluy », Fût-ce dans cet immeuble qu'a été installé le tribunal? Devant désigner le Palais de Justice suivant les conventions originaires, le mot « Maison de Ventadour » aurait-il suivi le tribunal, à quelque endroit qu'il fût installé, plutôt que de rester l'appellation particulière d'un seul et même immeuble? Et pourtant, nulle part, même dans les placets présentés au lieutenant-général ou à un membre du siège, je n'ai relevé ce nom; et pas davantage je n'ai entendu citer cette maison par de très vieilles dames qui vivaient, jeunettes, au temps où Paul Huot composait son ouvrage. La Maison Ventadour : c'est le château ducal qu'on désigne habituellement ainsi.

L' « estat des frais » d'établissement de la sénéchaussée mentionne l'achat d'une « maison » où l'on fit « blanchir » une salle et faire des « sièges au barreau ». Cet état, s'il précise le prix d'acquisition (684 « escuz »), ne dit point


qu'il s'agisse de la « Maison de Vanthadour » (non plus d'ailleurs que de toute autre); et, en supposant que le tribunal siégeât dans cet immeuble en 1612 (1), a-t-il continué d'y demeurer? D'autre part, quand les contractants de 1599 affectèrent la « Maison de Vanthadour » à la sénéchaussée, ils ne parlèrent nullement d'opération pécuniaire. Néanmoins, comme on vient de le voir, un immeuble fut acheté dans le but d'en faire « la maison du siège ducal ».

Lorsque Paul Huot (vers 1855) étudia les Archives municipales d'Ussel, il dut constater l'imprécision des actes.

Pour reconnaître le « palais du seneschal », il disposait d'un passage du livre de Delmas situant l'ancien marché au blé « entre les maisons de MM. Lacoste, Cayres, Lanly et Damarzid » (2) ; et lui-même avait entendu appeler « Maison de Ventadour » un bâtiment sis en ce coin et « flanqué d'une tour à porte ogivale » (3). Sans être sûr de l'emplacement du marché (4), puisque Delmas n'apporte la moindre preuve, mais frappé par la similitude du terme « Maison de Venthadour » avec l'expression employée en 1599, le commentateur du Livre Noir inféra que la sénéchaussée avait son siège dans l'habitation qui touche à la tour de Soubise et sert actuellement de presbytère. Il s'efforça d'appuyer son dire par des témoignages oraux.

Que penser de cette désignation? Elle est basée sur la transmission orale, et l'on sait quelle déformation subissent les faits en passant de bouche en bouche. Pour comble, les indications verbales recueillies par Huot sont vagues et ne présentent aucun intérêt historique. Huot ne sait pas où placer exactement la salle d'audience : « vraisemblablement », dit-il, elle se trouvait au rez-de-chaussée; j'ai la « conviction » qu'elle n'était pas « en haut »; cependant,

(1) Date de l'état des frais. (HUOT, p. 22.) Voir ci-dessus, p. 2.

(2) Id., p. 65.

(3) HUOT, id., p. 19, en note.

(4) « .une petite place qui a dzÎ, en effet, servir de marché au blé. »

(HUOT, id., même page, même note.)


il est possible qu'elle fût au premier étage (5). Hésitation frappante, et qui montre la fragilité de ce qu'il avance, sans justification, sur l'immeuble dont il parle! Les personnes interrogées ont été incapables de lui indiquer, dans cet immeuble, l'emplacement de la pièce la mieux connue : la salle d'audience! En réalité, il n'a obtenu de ces personnes nul renseignement précis et sûr, et il écrit d'après des dires improbants. « La tradition orale s'efface vite, ne dépasse jamais le siècle », — estimait Maurice Barrés : après une période de soixante-cinq ans marquée d'événements qui troublèrent les esprits, cette tradition était devenue incertaine et confuse.

S'il semble exact que la maison renferma des services de la sénéchaussée, il est permis de douter qu'elle fut le siège du tribunal. J'ai peine à croire que les audiences avaient lieu dans la pièce en contre-bas dite présentement salle Jeanne-d'Arc; qu'une salle aussi exiguë et mal placée, sombre, humide, utilisée un moment comme écurie à chevaux, ait été l'endroit choisi pour la tenue de l'audience et le développement des débats d'une sénéchaussée ducale. Huot ne paraît guère persuadé. Pourquoi, au lieu d'inclure dans son texte l'importante fixation du local judiciaire, se bornet-il à signaler l'endroit par deux courtes notes imprimées en petits caractères au bas des pages? Et n'est-ce pas remarquable que le dernier président de la sénéchaussée, JeanBaptiste Delmas, qui publia l'Histoire d'Ussel en 1810, ait donné à la demeure le nom de son propriétaire du moment (Lacoste), et n'ait point indiqué, ou seulement laissé entendre, que les officiers du sénéchal avaient siégé là? Raymond Lacoste n'en dit rien non plus en décrivant cet étroit logis dans sa brochure sur l'abbé Demichel.

L'immeuble est formé de deux petits bâtiments distincts, liés ensemble. Le plus ancien, celui de droite, existait-il à la fin du XVIe siècle? Dans ce quartier on a utilisé des restes du vieux château pour faire plusieurs habitations. L'enca-

(5) HuoT, id., p. 22, en note.


drement des fenêtres, le fronton des portes, le devant des cheminées ont peut-être été rapportés d'ailleurs, et nous risquons d'attribuer à telle maison plus d'ancienneté qu'elle n'a. En admettant qu'il existât en 1599, et que la sénéchaussée y fût établie au commencement du XVII", il sied

USSEL. — Tour de Soubise et presbytère actuel (à gauche).

Au fond, Ancienne Maison Chaminade-Forsse.

(Cliché du Syndicat d'Initiative d'Unel).

d'imaginer que celle-ci, ne pouvant tenir dans un logement aussi mince, occupait aussi la tour de Soubise et se prolongeait dans la construction posée sur le roc à l'extrémité droite. Cette construction, qui fait corps avec la tour et doit être de même date, n'a qu'une pièce à chaque étage, mais possède des fenêtres ouvragées dans le style de la Re-


naissance et garde, à l'intérieur, deux belles cheminées qui sont un témoignage de son luxe d'autrefois. On accédait aux étages par la tour de Soubise, à l'aide d'un escalier en pierre et à vis transporté depuis peu dans la tourelle du clocher de l'église paroissiale. Plus tard — car il n'est point question d'agrandissement, mais seulement d'achat et de réparations en l'état de 1612 — fut bâti le côté gauche, élargissant l'espace.

Etait-ce là réellement? A la vérité, rien ne l'établit. Delmas, qui connaissait, a gardé le silence, et Huot, qui ne connaissait pas, désigne un local. Que Huot ait nommé le véritable endroit, c'est possible; mais il n'a pu trouver aucun texte justificatif, et les déclarations verbales par quoi il a tenté de suppléer à 'Cette insuffisance ne lui ont valu que déceptions. La preuve convaincante lui a manqué : il nous laisse dans une incertitude.

Que penser et que conclure? A défaut de textes, la tradition subsiste — cette transmission orale dont un écrivain disait qu'elle « va, avec le temps, en se déformant et en s'amenuisant ». Du moment qu'il n'y a mieux, il faut l'accepter telle qu'elle se présente et, ainsi, admettre que la sénéchaussée occupait les bâtiments accolés à la tour de Soubise, avec une petite salle de réunion dans la pièce du bas. Mais, puisqu'il est permis de croire, devant l'insuffisance des documents et le vague de la tradition, que le siège, en sa hantise des présidiaux, disposait d'une autre salle d'audience réservée sans doute aux séances importantes, quels locaux avoisinants pouvaient donc convenir à celle-ci?

Le bâtiment à tour quadrangulaire situé devant le château actuel et séparé de lui par une petite place qu'une autre petite place (6) prolonge, contint, au rez-de-chaussée, la prison ducale : détail émanant de Delmas (7) qui, je pense, appelle rez-de-chaussée la partie basse regardant le château

(6) L'ancienne place Saint-Pierre.

(7) Id., p. 66.

I


et servant aujourd'hui de remise et de bûcher. Ce qu'il y avait aux deux étages, Delmas ne le dit pas; mais chacun d'eux, le premier surtout, qui donne de plain-pied sur « la Halle », offrait la disposition d'une salle d'audience appropriée. Serait-ce là?

Ou encore à la mairie (8). Un manuscrit du XVIII", déjà cité, parle de la « chappelle du palais et du collège », à l'occasion d'un office religieux célébré devant le corps judiciaire (9). Il n'y avait qu'une seule chapelle pour les deux institutions. Or, le collège, fondation des Ventadours au XVIe siècle, était, antérieurement à la Révolution, établi dans les bâtiments devenus ensuite et à la fois hôtel de ville, prison et sous-préfecture, bâtiments précédés d'un espace assez large pour avoir pu constituer une place, autrefois, dans l'enceinte des fortifications. Et comme le tribunal ae première instance qui succéda en 1790 à la sénéchaussée résida dans cet immeuble jusqu'en 1826, on est peut-être en droit, ici également, de ne pas suivre Huot lorsque, en tout temps et en toute circonstance, il met la salle d'audience dans un local indigne de la Cour de Justice d'un grand fief de France (10).

(8) Rue des Sans-Culottes.

(9) Arch. Cor., B. 471, et ci-dessus, p. 20

(10) Bien qu'enseignant depuis la 7" classe jusqu'à la rhétorique, le collège d'Ussel logeait en un espace fort restreint. Le règlement de 1771, qui le rétablit après un temps de suppression, lui attribue quatre chambres de professeurs, deux salles (étude, dortoir) pour les pensionnaires, trois pièces pour les classes, une cuisine, des logements pour les domestiques, « les greniers, caves, basse-cour et jardin nécessaires ». Le corps professoral devait comprendre un principal et trois régents, chacune des trois classes étant doublée. Au cours des années suivantes, le collège « essuya une émigration » telle qu'on ne prévoyait, en 1780, que 40 à 50 écoliers. On espérait de prochaines arrivées qui doubleraient le nombre des élèves dans un délai de quatre ans, et l'on envisageait pour 1785 un 4e professeur. Une partie des locaux et des dépendances restait disponible, comme indique le rédacteur du statut de 1771 en exprimant le regret que « tous les bâtiments » ne soient pas occupés par le seul collège. (Arch. dép. HauteVienne. Bull. Soc. Hist. du Lim., t. XXII, pp. 296 à 307.)


III

Nature des rapports entre la ville d'Ussel et les Ventadours

Comment se présentait les rapports entre Ussel et les Venladours à l'époque de la sénéchaussée?.

USSEL. — Hôtel ducal de Ventadour.

(Cliché de la Corrèze Républicaine i Brive).

La transaction de 1532, que vint renforcer celle de 1622, avait fixé la nature des rapports. Mais les transactions étaient* elles-mêmes l'aboutissement d'une lutte de plusieurs siècles qui va être brièvement rappelée.

Du vivant d'Ebles VI, en 1264, il se produisit un de ces désaccords assez fréquents entre le vicomte et les consuls,


qui soutenaient énergiquement les intérêts de la communauté. Le cas était si grave qu'il fallut prendre un arbitre.

On choisit Bernard de Ventadour, archidiacre de Limoges, oncle d'Ebles. L'arbitre put amener les parties « à composition »; et Ebles donna peu après, à Ussel même, des lettres patentes ainsi conçues : « Nous, Ebles, vicomte de Ventadour, scavoir faisons à tous (ceux) qui ces présentes lettres verront que nous confirmons et approuvons toutes les coustumes que les consuls et la communauté de la ville d'Ussel ont, tiennent et possèdent., et promettons pour nous et nos héritiers et successeurs, sous serment corporel, à l'avenir et perpétuellement, défendre et irrévocablement observer lesdictes coustumes. » (1).

Ce serment, un des plus anciens titres d'Ussel, constitue aussi une pièce des plus importantes. Ebles approuve toutes les coutumes locales. Il promet de les respecter, de ne rien faire contre elles. Bien plus : il s'engage à les défendre.

Mieux encore : l'engagement vaut, non seulement pour luimême, mais encore pour ses successeurs, et à perpétuité.

Pourquoi de pareilles promesses, de la part d'un tel seigneur? Parce que les Ussellois n'étaient pas unis aux Ventadours par le lien féodal, et que ceux-ci ne furent pour eux que des seigneurs haut-justiciers. Les Ventadours, en 1264, n'eurent peut-être d'autre geste à faire que de « reconnaître », une fois de plus, les droits dont la ville jouissait depuis un temps immémorial, et qui provenaient, suivant Huot, de son allodiale origine. Mais Ebles VI dut faire ce geste de mauvaise grâce, puisqu'il y eut « composition ».

Après des affirmations si nettes, les Ussellois pouvaient avoir, ce semble, une tranquillité entière. Fût-ce méfiance?

A la requête de leurs consuls, le serment était renouvelé solennellement par le successeur d'Ebles, vicomte Hélie, à son entrée dans la ville, « l'an de l'Incarnation 1298, le jeudi après la fête Saint-Hilaire ». Hélie jura, entre les mains des consuls, sur les saints Evangiles, de « tenir et

(1) Charte de 1264 et vidimus de 1343 (Archives d'Ussel) et HUOT, pp. 28 et 46,


conserver les franchises, coustumes et statuts que les consuls,.- communauté et habitans de ladicte ville ont eus et tenus de toute antiquité » (2).

Les Ussellois n'oublieront point cette cérémonie. Nous les voyons au xv" siècle refuser de prêter au comte Louis le serment de fidélité, tout en le reconnaissant comme seigneur de justice. Au XVIe siècle, ils maintiendront qu'ils ne doivent aucun serment à titre de fief et de domesticité, puisque, remarquent-ils, leur communauté « n'a, du comte, nulle chose en fief noble » et qu'ils ne sont ni ses domestiques ni ses serviteurs (3). Dans un moment difficile, ils prendront texte de l'acte de 1298 pour rappeler que les comtes leur doivent, au contraire, le serment de garantie. Et ils auront gain de cause. Par la transaction du 2 février 1532, ils obtiendront une nouvelle confirmation des « libertés, privilèges, authorité, prééminence, juridiction, franchises et coustumes » dont ils ont « usé et joui par le passé » et, de nouveau, l'assurance qu'ils continueront à en user et jouir « de la même manière et dans la même forme ». En une autre clause du même traité, le comte reconnaîtra enfin que les consuls, manants et habitants d'Ussel ne sont pas tenus envers lui au serment de fidélité (4). Quand le même seigneur entrera solennellement à Ussel, il s'arrêtera tout d'abord devant la porte Duchier pour prêter aux consuls en robe rouge et tête nue le serment que le vicomte Hélie, son lointain prédécesseur, avait déjà renouvelé en 1298 (5).

Henri de Lévy, duc de Ventadour, pair de France, comte de la Voulte, refera lui aussi, en des circonstances semblables, le même serment devant la même porte (6).

On doit admirer ici de belles qualités de l'âme usselloise : une volonté, affirmée à travers les générations, de maintenir

(2) Acte de 1298 (Archives d'Ussel) et HUOT, p. 30.

(3) « .nec habebant aliquam rem in feudum nobile ab ipso domino comité., nec domestici nec familiu. »

(4) Livre Noir, pièce 4° (HUOT).

(5) Livre Noir, pièce 6" (HUOT).

(6) Livre Noir, pièce 7" (HUOT).


intactes les libertés communales; une énergique résistance aux prétentions qui pourraient les amoindrir; une fidélité constante à la signature inscrite au bas des actes. La transaction de 1532 est un chef-d'œuvre : les Ussellois ont su négocier un accord sans faire aucune concession au délégué comtal et obtenir pleine satisfaction sans céder quoi que ce soit des droits précédemment reconnus. Leur énergie se manifesta encore lorsqu'il s'agit d'obtenir de l'autorité seigneuriale la ratification de l'accord. Le comte et sa mère se trouvaient au château de la Voulte, en Vivarais. Au bout d'un an ils n'étaient pas rentrés à Ventadour. Avec raison les Ussellois s'inquiétaient, craignant que le comte Gilbert ne veuille plus signer une décision que son mandataire (7) avait dû accepter dans des conditions désavantageuses. Il fallait en finir. Résolument et courageusement, l'un des consuls, Martin Monloys, enfourche un cheval, se fait suivre d'un notaire et d'un témoin, et tous les trois chevauchent vivement vers la Voulte par le pont des Salles et Saint-Angel.

Ils arrivent sur les bords du Rhône. Auprès de la comtesse et de son fils, Monloys opère adroitement et obtient la ratification. Il est si habile et si résolu qu'il introduit dans l'acte une disposition supplémentaire. Et il revient, triomphant, vers ses compatriotes soulagés.

Audacieuse démarche, couronnée d'un succès éclatant, et belle page de l'histoire d'Ussel!. C'est également un aperçu de la lutte, tantôt violente, tantôt sourde, menée par les consuls contre les seigneurs, durant cinq siècles, pour le maintien des libertés traditionnelles et l'accroissement du bien-être de la population. Avec quelle ardeur, quel dévouement, quelle conviction, quelle fermeté, quelle persévérance, les consuls agissaient! Et quelles réussites, parfois brillantes, récompensaient leurs hardis et opiniâtres efforts!

En 1622, « toutes contestations entre les seigneurs de Ventadour et les habitants d'Ussel furent terminées par

(7) Antoine Andrieu, écuyer, seigneur de la Ganne, élu pour le roi en Bas-Limousin (HuoT, id., pp. 3 et 4),


une transaction passée devant les Conseillers du Roi, notaires au Chàtelet de Paris » (8).

Ainsi, entre Ussel et les Ventadours, aucun lien féodal : les Ventadours n'étaient pas, n'avaient jamais été, ne seraient jamais seigneurs féodaux de la ville. Mais ils possédaient sur celle-ci des droits de justice, que les ducs continuèrent d'exercer par l'intermédiaire de leur sénéchal (9).

IV

Les Affaires. — Audiences. Fériés. Composition du Tribunal. Compétence. Etendue juridictionnelle. — Causes civiles. Noms de plaideurs.

Appels de justices ordinaires et seigneuriales. — Décision d'intérêt général. — Enregistrement et publication d'actes d'autorité supérieure.

— Décès du duc de Ventadour. — Au Criminel. Faits punissables. —

Les fours banaux. L'Aubépin. Barbier de Villeneuve. — L'émeute de Maumont. Les incartades de trois jeunes Ussellois. — Recèlements de grossesses. Marie Astier. Autres peines. Libertinage. - L'assassinat du Seigneur de Margerides.

Une fois par semaine, le tribunal siégeait, assez régulièrement durant toute l'année, à l'exception de la période des fériés. En 1700 — date à partir de laquelle les plumitifs ont été conservés — il y eut 21 audiences en 7 mois; en 1701, 35 en 10 mois; en 1735, 27 en 7 mois; en 1770, 23 en 7 mois. Les fériés ne commençaient ni ne s'arrêtaient à jour fixe; elles allèrent, en 1700, du 13 septembre au 15 novembre; en 1701, du 7 septembre au 14 novembre; en 1708, du 20 juillet au 2 octobre; en 1735, du 18 juillet au 12 septembre; en 1736, du 20 juillet au 10 septembre; en 1737, du 19 juillet au 20 septembre; en 1770, du 16 juillet au 10 sep-

(8) DELMAS, id., p. 77.

(9) En 159!), les « seigneurs de Chasteauvert et d'A ngla rdz » avaient « quelque droict en la justice de la ville » (Contrat du 15 novembre 1599). Ils vendirent leurs parts aux Ventadour : les Chateauvert, le 7 novembre 1612, les d'Anglards le 17 juillet 1658.


tembre; en 1771, du 19 juillet au 9 septembre; en 1785, du 2 septembre au 14 novembre, avec audiences extraordinaires les 12, 17, 20, 23 septembre, les 29 et 31 octobre et le 6 novembre (1). On désignait, du nom général de « séance » (2) tout le temps de travail compris entre la première et la dernière audience de l'année judiciaire : séance, c'est-à-dire le temps durant lequel le tribunal était séant, siégeait.

C'est le lundi qu'avaient lieu les audiences. Rarement furent-elles tenues un autre jour. Il y en eut seulement 3 le mardi et 2 le mercredi en 1700; 9 le mardi et 2 le mercredi en 1701; 2 le mardi en 1735; 5 le mardi et 2 le vendredi en 1770. Elles s'ouvraient, soit à neuf heures, soit à dix heures du matin, suivant la saison. Le règlement de 1784 les fixa au lundi et au vendredi de chaque semaine, à dix heures de l'ouverture de la séance à « quasimodo », et à neuf heures « depuis quasimodo jusqu'à la fin de la séance » (3). Une heure avant le commencement des audiences, les procureurs devaient, à peine de rejet, « présenter en l'hôtel du président leurs cartels et placets » (4). Il n'y avait pas d'audiences spéciales pour les affaires criminelles (5).

Quand le lieutenant-général manquait, le lieutenant particulier présidait l'audience et un avocat ou un procureur complétait le tribunal. Le conseiller, le procureur principal, l'avocat principal présidèrent quelques fois. En même temps conseillers, le procureur et l'avocat purent exercer les fonctions de juge, le cas échéant (6).

(1) Arch. Cor., B. 414 à B. 479.

(2) Arch. Cor., B. 463, B. 469. Voir aussi le contrat du 15 nov. 1599.

(3) Arch. Cor., B. 414 à B. 479. — Règlement pour la tenue des audiences (1784) : B. 469.

(4) Arch. Cor., B. 469. — « .A Ussel, en nostre hôtel, par devant nous, Antoine de Bonnet. » (1723); « .A Monsieur le Sénéchal de Ventadour ou Monsieur son lieutenant. » (1702-1750). (Documents personnels.)

(5) Au présidial de Tulle les affaires civiles ne furent séparées des affaires criminelles qu'à partir de 1780 (Arch. Cor., B. 804),

(6) Arch. Cor., B. 414 à B. 687, passim.


Henri III de France avait octroyé au sénéchal de Ventadour des pouvoirs équivalents à ceux des autres sénéchaux du royaume, réservant toutefois les « cas royaux » (1578).

Ressortissaient de la cour ducale les causes civiles et criminelles que les vassaux et arrière-vassaux eussent auparavant intentées en première instance devant le siège royal de Tulle. La sénéchaussée formait le tribunal d'appel des justices ordinaires et seigneuriales incluses dans le duché, tandis que les appellations des jugements du sénéchal allaient, suivant leur importance, devant le présidial de Tulle ou devant le parlement de Guyenne (7). Privilège insigne accordé à un simple duc, hier comte, demain pair.

En première instance, écrivait Pierre-Léonard Diousidon, la sénéchaussée de Ventadour comprend la ville d'Ussel avec ses cinq faubourgs et près de cent villages qui en dépendent. En appel, elle embrasse « plus de cent cinquante juridictions, un grand nombre d'abbayes ou de prieurés, et plusieurs terres composées de dix, douze ou quinze paroisses. Son ressort est plus étendu que ceux de Tulle et de Brive; ceux de Nevers et de Montpensier sont les seuls qui puissent lui être comparés » (8). Le ressort s'étendait d'Herment à Tulle, de Neuvic à Donzenac, de Saint-Setiers à Saint-Chamans, et couvrait, de l'aveu d'Henri III, « une des plus belles et antiennes » terres du « royaulme ».

Parmi les affaires jugées en première instance — de 1700 à 1789 — on remarque assez fréquemment des poursuites contre des tenanciers. Les grands noms du pays limousin apparaissent ici : Joseph de Bort, chevalier, seigneur de

(7) Lettres patentes de février 1578 (reproduites par HuoT, id., pp.

24 et 25). Arch. Cor., B. 583.

On pouvait donc, pour les litiges nés dans le ressort, s'adresser directement au sénéchal, sans passer par un juge subalterne. Si l'on avait saisi ce dernier, et que l'on fit appel de sa sentence, l'appel devait être interjeté, obligatoirement, devant le sénéchal.

(8) Cité par HuoT, id., p. 103. — « Ce ressort, un des plus étendus de l'époque. » (René FAGE, Excursions limousines, II, 130.)


Pierrefitte (1769); Jacques de Castries, baron d'Anglards (1743); Marie d'Escars, veuve de François d'Hautefort, marquise de Saint-Chamans (1743); Françoise de Fontanges, marquise de Maumont (1743); Louis, marquis de Fontanges (1771); Joseph de Gains, seigneur de Montaignac (1744); Jean de Joussineau, comte de Tourdonnet (1784); Jean de Lauthonie, seigneur de Lagarde (1771); Raymond de Lavaur, comte de Sainte-Fortunade (1748); Hercule-Mériadec, prince de Rohan, et Charles de Rohan, prince de Soubise, seigneurs du duché de Ventadour (1747); LouisFrançois de SOlldeilles, marquis de Saint-Yrieix, la Gane, le Bazaneix, lieutenant du roi en la province du Limousin (1741); le marquis d'Ussel, baron de Chateauvert (1763).

Il y a aussi François Dubois, seigneur de Margerides et de Saint-Julien (1787); Gabrielle Fénis de Lacombe et son fils, Charles-Ignace Chauveau, baron de Rochefort (1772); Jacques de Fénis de Tourondel, brigadier des gardes du corps (1786); Guillaume Chassain de Fonmartin, seigneur de Charlusset (1777); Jean de Fonmartin, seigneur de la Mauriange (1755); Antoine de Pouthe de la Roche-Aymon, seigneur de la Ville-du-Bois, Mareille, etc. (1778). Les tenanciers s'appellent Beynes, Chambiges, Clément, Combes, Faugeron, Lacroix, Manzagol, Mempontel, Monéger, Mignon, Rebeyrix.; les lieux, Bourbouleix, ChantegriJ, Chassagnac, la Doullange, Lespinasse, le Mazel, la Rebière, Valiergues, Vernéjoux, Vernengeal (9).

Les demandes d' « avérations » de signatures ou de promesses entraînèrent des procès entre Jean Arzilier, voiturier d'Ussel, et le seigneur de la Chabanne (1745); entre Guillaume Blatin, négociant de Clermont-Ferrand, et Guillaume Demichel, de Saint-Dezéry (1789); entre François Boy, sieur de la Combe, et Roger Dufayet de la Tour, écuyer, seigneur de la Bastide (1760) (époux d'Angélique Ebrail); entre Antoine Dufayet de la Tour, lieutenant au régiment de Poitou-Infanterie (fils de Roger), et Antoine Demasson,

(9) Arch. Cor., 13. 414 à B. 479, passim.


seigneur de Saint-Félix, écuyer (son gendre; marié à Jeanne du Fayet) (1783); entre Catherine Champeval, veuve de Jean Laselve, maître chirurgien à Neuvic, et Jean Lavergne, curé de Saint-Etienne-aux-Clos (1745); entre Michel Clédière, étudiant au collège de Tulle, et Jean Chavaignac, bourgeois d'Ussel (1760); entre François Dupont, marchand de la ville de Tulle, et Marguerite de Bonnet, veuve du sieur de Badour (1735); entre M. de Lasserre, de Neuvic, et M. de Lamazière (1700); entre les frères Mandon, d'Ussel, et Jean de Fonmartin de Lespinasse (1737); entre Jean Puyraimond, marchand de Saint-Julien-près-Bort, et Annet Sauty de Châlons (1769), procureur d'office de la justice d'Aix, notaire royal, époux de Catherine Eybraly (fille de GilbertVincent Eybraly, sieur de l'Ebraly, et de Marie Lignareix) ; entre, d'une part, haut et puissant seigneur Léonard, marquis d'Ussel, officier au régiment du Roi, et Jean-Hyacinthe, vicomte d'Ussel, chevalier honoraire de Malte, et, d'autre part, Antoine de Bonnet, seigneur de la Chabanne (1787); entre Martin Vialatte, syndic de l'hôpital d'Ussel, Mathieu Vialatte, cavalier de la maréchaussée, et M. de Fonmartin de la Mauriange (1750) (10).

(10) Arch. Cor., B. 426, B. 479, B. 439, B. 564, B. 426, B. 417, B. 414, B. 419, B. 541, B. 474, B. 431. — Gilibert l'Ebraly et Marie Lignareix étaient déjà (1724) les beau-père et belle-mère de Jean Forsse, bgs, chirurgien.

Annet Sauty : avocat; notaire royal (1759, 1774); procureur d'office des juridictions d'Aix (1769), d'Eygurande (1777), du Chavanon et de Charboudèche (1782), seigneur de Châlons (1763, 1785). (Arch. Cor., B. 446, B. 485, B. 541, B. 626, B. 629, B. 440, B. 470.) 1766 : « D'après l'examen d'une reconnaissance de 1497, il est reconnu haut, moyen et bas justicier du village de Chaslon. » (B. 446.) Châlons, par. d'Aix.

L'Ebraly, par. de Saint-Dezéry. — Aux environs de 1744, GilibertVincent Eybraly, riche négociant de la région, acquit la terre noble de l'Ebraly (le petit Eybrail, l'Eybraily), ancien fief des Bonnet de la Chabanne et des Andrieu du Teil, et, comme les Andrieu, se titra sieur de l'Ebraly. Peu d'années après, à la suite du mariage d'une de ses filles, cette propriété devint la possession et la résidence des Sauty de Châlons. Les Eybraly demeurèrent dans le voisinage, principalement à Catalot, même paroisse; au village de la Jaloustre, par. d'Aix, dans un domaine acheté en 1741 par Gilibert qui l'habitait en 1753; et au Chassergue, par. de Courteix, où se fixa un des derniers enfants de Gilibert, François, époux d'Anne Redhon. Le fils aîné de François,


Retrait féodal, retraits lignagers, rétribution de messes, contestations de droits de justice, rentes dues, comptes entre parties, successions, saisies, dettes, autorisations de justice, vérifications d'écritures, interprétations d'écrits, provisions alimentaires, propriété, passage, serments décisoires, exécutions d'obligations ou de promesses, troubles de possession, recours de tenanciers, telles sont des affaires inscrites sur les plumitifs d'audience (1700-1789), où figurent aussi des séparations de biens et des séparations de corps : séparations de biens poursuivies par Marie-Charlotte Autier de Villemontée contre Antoine Delmas de Grammont (1783); par Françoise Bouharde contre JeanBaptiste Meschin (1712); par Marguerite Gorsse contre Jean Dubois de Margerides (1763); par Pierre de Laborde contre Elisabeth de Neuchèze (1771); séparation de corps, par Jeanne Arzilier contre Firmin Barbier de Villeneuve (1781), par Irénée Col de la Porte contre Joseph de la Croix de Castries (1782), par Françoise de Loyac de la Bachellerie contre Hierosme de Douhet d'Auzers qui l'avait un jour dé-

Gilbert (1773-1813), marié à Françoise Sapin (a), vécut au Chassergue, et son fils Charles-Eugène y naquit en 1809. Cette branche était la plus riche, la mieux apparentée, la plus cultivée de la famille dont certains membres, moins favorisés, retombèrent en paysannerie. Son nom changea progressivement : Eybraly, Leybraly, Lébraly (1809), L'Ebraly, l'Ebraly (b). Maire de Courteix sous l'Empire, Gilbert signait avec soin : L'Ebraly. Ce sont les Eybraly du Chassergue, devenus l'Ebraly, qui, entre 1829 et 1837, après l'éloignement (c) ou la mort des Sauty de Châlons, s'établirent au lieu et sur la terre de l'Ebraly, actuellement héritage des arrière-petits-enfants de Charles-Eugène.

(Reg. de l'état civil; Arch. Cor., B. 517, B. 658, B. 594, B. 550, B. 622; CHAMPEVAL, Bas-Lim., pp. 268 et 354.) (a) D'abord Sapin (1809-1811), puis Sappin de Roussine (1829-1837).

(b) Pour le rameau de Chassagnac-Chaveroche (auteur : Noël JeanBaptiste, 1789-1839, frère cadet de Gilbert) la transformation s'est arrêtée à : Lébraly.

(c) Août 1940 : X. Sauty de Châlons, conseiller honoraire à la Cour des Comptes. — Guillaume, son fils.

Février 1941 : Louis Chalus du Chéry et sa femme, née Sauty de Châlons, au château des Maillets, près de Dornes (Nièvre).


pouillée de ses vêlements et fustigée dans la basse-cour de leur résidence de Laveix (1771) (11).

Pour tous ces procès, une foule de plaideurs vint en justice. Leur énumération exigerait un volume et dépasserait le cadre de cette étude. Il convient toutefois d'ajouter quelques noms à ceux indiqués ci-dessus. Voici Jean Beaune, tambour-major de la milice (1759); Jérôme de Boucheron, curé d'Ussel en 1701, Jean Ternat en 1717, Pierre Laurens (licencié ès droits civil et canon) en 1742, Pierre Ternat en 1761, Pierre Forest de Masmoury en 1789; Etienne de Cardaillac, prieur de la Fage (1732); Jean de Cardaillac, écuyer, seigneur de la Nouaille (1715); Jean Chauveau, écuyer, seigneur de Rochefort (1701); Antoine Conchon, marchand (1675); Joseph-Mathieu de Cosnac, chevalier, seigneur du Tillet et d'Arsac (1779); Jean Dellestable, fermier des revenus du monastère de SainL-Angel (1760); Jacques Dumont, menuisier, et Suzanne Goudounesche, sa femme; Jean d'Escorailles, comte de la Roussille, marié à Eléonore Desplas (1679); Théodore d'Escorailles-Fontanges, marquis de Roussille (1744), brigadier des armées du roi; Gaspard Esparvier, commissaire général des saisies pour le duché de Ventadour (1700). Voici Joseph-Mathieu Forsse, docteur en théologie, curé du Puy-d'Arnac (1715), fils de Pierre, advocat en parlement; Antoine Forsse, vicaire de Sérandon (1758); François-Antoine Forsse, curé de Saint-Pardoux-IeNeuf (1775); François Bernard du Giraudès, seigneur de Lacoste, subdélégué de l'Intendant, juge de Neuvic (1751); dame Charlotte du Gibanel, épouse de « haut et puissant seigneur Messire Jean de Gonzague, de Mantoue et Monferrat, marquis de Gonzague » (1727); François de Salles d'Hautefort, marquis de Saint-Chamans (1732); François de Labarre, écuyer, seigneur de Saint-Germain (1738) et Joseph Lachaze, bourgeois, seigneur de Saint-Germain (1771); Antoine Lachau, juge de Meymac (1780); Joseph

(11) Arch. Cor., B. 414 à B. 479, notamment B. 467, B. 440, B. 455, B. 507, B. 562, B. 560, B. 671. Procureur de Françoise de Loyac : JennBaptiste Forsse (Documents personnels).


Lalée, receveur général aux saisies réelles du duché de Ventadour (1741); Joseph de Lestrange, marquis « dudit lieu » (1739); dame Claude de Lévy-Ventadour, abbesse de Bonnesaigne (1700); Gaspard-André de Long-Vert, principal du collège d'Ussel (1776); François Mornac de Badour, prêtre, curé de Saint-Dezéry et principal du collège (1785); Michel Martinot, fermier des droits de prairies et regains d'Ussel (1741); Joseph-François Masson-Dumas, écuyer, garde de la porte du Roi, gouverneur d'Ussel (1780); François Meschin, lieutenant de la milice bourgeoise d'Ussel (1701); Joseph-Martin de Monloys, seigneur de Mareille, « habitant ledit château » (1735); Louis de Paule, chevalier, seigneur de Soudeilles, du Lieuteret, du Bazaneix, de la Gane (1741).

C'est encore Philippe de Peyrissac, abbé de Bonnaigue (1700); Robert Pascal, abbé de Bonnaigue (1713); Antoine de Fondary, abbé de Bonnaigue (1723); François Dulac, seigneur-abbé de Bonnaigue, vicaire général de l'ordre de Citeaux (1770); Martin Prouzergue, chantre et organiste à Ussel (1769); Joseph Randon de Chateauneuf, marquis d'Apcher (1781); la marquise de Salvert, tutrice des enfants de feu le marquis d'Ussel (1777); Louis de Soudeilles, veuf de Philiberte de Sédières (1708). Et Guy d'Ussel, baron de Chateauvert, du Bech, héritier de feu Gilibert d'Ussel, son père (1678); et Marc-Antoine d'Ussel, chevalier, baron de Chateauvert, seigneur de Lagarde (1762); et reverendissime dame Léonarde-Gabrielle d'Ussel de Chateauvert, dame abbesse de l'abbaye royale de Bonnesaigne (1762); et Gabriel de Valon, comte d'Ambrugeat, lieutenant au régiment de Maine-Infanterie (1784). Oublierait-on Joseph Bardinet, syndic des Bénédictins de Meymac (1769), Pierre Boucher, prieur bénédictin de Saint-Angel (1742), Françoise Cramouzaud, supérieure des Ursulines d'Ussel, en religion sœur Saint-François (1781)?. (12).

Outre les procès intentés directement devant lui, le tribunal de sénéchaussée statua sur les appels civils et crimi-

(12) Arch. Cor., B. 414 à B. 493 et B. 501 à B. 636.


rieis des juridictions inférieures ordinaires ou seigneuriales. dont il avait, suivant les prescriptions d'Henri III, la connaissance immédiate et le privilège exclusif (13).

Dans un espace d'environ cent ans, j'ai compté, pour 150 juridictions ressortissantes, 87 appels seulement. 23 sentences furent confirmées sous la forme d'un « congé de bien jugé » ou d'une ratification; 64, infirmées ou cassées. Que les appellations aient été assez rares, les jugements réformés peu nombreux, et donc la justice inférieure bien rendue dans le duché de Ventadour, quoi d'étonnant? Les juges du premier degré n'étaient-ils pas, presque tous, des bomines.de loi expérimentés : avocats ou procureurs (14)?

L'an 1748, un appel de la juridiction de Saint-Chamans mena devant les juges le nommé François Sudric, « valet de chambre de M.' de Segondat, conseiller au parlement de Bordeaux ». En.M. de Segondat, qui n'a reconnu le grand Montesquieu (15)? Le lieutenant-général et ses assesseurs durent résoudre des conflits de juridictions : en 1750, un conflit entre l'ordinaire de .VentadoUr et l'ordinaire de Neuvic et Peyrou,; en 1760, un conflit entre l'ordinaire de Neuvic et Peyrou et la justice prieurale de Saint-Etienne-la-Geneste (16).

Des tracasseries vinrent du siège royal de Tulle, qui ne pouvait admettre la diminution sensible de son ressort causée par la création de la sénéchaussée usselloise. Les Tullistes, s'exagérant les effets de cette diminution, craignaient de tomber « en pauvreté », de voir leur cité,« marchande et populeuse » devenir « déserte et non fréquentée ». Ils

(13) « Par devant lequel seneschal dudict duché de Ventadour toutes causes civiles et criminelles qui se dévolueront par appel "tant des officiers ordinaires dudict duché que des officiers des terres, juridictions et seigneuries qui rellèvent en fief, arrière-fief ou aultrement en foy et hommaige d'icellui, ressortiront immédiatement. » (Lettres patentes de 1578.) Voir ci-dessus, p. 32 et renvoi 7.

(14) Arch. Cor., B.414 à B. 493-et B. 501 à B. 636.

(15) Arch. Cor., B. 523. — En réalité, Montesquieu avait quitté le Parlement de Bordeaux en 1726 ou 1727, étant président à mortier.

(16) Arch. Cor., B. 43 à B. 438. -


réagirent, et leurs empiètements furent tels, malgré l'arrêt de 1601 approuvant l'érection, que les magistrats d'Ussel, outrés, durent se plaindre d'anticipations « immodérées ».

La lutte, sourde ou bruyante, dura jusqu'au dernier moment (17). Tulle recherchait la suppression du siège de Ventadour. Ussel demandait au contraire la transformation de la sénéchaussée en présidial, désir que l'on retrouve exprimé dans les Cahiers du Tiers, de 1789 (18).

En dehors des cas particuliers soumis à son jugement, le tribunal prit certaines décisions d'intérêt général. Il réglementa la vente de la viande et des volailles, et fixa le prix d'une livre de bœuf à deux sous six deniers (1760). Contre les abus des cabaretiers, il tarifia le prix du vin à sept sous la pinte pour le vin du Limousin et à six sous pour celui d'Auvergne (1766). Son règlement sur les poids et mesures prescrivit la confiscation des instruments, avec une amende de dix livres, au cas de contravention (1760). Afin d'éviter le trafic des revendeurs, il défendit aux marchands d'aller, aux alentours de la ville, à la rencontre des porteurs de denrées (1764). Pour protéger les maisons couvertes de bois et de paille, il ordonna que les cheminées devraient être ramonées quatre fois par an au moins (1764) : mesure d'autant plus sage qu'un incendie avait, peu d'années avant (1755), détruit quinze maisons dans le faubourg du Thuel (19) et un autre (vers 1739) « la plus grande partie de la ville » (20).

A cette époque de vie plus facile qu'aujourd'hui, les œufs coûtaient deux sous six deniers la douzaine (1747), et

(17) En 1788 encore, conflit à propos des appels de Saint-Julien (Arch. Cor., B. 455). Sur cette lutte, voir E. DEcoux-LAÚOUTTE : « Juridictions royales en Bas-Limousin. » (Bull. soc. Lettres Cor., t. IV, pp. 408 à 412, et t. V, pp. 555 à 557.)

(18) HUOT, id., p. 101. Arch. Cor., B. 477.

(19) Arch. Cor., B. 439, B. 446, B. 442, B. 604. — La porte du Thuel paraît avoir été démolie en 1773 (B. 622).

(20) CHAMPEVAL : Bas-Lim., p. 244.


les visites médicales hors ville quinze sous (1765). Un perruquier comptait treize livres dix sous « pour neuf mois consécutifs d'accomodage » (1782) (21).

Un aspect des fonctions du tribunal fut d'enregistrer et de publier diverses décisions royales transmises par le Parlement de Bordeaux. Ainsi en advint-il pour les édits de 1750 sur les établissements de main-morte, de novembre 1764 relatif aux Jésuites, de 1767 autorisant toutes personnes; sauf les magistrats, à faire le commerce en gros, de 1769 concernant la levée du second vingtième; des déclarations du Roi de 1737 sur les registres des marchands, de 1741 sur la levée du dixième des revenus, de 1742 sur les curés, de 1752 sur la création d'une noblesse militaire, de 1759 sur les biens des religionnaires, de 1769 sur les cures des villes murées, de 1788 sur la prochaine assemblée des Etats Généraux; des lettres patentes de 1779 relatives aux manufactures, de 1783 sur les maîtres et ouvriers, de 1786 sur les privilèges de la juridiction du Point d'Honneur.

Deux arrêts du Parlement de Bordeaux, l'un du 13 mai 1774 enjoignant aux sénéchaux de maintenir les peuples sous l'obéissance du Roi, l'autre de 1787 interdisant l'inoculation dans l'intérieur des villes du ressort, furent également au nombre des actes de l'autorité supérieure enregistrés par la Cour du sénéchal (22).

Au mois de juillet 1787, le 7e duc de Ventadour mourut.

C'était le fameux Soubise dont le souvenir est lié à la bataille de Rosbach (5 novembre 1757). A notre mémoire montent les vers satiriques le représentant avec une lanterne à la main, dans la nuit noire, à la recherche de son armée le soir du malheureux jour. Une telle raillerie, transmise de

(21) Arch. Cor., B. 596, B. 445, B. 466.

(22) Arch. Cor., B. 414 à B. 493 et B. 501 à B. 636.


génération en génération, a défiguré la physionomie historique de ce brave et intrépide soldat qui, l'année suivante, remporta deux succès dans la Hesse. Orphelin à neuf ans (1724), Charles de Rohan, prince de Soubise, d'Espinoy, de Maubuisson, maréchal de France (23), ministre d'Etat, avait hérité du fief de Ventadour au décès de son grand-père, Hercule-Mériadec, duc de Rohan-Rohan, survenu en 1749.

Après lui, le duché revenait à sa fille Armande-Josèphe, épouse du prince Henri de Rohan-Guéménée. En apprenant la mort de celui qui était duc de Ventadour depuis 38 ans, la sénéchaussée décida de faire célébrer un service solennel à l'église d'Ussel, et prescrivit aux desservants une cérémonie funèbre dans chaque paroisse de la mouvance (24).

Pénalement, ou plutôt criminellement, car c'était la seule expression en usage, la sénéchaussée ducale eut à réprimer, outre les vrais crimes, des infractions du genre de celles que nous voyons couramment se produire : vols, coups, menaces, disputes, rixes, bris, recel., tant il est vrai que l'être humain reste le même, au lieu d'aller en s'amendant.

Voulez-vous connaître quelques faits punissables? Ce sont des vols de poissons dans le réservoir des Salles, dans le réservoir de Couzergue, dans celui de Vigier, dans l'étang de Bonnaigue; de truites à Venard, de bestiaux à Neuvic, de bourses à Ussel, d'argent à Chassaignac. Voici des coups de bâton sur un bourgeois de la ville par un boulanger du nom d'Estrade, des blessures avec une canne à lance, ou

(23) Titres et qualités en 1755 : « Son Altesse Monseigneur Charles de Rohan, prince de Soubise, duc de Ventadour, capitaine lieutenant des gens d'armes de la Garde du Roi, gouverneur pour Sa Majesté des provinces de Flandre et de Hainaut, lieutenant-général des armées. » (Arch. Cor., B. 708.) En 1785 : « Son Altesse Sérénissime Monseigneur le Mareschal prince de Soubise, duc de Ventadour. » (Arch.

Cor., B. 470.) C'est lui qui fit construire dans le quartier du Marais, à Paris, le magnifique hôtel où, depuis 1808, sont établies les Archives nationales.

(24) Arch. Cor., B. 474.


avec une mesure d'étain jetée à la tête; des menaces de mort et d'incendie; des disputes au cabaret, à la fontaine, sous la halle, sur les fossés; un soufflet par Gabriel Bardinot, meunier de la Rebeyrotte, à un huissier venu saisir ses meubles. Le cadenas d'un tronc de l'église Saint-Martin est brisé pendant la nuit; une serrure de la maison Bonnot saute. Des rixes ont lieu dans les auberges, dans les boulangeries, à Beauregard, à la Bardoire, au cours d'une fête à la porte Duchier, sur la place publique entre le soldat Graffoulière et le praticien Goudounesche. On se dispute au sujet des landes de Ratou et de celles de Vergnolles, et l'on se bat à coups de pierres pendant une réunion de cordonniers tenue « sous l'Aubépin » (25).

D'autres encore?. En passant « sous l'Aubépin », le lieutenant de Confolens, Jean Chabannes, est maltraité par Antoine Moncourrier et Jean Chavanon. Dans la rue allant des Ursulines à la porte Duchier, la nuit, les nommés Fenouillac et Faurin assaillent François Chassaing, domestique de Jean Arzilier, aubergiste. De folâtres jeunes gens s'amusent à lancer des cailloux à un groupe d'ouvrières se baignant dans la Sarsonne, et l'une d'elles, Jeanne Chiniac, soutient ensuite que ces jeunes gens les ont injuriées, obligées à sortir de la rivière et, finalement, frappées. Au domaine du Charlat, appartenant à Jean Demichel, on enlève du pain et de la farine. A l'église d'Ussel, un calice et sa patène disparaissent de l'armoire, cependant que le sacristain, François Martinerie, est soupçonné de retenir une partie des quêtes et de voler les sacs du curé Jean Ternat. Le fermier des fours banaux dénonce les habitants qui font cuire chez eux du pain de seigle, alors que la pâtisserie est seule permise. (Ces fours étaient placés dans la partie centrale de la ville, entre l'église et l'entrée du Thuel, à quelques mètres des maisons Bonnet et Cosnac) (1753) (26). Le

(25) Arch. Cor., B. 637 à B. 687, passim.

(26) 27e témoin de l'enquête Bonnet-Bonnot.

Fermiers des fours banaux : 1741, Jean Monestier (Michelle Basilie, veuve Lavergne, sa gérante). Arch. Cor., B. 421; 1754 : Marcel Chiniac (id., B. 603).


quartier avait sa « Rue du Four-Banal ». Une autre rue appelée « Derrière les fours » « est une rue peu usitée », prévenait un citadin rendu prudent par une mésaventure (1784) (27) : s'agirait-il de la rue Esparvier actuelle, si importante au moyen âge et bien déchue au XVIIIe?) Soit à la suite de plaintes, soit directement sur réquisitions du procureur principal, des informations s'ouvrent et se poursuivent contre des individus qui, au pont des Salles, la nuit, ont démoli les garde-fous et les ont jetés dans la Diège; contre Léonard Culinas, surnommé Gastepaste, et Marie Sudrie, appelée Navaronne, coupables de vols commis ensemble; contre les gens qui ont attendu François Diousidon à la sortie de l'auberge Maignac dans l'intention de l'assaillir; contre le sieur Demichel pour avoir « assommé » Jeanne Conches en passant au village de Ratou; contre François Estager, sur la demande des femmes de Bonnesaigne, vexées qu'il ait établi une liste des maris trompés de leur paroisse; contre Pierre Couderc, d'Aix, qui a tendu un guet-apens à Jean Veyssière, de Saint-Etienne, dans la rue « conduisant à la porte de l'Aubépin » (peut-être devant la maison Chastagner; peut-être à l'angle de l'enclos Chaminade) (28). - Ne pensez-vous pas que ce nom d'Aubépin revient un peu trop fréquemment? L'Aubépin (ou aubépine) se trouvait à la sortie de la porte Séclide, du côté de la prairie. C'était un arbre sous lequel il y avait une croix scellée dans une pierre. Les Ussellois en promenade s'as- seyaient volontiers sur cette pierre (29). Des artisans ve-

(27) Arch. Cor., B. 638, B. 665, B. 684, B. 640, B. 638, B. 639, B. 650, B. 683, B. 596, B. 536.

(28) Arch. Cor., B. 644, B. 649, B. 664, B. 650, B. 647, B. 641.

(29) Arch. Cor., B. 638, B. 647. — Aubépin, masculin d'aubépine.

« Le mot d'aubépine est beaucoup plus d'usage que celui d'aubépin qui ne se trouve que dans des poésies anciennes. » (Dict. de l'Académie fr., éd. de 1822.) « Aubépin a été employé par Régnier », Marot, Palissy, Paré. (Littré, éd. de 1875), par Ronsard aussi (Odes, 4" livre) : .« Vy, gentil aubespin. Vy sans fin. Vy sans que jamais tonnerre. Ou la coignée ou les vents. Ou les tems. Te puyssent ruer par terre. »

Une ruelle voisine a été dénommée « rue de l'Arbre-Pin. » Arbre


naient, les soirs d'été, tenir leurs réunions ici. Seulement, quand il faisait nuit noire en ce coin tranquille et retiré, le passant attardé, regagnant la ville, reconnaissait difficilement, franchie l'enceinte, les personnes embusquées dans un enfoncement de rue ou à l'entrée d'une ruelle obscure.

Au delà de l'Aubépin, ondulait la campagne à travers quoi les malfaiteurs pouvaient s'enfuir et se cacher. L'endroit était propice aux mauvais coups, aux traquenards.

Des plaintes m'attristèrent : celles de Jeanne Arzilier, deuxième femme du dernier maire perpétuel, qui accusait son mari de mauvais traitements et son ancienne « fille de chambre » d'injures « graves » et « grossières » (30). Et je pensais au dernier maire, à ce pauvre Firmin Barbier de Villeneuve qui eut une existence déplorable. Fils d'un secrétaire du roi, investi par délégation d'une parcelle de l'autorité souveraine, il alla de chute en chute, pour tomber au rang de policier sous la Restauration. Après s'être uni en mariage à l'une de ces bonnes familles bourgeoises qui se confondent avec la petite noblesse, devenu veuf il épousait sa propre gouvernante, que bientôt il rouait de coups, et la fille issue de cette alliance disparate devait être, de son vivant, la femme d'un gendarme de notre localité. Il prit une troisième épouse dans un milieu semblable à celui de lr précédente. A la veille de sa mort, le gentilhomme qui, en son bel âge, mandataire du roi de France, avait tenu le premier rang à Ussel de concert avec le lieutenant-général, n'était plus, dans la même ville, qu'un insignifiant commissaire de police, grand beau-père d'un tenancier d'auberge (31).

Voici deux autres incidents sur lesquels informèrent les lieutenants du sénéchal. Gilbert de Boucheron, seigneur de

Pin? On constate ici une déformation populaire d'Aubépin sanctionnée innocemment par un Conseil municipal trop ignorant du passé de la ville.

(30) Arch. Cor., B. 680, B. 681.

(31) Reg. par. et reg. de l'état civil d'Ussel, et Arch. Cor., B. 675, B. 679, B. 680, B. 681, B. 682.


Saint-Hippolyte et de Chalusset, âgé d'environ 60 ans, était à table avec les siens, au château de Maumont, sa résidence, le 8 mai 1713, lorsque trois individus, conduits par le chapelain Dubois, vinrent « insolemment » — c'est son mot — lui demander quittance de rentes « qu'ils n'avaient pas payées ». Le sieur de Chalusset congédia « doucement » le groupe, qui sortit, mais presque aussitôt se rendit, armé de fusils, devant la chapelle du château. Les manifestants obligèrent le fils du marguiller à sonner la cloche. Ils savaient qu'à ce signal les paysans d'alentour, prévenus, accourraient avec des fourches, des piques, des fusils, des haches, et ils comptaient pouvoir, grossis en nombre, entourer le château et contraindre le seigneur. A ce moment survint le curé de Rosier et de Saint-Hippolyte auquel Boucheron avait eu recours. Les paroles de bonté que prononça le prêtre calmèrent un peu les séditieux. Ils firent un mouvement de retraite — vite arrêté par les hommes venus à leur aide : et, se portant derechef en avant, renforcés par des arrivées successives, ils pénétrèrent cette fois dans les dépendances, s'emparèrent de morceaux de bois qu'ils allèrent entasser devant le portail, puis allumèrent un grand feu. De nouveau, le curé, qui les connaissait tous, leur parla charitablement.

Mêlé au peuple, il n'ignorait point la rancœur de certains et avait compris le mobile du « tumulte ». Il raisonna si adroitement les mécontents, il sut être si persuasif, que, « après plusieurs remonstrances », dit simplement le texte, ils finirent tous par se retirer. La nuit étant venue, ils profitèrent de l'obscurité pour disparaître. Et ainsi s'acheva cette émeute, qu'on pourrait aussi bien placer 76 ans plus tard, parmi les scènes du début de la tragédie révolutionnaire (32).

Second fait. Trois gais lurons de notre ville, « enfants de famille », faisaient des leurs. Le soir, ils « vagabondaient » dans les rues, hantaient les pires cabarets, vivaient dans la débauche. En plein jour, ils poussaient jusqu'aux villages voisins où, pour s'amuser aux dépens des paysans,

(32) Arch. Cor., B. 641.


ils tuaient sous leurs yeux, avec des couteaux de chasse, la volaille qui se trouvait sur leur passage. A bout de ressources pécuniaires, ils convinrent de s'approprier une maison de campagne appartenant au père de l'un d'eux et habitée par une dame octogénaire. Ils connaissaient la demeure : déjà, ils y avaient bu quelques bouteilles de vin et consommé « du pain et du fromage ». Munis d'armes à feu, ils s'emparèrent sans peine de l'immeuble. Prestement, ils firent main basse sur tout ce qu'il renfermait : ustensiles de ménage, draps de lit et couverture de la vieille dame qu'ils chassèrent, sacs de grains qu'ils transportèrent « clandestinement » et « toujours armés de fusils » dans une maison d'Ussel, où ces objets furent mis en vente. Puis, ils ouvrirent un « cabaret public » au rez-de-chaussée. Continuant leur joyeuse existence, ils s'en furent à la Tourette en burlesque cortège, l'un battant du tambour, un nouveau compagnon jouant du fifre, et ils revinrent non moins comiquement, les autres portant, derrière l'orchestre, un seau rempli de vin. Ces plaisanteries, qui eussent mérité une sévère punition de la part des parents, se terminèrent fâcheusement par l'emprisonnement de celui de nos jeunes gens considéré comme le plus coupable. Mais ne se trompait-on pas? Dans les deux autres, il y avait un carme apostat, et c'était lui, des trois, le moins recommaridable (33).

Le crime qu'on appelait alors « recèlement de grossesse » étant sévèrement puni par les ordonnances de 1556 et 1585, une déclaration faite à temps mettait la personne à l'abri.

Sur les registres de la sénéchaussée on relève plusieurs de ces déclarations qui, dans l'ensemble, ont été peu nombreuses. La fille ou la veuve désignait d'ordinaire le séducteur : son maître, le fils de son maître, un parent de son maître, le domestique de son maître, le fils de son voisin, le procureur du Roi en l'Hôtel de Ville, un cavalier du régiment de Gramont, un cabaretier, un cordonnier, un avocat, un huis-

(33) Arch. Cor., B. 659, B. 660.


sier, un tailleur pour femmes, voire, certaines fois, un inconnu. De recherches de paternité, il ressortit ce curieux « usage du pays » que « les fils de la maison et les bergères ont toujours couché dans des lits jumeaux » (34).

Malgré la rigueur des peines encourues, quelques personnes ne voulurent jamais déclarer leur état. Et de temps en temps on trouvait, au réveil, des nouveau-nés exposés à l'entrée d'une église, ou abandonnés à la porte de l'Hôtel-Dieu ou devant l'oratoire de la Chabanne. Un cadavre fut découvert à l'étang de la Rebière (35).

Extrêmement dur était le châtiment. Marie Astier, journalière d'Ussel, convaincue d'avoir jeté une petite fille dans un puits, fut pendue sur le lieu de son forfait. La sentence est conçue en ces termes : « Veu le procès, (les) conclusions définitives du procureur principal du 6" du présent mois, les pièces du procès y référées, ensemble l'interrogatoire sur la sellette subi ce jourd'huy en la chambre du conseil par ladite Astier, le tout examiné, Nous, veu ce qui résulte desdites charges et informations, avons déclaré et déclarons ladite Marie Astier dhuement atteinte et convaincue de grossesse, accouchement et suppression de part; pour réparation de laquelle supretion de part l'avons condamnée et condamnons à faire amande honorable publiquement, la corde au col et une torche de cire ardente à la main du poids de deux livres au devant de l'église paroissiale de cette ville où elle demandera à genoux pardon à Dieu, au Roy et à la Justice de ladite supretion de part; (à estre ensuite) menée au devant de la porte par l'exécuteur de la haute justice, et, ce fait, à estre conduite par ledit exécuteur auprès du puits appelé de Redon situé au fauboug Ducher pour y être pendue et étranglée par ledit exécuteur à une potence qui sera à cet effet plantée proche le puits, où son corps mort de-

(34) Arch. Cor., B. 414 à B. 493 et B. 501 à B. 687.

(35) Arch. Cor., id. — 17 juillet 1782 : « Baptême d'un enfant trouvé ce matin à la porte de la Chabanne, qui a paru âgé de quelques jours, à qui nous avons donné le nom de Léonard Lafleur. » (Reg. par.

d'Ussel.) Manière en usage à l'époque. On se rappelle comment furent traités ceux qui devinrent d'Alembert et Chamfort.


meurera exposé pendant l'espace de 24 heures; et condamnons ladite Astier en trente livres d'amende envers le seigneur de cette justice, Son Altesse Monseigneur le prince de Soubise, et aux dépens envers ceux qui les ont exposés.

Fait et jugé en Chambre du Conseil du siège seneschal de Ventadour, à Ussel, le 19" jour du mois de juillet 1748, par nous, Antoine-Alexis Millange, lieutenant-général audit siège, assisté de Messieurs Duplantadis, lieutenant particulier, et de Bay, conseiller » (36).

Sévères, les juges ducaux le furent quelquefois. Ils condamnèrent le principal auteur d'un recel et d'une suppression à trois ans de galères, son complice à l'exposition et au fouet, la sage-femme à trois ans de bannissement (1780) (37). Ils infligèrent un bannissement de neuf années à Jeanne Peyrout, surnommée « Jeanne de la Galerie », une misérable, qui avait « coupé plusieurs bourses » un jour de foire à Ussel (1713) (38).

Désirez-vous savoir si ces peines étaient trop rigoureuses? Prenez celles d'un tribunal voisin, le présidial de Tulle, dont le ressort touchait celui du sénéchal et s'étendait aussi en Bas-Limousin. On y punit de mort une boulangère d'Ussel, pour avoir caché son accouchement; une servante, Tounitou, de Tulle, coupable d'infanticide; une voleuse, Elisabeth Armand, déjà flétrie de la marque; un individu qui, au cours d'une rixe, en avait tué un autre. A des vagabonds le présidial infligea 7 ans de galères; à d'autres vagabonds, la marque et le bannissement; à deux échappés des galères, le supplice de la roue. Des recèlements de grossesses, dans la région du Port-Dieu, entraînèrent le fouet et le bannissement, tandis qu'un vagabond récidiviste subissait 3 ans de galères (39). C'était donc le même ordre de peines à Tulle et à Ussel.

(36) Arch. Cor., B. 655. — Le droit de condamner à mort (haute justice) — dont ne disposent pas les tribunaux de première instance - suffit à montrer l'importance et l'étendue des pouvoirs de la sénéchaussée.

(37) Arch. Cor., B. 679.

(38) Arch. Cor., B. 641.

(39) Arch, Cor., 6. 909, B. 910, B. 891, B. 892, B. 922, B. 944, B. 895.


Un autre cas de répression intéressait la police des mœurs. Marie Goudouneix, fille d'un armurier de la ville, quoique « encore toute jeune », menait « depuis plusieurs années la vie la plus scandaleuse » : et ce libertinage était favorisé par d'indignes parents qui en retiraient un profit pécuniaire. Le procureur principal, s'appuyant sur les ordonnances de 1254, 1391, 1566 et 1586, demanda au siège, tant pour les parents que pour la fille, une « punition extraordinaire » (1741) (40).

Enfin, je relaterai un événement qui fit du bruit à l'époque : l'assassinat du seigneur de Margerides.

Le lundi 15 mars 1700, à l'heure de midi, Jean Dubois, écuyer, seigneur de Margerides, et son frère Jacques, seigneur de Saint-Julien, adolescent de 17 ans, chevauchaient en compagnie de Jacques Forsse. Nos gentilshommes étaient, tous deux, montés sur le même cheval, Margerides devant, Saint-Julien derrière. Ayant pénétré dans le bois de Montagne, propriété du sieur de Vaux, près de Beauregard, ils aperçurent, dans ce bois, un groupe de gens armés, où ils distinguèrent d'abord des valets à M. de Vaux. Sur le conseil de Margerides, Saint-Julien descend de cheval. Les gens s'approchent et, « d'une furie », menacent le seigneur de Margerides, l'avertissant qu'il lui arrivera ce jour-là « ce quy est préparé depuis longtemps ». Parmi eux, il y a, maintenant bien visibles, le sieur de Vaux, le sieur Langlade, frère de celui-ci, le sieur de Saint-Cantin de Beaufort, le sieur de Bonnefon : les autres ont « plutôt la figure de satellites ». Margerides est toujours à cheval, allant au petit pas; Saint-Julien le suit à pied. Langlade se détache du groupe, un fusil à la main, épaule et tire sur le seigneur de Margerides qui, atteint à la poitrine et à l'estomac, tombe de cheval. Saint-Julien veut porter secours à son frère; mais aussitôt la troupe l'entoure, et le sieur de Vaux s'empresse de lâcher un second coup de fusil sur Margeri-

(40) Arch. Cor., B. 649,


des « dont luy farssy tout le costé droict ». Pensant avoir achevé celui-ci, les assassins se retournent contre SaintJulien, lequel n'ayant aucune arme pour se défendre, prend la fuite, poursuivi par les agresseurs dont les balles se logent dans les arbres. Il sort du bois en criant : « Ayde!

Ayde! MM. de Vaux ont thué mon frère! » ; sur quoi, Forsse, qui s'est tenu à cheval, se met à galoper, demandant : « Justice! On nous assassine! » Le seigneur de Margerides reste dans le bois, étendu par terre, tout ensanglanté, le visage tourné vers le ciel, les mains sur la poitrine, l'épée dans le fourreau, mais le ceinturon « rompu en deux endroits »; du sang sort de la bouche; lorsqu'il est tombé, il a demandé un confesseur. Les assassins se sont éloignés : six ont pris la direction de Vaux.

Cependant le seigneur de Saint-Julien s'est rendu chez le juge ordinaire auquel il a fait une déposition écrite.

Celui-ci va sur les lieux : il trouve Margerides étendu « quasy mort », rendant le dernier soupir, revêtu de son habit bleu, en justaucorps et haut de chausses; ses poches sont vides, et la bourse ne contient plus rien. Le magistrat mande le sieur Mornac, maître-chirurgien juré de la ville d'Ussel, qui arrive précipitamment; et, après examen médical du cadavre, le corps est transporté au château de Margerides.

Dans les jours qui suivirent, l'information ouverte par le juge inférieur, Géraud Monestier, à la demande de SaintJulien, était poursuivie par le lieutenant-général de Ventadour, Antoine de Bonnet de la Chabanne. Le 10 avril, après réquisitions du procureur principal Delmas, Bonnet signait un décret de prise de corps « contre le sieur Langlade, cadet de Vaux » et contre son valet Mourguès, et un décret d'ajournement personnel « contre le sieur de Vaux aysné », « pour raison de meurtre commis en la personne dudit sieur de Margerides ».

Langlade et Mourguès, arrêtés, furent emprisonnés à Ussel. Vaux ne tarda pas à les rejoindre. Puis, tous les trois durent être transférés à Tulle. Ils languissaient dans les cachots de cette ville en attendant de gravir l'échafaud, quand


arrivèrent des lettres du Roi délivrées en leur faveur, à Versailles, au mois de mai de la même année 1700. Par l'effet de ces lettres — qui leur rendaient la liberté Louis XIV, délibérément, absolvait les assassins d'un crime qu'ils avaient indéniablement perpétré (41).

(Cette clémence royale pour des assassins aussi bien déterminés et convaincus ne peut s'expliquer et s'excuser que pour des motifs souverains, qui restent inconnus, mais n'en devaient pas moins être sérieux et valables.)

V

Fin de la Sénéchaussée. — Conclusion

1789. La suppression des justices seigneuriales, durant la pathétique nuit du mardi 4 août au mercredi 5 août, entraîna celle de la sénéchaussée, deux cent onze ans après qu'Henri III en décidait la création.

A cette date la cour ducale vaquait depuis quatre semaines. Sa précédente audience avait eu lieu le 7 juillet 1789, et le plus récent jugement, rendu ce jour-là, rejetait l'appel d'une sentence d'un magistrat ordinaire. Néanmoins, quinze mois s'écoulèrent avant que la suppression devienne effective. Une nouvelle année judiciaire commença, se poursuivit, s'acheva. En septembre 1790, la sénéchaussée continuait de tenir des audiences. Le 3, elle prononçait six jugements. Le 10, par un appointement, elle autorisait des plaideurs à prouver certains faits. Delmas présidait l'audience du 10 septembre, avec deux avocats, Brival fils et Jean Diou-

(41) Arch. Cor., B. 637 (« Assassinat de Messire Jean Dubois, seigneur de Margerides, par Jean-Joseph et Antoine Langlade, sieurs de Vaux, et leurs domestiques » ).

Relevé : 1694, « Anthoine de Langlade, seigneur de Vaux, Crouzat et autres places ». (Reg. par. d'Ussel.) — 1721, « Joseph Langlade de Vaux, bourgeois de Saint-Julien ». (CHAMPEVAL, Bas-Lim., p. 355.)


sidon, comme juges assesseurs, en « l'absence » des autres officiers du siège (1).

Comme la « séance » annuelle élait terminée, les vacations commencèrent. Mais il n'y eut alors aucune réunion pendant les fériés, et l'on sut bientôt que la « séance » ne se rouvrirait pas. Le moment approchait. Avant de disparaître définitivement, la sénéchaussée voulut siéger une dernière fois. Ce fut le 20 novembre 1790, un samedi, en audience « extraordinaire » tenue par Delmas, « lieutenantgénéral », assisté du même Jean Diousidon. Une seule affaire avait été fixée. Avocats et procureurs parlèrent, puis déposèrent sur le bureau les pièces de la procédure. Les juges allèrent prendre connaissance de ces pièces en chambre du conseil, rendirent leur sentence et se retirèrent.

Telle a été la fin digne et simple de la justice du sénéchal (2). Cinq jours plus tôt, le 15 novembre 1790, Louis XVI avait signé la nomination de Delmas au poste de président du nouveau tribunal qui allait, sans heurt, se substituer au siège de Ventadour.

Nous voici aux termes de cette étude.

Jusqu'ici la sénéchaussée d'Ussel était peu connue et mal connue. On avait une tendance à la juger d'après le mémoire de Pierre-Léonard Diousidon, que Huot eut tort de reproduire (3), et qu'il aurait dû plutôt enfouir au fond d'une armoire poussiéreuse : d'autant que ce mémoire, daté de 1731, ne concerne que l'époque où il fut écrit et ne peut, de surcroît, être regardé comme une juste peinture du milieu judiciaire. Diousidon me paraît un esprit chagrin : il critique tout le monde, il dénigre tout, sauf lui, sauf les fonctions de lieutenant particulier qu'il exerce; des faits et

(1) Arch. Cor., B. 481, B. 479. — Guillaume Oemichel, conseiller, « absent » le 10, avait, le 4 septembre, établi un procès-verbal de comparution de parties (id., B. 2.511).

(2) Arch. Cor., B. 2.511.

(3) HUOT id., pp. 103 à 106, et ci-dessus, p. 16.


des paroles, il retient ce qui est défavorable et garde le silence sur le reste. Sa jérémiade déforme la physionomie du tribunal. Qu'il y ait eu quelques défaillances, des fautes, des erreurs, parfois des abus, cela tient d'abord à la nature de l'homme dont le faible est d'errer; cela vient aussi de ce que les magistrats ne se sentaient point retenus par un contrôle attentif et permanent, et qu'ils étaient, par là, trop laissés à eux-mêmes. Mais ces fautes, explicables et la plupart excusables, constituèrent l'exception.

Du travail de dépouillement auquel je me suis livré, résulte pour moi la conviction que, plus on étudiera la sénéchaussée, plus s'atténuera la nocivité du mémoire. On trouvera des magistrats qui purent avoir des torts — quelqu'un en est-il exempt? — mais considérés dans leur ensemble, furent compétents, assidus, probes, jugèrent de satisfaisante façon, avec sérieux et gravité. On trouvera des hommes de loi (avocats en parlement ou simples praticiens) actifs, adroits, sachant conseiller le plaideur et soutenir ses intérêts; un greffe ponctuel et dévoué; toute une catégorie de gens estimables, que méconnaît le rédacteur du Mémoire en son esprit de parti. A la lumière d'authentiques pièces de justice la sénéchaussée apparaîtra dans son vrai jour, et je crois, oui, je crois qu'elle sera en assez bonne posture lorsque l'impartiale histoire l'aura définitivement campée.

.Puis, n'oublions pas que cette Cour ducale, en résidant à Ussel, accrut l'importance de la cité qui devint, grâce à elle, capitale incontestée de la montagne bas-limousine et gardons lui, nous Ussellois, un souvenir reconnaissant.


APPENDICE

1

SUR LES VENTADOURS

Entre deux petits cours d'eau torrentueux qui l'enserrent aux trois quarts, sur le crête d'une montagne abrupte et rocailleuse dont la base est protégée par de profonds ravins, en un site sauvage de bruyères, de forêts, de hauteurs, le château de Ventadour se dressait jadis, fièrement, à quelques kilomètres de la villette d'Egletons. Sa position formidable, ses défenses naturelles, les ouvrages d'art qui furent ajoutés, le firent considérer par Froissart comme un des châteaux les plus forts « du monde ». Des ruines en indiquent l'emplacement aujourd'hui; et « parmi les débris du passé, il n'est rien peut-être de plus imposant que ce manoir solitaire, que la puissance féodale posa, comme un nid d'aigle, au milieu des landes, sur des rochers inaccessibles » (a).

Là grandit une famille dont la domination s'étendit sur le sud-est et jusqu'au centre du Bas-Limousin, cependant qu'au sud-ouest les Turennes régnaient supérieurs en puissance et en illustrations.

Trois branches de maisons différentes assurèrent la continuité des seigneurs de Ventadour : une branche des Comborn, du XIe au xv" siècles; une branche des Lévy, du xve au XVIIe; puis une branche des Rohan. A chacune d'elles appar-

(a) Extrait de l'Histoire des Villes de France : Tulle, Ussel-Ventadour, par Alexis DE VALON, 1. br. (1847), p. 14.


tint successivement le fief de Ventadour, vicomté d'abord, comté le 2 avril 1350, duché à partir de février 1578, duchépairie en juin 1589.

Archambaud Ier de Comborn, appelé Jambe-Pourrie, ou encore le Boucher à cause de sa férocité dans les combats, celui-là même qui s'empara du château de Turenne en 986, est le plus ancien seigneur connu. Il était à la fois vicomte de Comborn, de Turenne et de Ventadour. Ses domaines furent partagés entre ses descendants, et c'est Ebles, son arrière-petit-fils, le frère d'Archambaud III, vicomte de Comborn, et le neveu de Guillaume, vicomte de Turenne, qui commença la lignée proprement dite des seigneurs de Ventadour (vers 1035).

En 1472, Blanche de Comborn, fille de Louis-Charles de Comborn, comte de Ventadour, et de Catherine de Beaufort (celle-ci fille de Pierre de Beaufort, vicomte de Turenne, et de Blanche de Gimel) porta le comté de Ventadour dans la maison de Lévy par son mariage avec Louis de Lévy, seigneur baron de la Voulte, près de Viviers. Maréchaux de la foi depuis la croisade albigeoise, les Lévy prétendaient, dit-on, sortir de la tribu de Lévy, l'une des douze d'Israël, et par suite être apparentés à la Sainte Vierge. On raconta qu'ils possédaient un tableau « représentant le déluge, où l'on voyait un homme tendre hors de l'eau une liasse de parchemins en criant : Sauvez les papiers de la maison de Lévy! », et un autre tableau mettant en scène « un Lévy s'incliant, nue tête, devant la Vierge qui lui disait : Couvrez-vous, mon cousin. » Ces histoires, ajoute Huot qui les rapporte (b), « paraissent apocryphes et propagées, non par

(b) Les Arch. munie. d'Vssel, p. 16.

On raconte également que le duc de Lévy, passant un jour devant un calvaire avec le vicomte de Pons dont la famille déclarait descendre de Ponce Pilate, dit à celui-ci d'un air attristé : « Voyez dans quel état votre ancêtre a mis mon parent. » (Cité par VËRHYLLE, Essai sur Olliergues, 1 br., 1927, p. 32.) « Cette maison, quelque ancienne qu'elle soit, ne tire son nom que de la terre de Lévy, dans le Hurepoix. » (DELMAS, id., p. 88.) L'abbé Niel (Bull. Soc. Hist. Cor., XI, 104) précise que, « outre des doutes


les Lévy, mais par ceux qui voulaient tourner en dérision leur orgueil peut-être excessif ».

Marie-Anne-Geneviève de Lévy, fille unique de LouisCharles de Lévy, duc de Ventadour, et de Madeleine de In Motte-Houdancourt, veuve de Louis-Charles de la Tourd'Auvergne, prince de Turenne, tué à la surprise de Steinkerque le 3 août 1692, épousa, en 1694, Hercule-Mériadec de Rohan-Soubise, duc de Rohan-Rohan, prince de Soubise; et ainsi le duché de Ventadour passa dans cette grande maison de Rohan, issue des anciens rois de Bretagne, qui le possédaient au début de la Révolution.

Il y eut huit ducs de Ventadour : 5 Lévy, 3 Rohan. La pairie s'est éteinte avec le dernier Lévy. Ces ducs furent : Gilbert de Lévy (1578-1591), époux de Catherine de Montmorency ; Anne de Lévy (1591-1622), marié à Marguerite de Montmorency ; Henri de Lévy (1622-1629), époux de Marie-Liesse de Luxembourg. Il céda le duché à son frère Charles et se fit d'église (c); Charles de Lévy (1629-1649), marié à Suzanne de Lauzières, marquise de Thémines, puis à Marie de la Guiche.

Scarron parle de lui dans son « Voyage de la reine à La Barre « (d); Louis-Charles de Lévy (1649-1694), marié à Catherine de la Motte-Houdancourt, qui devait être gouvernante des enfants de Louis XV. Il était « petit et bossu » (e);

graves sur leur origine juive, les Lévy tiraient leur nom d'une terre qu'ils possédaient dans l'Ile-de-France, près de Chevreuse, dans l'ancien doyenné de Chèvres ?».

(c) Chanoine de Notre-Dame, il fonda la « Compagnie du Très Saint-Sacrement de lautel » dans le but de combattre l'hérésie calviniste. Cette Société parvint à la plus active période de son influence sous la minorité de Louis XIV. (R. DE BOYSSON, L'invasion calviniste, 2" éd., pp. 389 et 393.)

(d) HuoT, id., pp. 109 et 110.

(E) DELMAS, id., p. 88, en note.


Hercule-Mériadec de Rohan (1694-1749), époux de MarieAnne de Lévy (f) ; Charles de Rohan (1749-1787). Soubise a été marié trois fois : en 1734, avec Anne-Marie-Louise de la Tour-d'Auvergne-Bouillon, d'où la princesse de Condé; en 1741, à la princesse Thérèse de Carignan-Savoie, dont VictoireArmande-Josèphe; en 1745, à la princesse Christine de Hesse-Rhinsfeld; Henri de Rohan, prince de Guéménée (1787-1789), époux de Victoire-Armande-Josèphe de Rohan-Soubise.

On a pu voir que le duché de Ventadour, avant de passer dans la maison de Rohan, avait été porté (1691) dans celle de Turenne qui eût par là, de 1717 à 1738, sans la mort de Louis-Charles à Steinkerque, possédé la majeure partie du Bas-Limousin.

 

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Titre : Bulletin de la Société scientifique historique et archéologique de la Corrèze

Auteur : Société scientifique, historique et archéologique de la Corrèze. Auteur du texte

Éditeur : (Brive)

Date d'édition : 1902

Type : texte

Type : publication en série imprimée

Langue : français

Langue : Français

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Description : 1902

Description : 1902 (T24).

Description : Collection numérique : Fonds régional : Limousin

Droits : domaine public

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Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2008-89252

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Provenance : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 17/01/2011

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L'INSTRUCTION PRIMAIRE

A ÉGLETONS

Depuis 1650 jusqu'à nos jours

J. SEURRE-BOUSQUET ?

CHAPITRE PREMIER

L'Instruction au moyen-âge. — Le Séminaire du Moustier-Ventadour transféré à Égletons. — Règlement de l'évêque de Limoges pour les maîtresses d'écoles de son diocèse. — Traitement du maitre d'Egletons aux xvir et xvin* siècles. — Avènement dé Turgot à l'intendance de Limoges. — Ses efforts pour le développement de l'instruction dans les paroisses. — Augmentation du traitement du maitre d'école de la ville d'Egletons. — Considérations générales.

On sait que durant le moyen-âge l'enseignement fut Fapanage exclusif du clergé et que cette mesure est due à Charlemagne qui, dans un de ses capitulaires, ordonna à tous les prêtres de campagne de tenir des écoles dans les bourgs, d'y recevoir les enfants des fidèles, de les instruire avec charité et de ne rien exiger pour ce service.

Malgré les sages dispositions du grand empereur., malgré les efforts, dans la suite, du pouvoir royal, et sauf quelques écoles épiscopales et monastiques qui nous conservèrent dans l'ombre les traditions de la civilisation antique,, on peut dire de ces temps troublés et malheureux que le défaut d'instruction


et d'éducation était presque général, surtout en Limousin. (1)

" S'il faut en rechercher les causes, on les trouvera selon nous, non-seulement dans l'insuffisance des maisons d'école et des maîtres, dans l'indifférence et la parcimonie d'un grand nombre d'administrateurs de paroisses, auxquels il était difficile de faire comprendre que la fondation d'une école ou le traitement d'un régent Avalait une allocation de la commune ; mais aussi dans l'apathie des masses qui n'éprouvaient aucune sympathie pour l'instruction qu'elles considéraient le plus souvent comme un moyen de désunion dans les familles.

Aussi en face de toutes ces circonstances qui entravèrent si longtemps la diffusion de l'instruction primaire dans les campagnes, on comprend combien il était difficile de rencontrer de bons maîtres (2) s'attachant à une profession qui ne les mettait souvent pas à même de faire vivre leur famille ; et, par suite du défaut de fréquentation, combien peu d'élèves arrivaient à acquérir une instruction suffisante.

Néanmoins, beaucoup de villes et de bourgades

(1) Les écoles, dit M. Babeau, étaient plus répandues dans les régions de l'Est et du Nord de la France que dans celles du Centre, de l'Ouest et du Midi.

Dans l'Auvergne, la Marche, le Limousin, on ne rencontrait, dit M. Buisson daus son Dictionnaire de pédagogie, pas un maître d'école sur vingt villages. (Tome I, art. France).

(2) Dans un mémoire adressé par la communauté d'Egletons à Turgot vers la fin du ivni' siècle, il est dit que que : « vingt livres de traitement annuel sont affectés au maître d'école, quelquefois vingt-quatre quand on est content du sujet, ce gui arrive rarement. » (Pièce de mes archives).


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comprenaient combien l'instruction était nécessaire au développement de l'intelligence humaine et combien était précieuse l'existence d'une école publique.

Pour l'honneur de la ville d'Egletons, empressonsnous de dire qu'elle était de ce nombre. Ajoutons même que ses habitants, en dépit des préjugés trop vite accrédités, ont de tout temps et de toutes manières témoigné en faveur de l'instruction un goût prononcé et un empressement peu ordinaire. (1)

De cette localité du reste et de ses environs sont sortis des hommes dont la renommée littéraire remplit toute l'Europe du Moyen-Age, des poètes dont les vers ont été regardés comme des modèles, non pas de leur temps, ni dans leur pays, mais un siècle plus tard à l'étranger, au jugement des plus grands, des plus beaux génies. Pétrarque dans le Triomphe d'Amour et Dante dans la Divine Comédie n'ont-ils pas consacré, en effet, les noms de Bernard de Ventadour et d'une foule d'autres troubadours issus du Bas-Limousin?

Ventadour surtout fut non-seulement le berceau de poètes célèbres, tels que ce Bernard dont nous venons de parler et qui sut par ses gracieuses chansons d'amour émouvoir le coeur de sa châtelaine et celui de la belle Éléonore de Guienne; mais il fut encore le centre d'une vraie Cour d'amour.

Un des seigneurs, Ebles II, vivant en 1109, fut

(i) C'est sinsi que nous les voyons en 1620 donner vingt écus pour aider à la construction du collège de Tulle (Voyez G. CLÉMENT-SIMON. Histoire du Collège de Tulle. Pièces justificatives, p. 265).


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surnommé le Chanteur, à cause de son talent pour la poésie, de son goût pour les chansons et de la protection qu'il accordait aux troubadours.

La Cour de Marie de Yentadour, seconde femme d'Ebles V, fut encore un des rendez-vous des troubadours les plus illustres de son temps.

Maumont n'a-t-il pas fourni à l'Église deux papes, (1) des cardinaux, (2) des archevêques,, des évêques, (3) et des abbés sans nombre? (4) N'est-ce pas encore de ce lieu qu'est sorti un des plus grands érudits du xvi° siècle : Jean de Maumont? (5).

(1) Pierre-Roger de Beaufort, pape sous le nom de Clément VI, élevé au trône pontifical le 7 mai 1342, décédé le 5 décembre 1352, et son neveu autre Pierre-Roger de Beaufort, élu pape le 30 décembre" 1370 sous le nom de Grégoire XI, décédé en 1378.

(2) Hugues-Roger, frère de Clément VI, qui faillit devenir pape, fut ëvêque de Tulle et cardinal en 1342.

(3) Nicolas Roger, oncle de Clément VI, archevêque de Rouen de 1342 à 1347. — Jean Faure ou Fabri, né à Egletons, cousin-germain de Grégoire XI, cardinal et évoque de Tulle, décédé à Avignon le 6 mars 1372. — Jean-Roger de Beaufort, frère de Grégoire XI. — Guillaume de Maumont, évêque d'Angouléme au xn" siècle. — Bertrand de Maumont, évêque de Poitiers, où il mourut en 1385. — Autre Bertrand, évêque de Mirepoix, de Lavaur, de Béziers et enfin de Tulle, etc., etc.

(4) Entre autres Charles de Maumont, qui fut prieur de Vedrenne et abbé d'Uzerche le 10 août 1469, décédé le 18 septembre 1498.

(5) Jean de Maumont. érudit français, né au château de Maumont, paroisse de Rosiers-d'Égletons. 11 fut principal du collège de SaintMichel, autrement appelé de Chanac, et qui avait été doté en 1530 par la maison dePompadour pour les étudiants limousins. Selon La Croix du Maine, « c'était un homme très docte ès-langues et principalement dans celle de la Grèce, grand théologien et orateur fécond ». Il était grand ami de Jules Scaliger. Plusieurs de ses contemporains ont prétendu qu'il était le véritable auteur de la traduction de Plutarque qui porte le nom d'Amyot; cette assertion a été réfutée par La Monnoye dans une note sur YAnli-Baillel de ménage. On.a de Maumont :


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Égletons vit naître aussi un troubadour du nom de Gui de Glotos, connu seulement par un tenson avec Diode de Carlus. (1)

Cette phalange glorieuse de poètes et d'hommes illustres nous montre qu'aux xne et xine siècles l'insLes

l'insLes de Saint-Justin, philosophe et martyr, Paris, 1538, in-folio. — Les Histoires et Chroniques du Monde, tirées tant du gros volume de Jean Zouare, auteur byzantin, que de plusieurs autres scripleurs, hébreux et grecs, avec annotations ; Paris, 1563, in-folio. — Remontrances chrétiennes en forme d'épître à la Reine d'Angleterre, traduit du latin de Hierasme Oserias, évêque porlugalais ; Paris, 1563, in-8°. — Le même auteur avait écrit en italien un ample discours de la vie de René de Birague, chancelier de France, mort en 1583, et la Gallia Christiana le cite comme un ouvrage exact et utile.

? (Voy. Nouvelle Biographie générale, publiée par MM. Fifmin Didot frères, t. XXXIV, p. 363. 1865).

(i) Diode de Carlus ou de Charlus-le-Pailloux, près Ussel, luidisait : « Glotos [l'avide), vous me paraissez plutôt un marchand qu'un jongleur. Ne me trompez pas, dites moi franchement votre nom et votre profession. »

Glotos répondit : « Oui, Diode, je sais acheter et vendre, mais je suis plus empressé de vendre et je suis venu' ici à vous pour vous vendre du mérite, si vous en voulez.acheter. »

Voici, en langue de l'époque, le tenson ou dialogue entre Diode de Carlus et Guy de Glotos :

DIODE DE CARLUS

En re no me semblaz joglar Vos que us faiz, en Gi de Glotos, E nos sia ja schirnilz per vos, Mas digaz mi lot vostr' afar, O'I vostr' autre nom verladier, C'almalme semblaz merchadier E si vos es, no'l me celaz per re, Que us assegur et asseguraz me.

GUI DE GLOTOS

Diode, ben sai mercandeiar, Mas del vendre sui plus coitos, ,Per qu'eu soi sa vengutz a vos Vendrepretz si'n volelz comprar Pero, si vos faillon dinier, Penrai ronzin o blanc o nier, El s'el mercat nous agrada be, Tal com aura de vos,aurez de me.

(Voir Histoire littéraire de la France, t. XIX, p. 604, et Raynouard, Choix des Troubadours, t. V, pp. 174 et 175).


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traction dut être dans la région distribuée assez largement aux nobles et aux vilains. « Tous ces troubadourSj a dit le savant M. G. Clément-Simon, avec leur langue épurée, leurs rythmes ingénieux, toutes les grâces et même toutes les afféteries d'une poésie raffinée, ne s'étaient pas créés sans enseignement; c'est la meilleure preuve de la diffusion de l'instruction dans cette contrée. »

Le plus ancien document que nous possédions et où il soit fait mention de « régents (1) ou maistres d'escholles » à Égletons, remonte au milieu du xvne siècle (2). C'est un contrat en date du 26 octobre 1650 concernant l'achat d'une maison pour y installer un petit séminaire.

(1) Le nom de régent était donné avant la Révolution aux maîtres qui enseignaient dans les collèges. On le trouve aussi quelquefois, mais rarement, employé pour désigner les maîtres des petites écoles. (Buisson, Dictionnaire de pédagogie, p. 2556).

(2) Pourtant si au xivc siècle la qualité de clerc avait le même sens et la-même définition qu'au temps de l'avènement du christianisme dans les Gaules, on pourrait affirmer l'existence d'une école ou tout au moins d'un maître d'école à Égletons dès 1347. Un acte passé en cette ville le mercredi après l'octave de la Saint-Michel de l'année précitée, mentionne en effet parmi les témoins, un Gérald Rigaud, clerc d'Egletons (Clericus de Glolonis).

Sommes-nous ici en présence d'un clerc maître d'école? C'est d'autant plus probable que les registres de notaires de la ville de Tulle au xv* siècle font mention de sommes payées à des professeurs par des pères de famille, lesquels professeurs avaient tous la qualité de clercs.

Quant à la fondation de l'école, nous en trouverions l'origine dans le droit qu'avait le seigneur, haut justicier, de pourvoir à l'instruction primaire de ses vassaux, droit qui était en même temps qu'un devoir, une obligation.

(Voy. G. Clément-Simon, La vicomte de Limoges, géographie et statistiques féodales, p. 63. Périgueux 1877, et son Histoire du Collège de Tulîe, pp. 25 et 27 de l'Introduction).


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Cet acte, dont le lecteur trouvera le texte à la suite de la précédente notice, est intéressant à plus d'un titre, d'abord parce qu'il nous révèle l'existence d'un maitre d'école qui exerçait là depuis 1639 (1) et ensuite parce qu'il nous apprend la création d'un séminaire à Égletons. . ?

Ce séminaire existait depuis 1617 au MoustierVentadour. (2)

Anne de Lévy, duc de Ventadour, pair de France, chevalier des ordres du roi, conseiller en ses conseils d'Etat et privé, capitaine de 50 hommes d'armes de ses ordonnances et lieutenant-général en la province du Languedoc, l'avait fondé le 29 janvier 1617. Sa volonté avait été d'établir des places pour vingt

(1) L'Instruction primaire en Limousin sous l'ancien régime, par Louis Guibert. (Limoges, imp. V° H. Ducourtieux, 1888).

(2) On n'est point d'accord sur la date de fondation de ce séminaire. Plusieurs auteurs, entr'autres le distingué historiographe diocésain M. Poulbrière, le disent fondé en 1585. Un titre de 1644 émanant desbourgeois et prud'hommes de la ville d'Ossel, rappelle qu'il fut fondé en 15S5. L'Annuaire de la Corrèze pour 1815 dit qu'il fut établi en 1585 par Gilbert III de Lévy, duc de Ventadour, qui, le 8 août de la même année, le dota d'une rente de 1200 livres. D'autre part, les Calendriers ecclésiastiques et civils du Limousin, antérieurs à-la Révolution, le Pouillé de Nadaud, annoté par l'abbé Legros et publié par M. Clément-Simon (Bulletin de Brive, janvier-mars 1893, p. 60) le disent fondé en 1617 par le fils de Gilbert : Anne de Lévy. De tout cet ensemble, on peut en conclure que Gilbert III, duc de Ventadour, projeta, à la suite de la mission qui fut prêchée au xvie siècle, au Moustier, par le vénérable César de Bus, fondateur des Doctrinaires, la création d'un séminaire, qu'il en avait même jeté les bases, mais que n'ayant pu effectuer cette fondation pour des.causes que nous ignorons, son fils Anne de Lévy réalisa définitivement ce projet. C'est à cette dernière hypothèse que nous nous arrêtons. (Voy. à ce sujet : L'Archiprétré de Saint-Exupéry, par M. l'abbé Leclerc. Bulletin de la Société des Lettres, Sciences et Arts de la Corrèze, 3™é livraison, pp. 294 et 295. Tulle, 1892.)


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pauvres prêtres ignorant les lettres, qui seraient près du lieu de Ventadour ou de la châtellenie d'Ussel, Meymac, Neuvic, Pérols et Corrèze, ou du Haut et Bas-Limousin ; qu'ils apprendraient la langue latine, les cas de conscience, l'administration des sacrements, la manière de faire le catéchisme et de prêcher Fexposition des évangiles ; un docteur en théologie, séculier ou régulier, les instruirait et les ferait vivre religieusement, et dès qu'ils seraient capables, ils feraient place à d'autres. S'il ne se trouvait pas de prêtres pauvres et ignorants, on prendrait de pauvres garçons. Le docteur pouvait être changé par les ducs de Ventadour, officiers et consuls de la ville d'Egletons.

Anne de Lévy donna mille livres de rente perpétuelle et annuelle et les revenus du prieuré de Ventadour, que le cardinal de Guise, abbé de Cluny, avait consenti d'être unis à ce séminaire.

On l'installa dans le prieuré même du MoustierVentadour, mais soit à cause de la position défectueuse du lieu, soit à cause aussi du voisinage du collège de Tulle., le séminaire n'y eut guère de pros-, périté. Ce fut alors que l'évêque de Limoges tenta de le transférer à Égletons et qu'à cet effet, Martial Desplas, « régent de la présente ville, directeur et maître du séminaire, fait l'acquisition, le 26 octobre 1650, pour la somme de sept cents livres, d'une maison appelée « de la Bonne », située dans la dicte ville et dans laquelle maison le dict séminaire est logé de présent ». Cette maison se composait : « d'une cuisine en'bas, d'une boutique y joignant, d'une cave en dessoubs, chambre et grenier au-dessus des dictes


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cuisine et boutique avec un degré en dehors de pierre pour monter à la dicte chambre » (1)

Le séminaire resta-t-il longtemps à Égletons?

La perte des archives ecclésiastiques et communales ne permet pas de nous prononcer, mais ce que nous pouvons affirmer, c'est que le séminaire ne réussit pas mieux à Égletons qu'au Moustier. (2)

Laissons là pour l'instant l'histoire de cet établissement plus tard converti en collège à Ussel, elle nous occupera ailleurs plus longuement. (3)

Pour en revenir à celle de l'instruction primaire au Moyen-Age et sous l'ancien régime, disons que de cet enseignement à Egletons il subsiste peu de traces positives, ni plans d'études, ni programmes spéciaux qui nous permettent de caractériser à bon escient les principes et les méthodes des régents en cette matière. Le nombre des élèves qui fréquentaient l'école nous est également inconnu; il nous faut aller jusqu'à 1686, époque à laquelle Mgr Lascaris d'Urfé., évêque de Limoges, donna à son diocèse un règlement pour les petites écoles. (4)

(1) Voir aux pièces justificatives pour ce document qui fut publié pour la première fois dans la Semaine Religieuse de Tulle, n° du samedi 18 juin 1882.

(2) La mention suivante relevée aux actes d'état-civil d'Egletons indique que le séminaire y était encore existant en 1652 : « Le 1er juillet 1652" décéda Gaspard Espaignol, estant au séminaire de Monseigneur le Duc en cette ville, estait natif de la ville d'Ussel ». Quoi qu'il en soit, dès 1662, le séminaire avait fait retour au Moustier, où nous trouvons le 3 avril même année : Estienne Andrieu, docteur en théologie, directeur du séminaire à Ventadour et curé du Moustier.

(3) Dans l'histoire du collège d'LTssel-Ventadour que nous avons sur le métier.

(4) Au Moyen-Age, les petites écoles dépendaient des évêques pour la doctrine., des curés pour la surveillance et des communes pour la subsistance. (Voir, pour ce règlement, aux pièces justificatives).


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Nous pouvons donc, d'après ce règlement, nous imaginer comment l'enseignement, surtout en matière religieuse, était organisé dans notre petite ville.

Tout d'abord, il était interdit aux maîtres et maîtresses de recevoir dans leurs écoles des enfants de sexe différent ; chaque matin les élèves étaient conduits à la messe dans les lieux où ils pouvaient avoir cette commodité ; les exercices de la classe commençaient toujours par la prière, et parmi les instructions que le personnel enseignant devait donner aux enfants, il était recommandé de leur apprendre, outre les règles de la civilité et de l'honnêteté, les principes de la foi et du christianisme et de prendre au moins une heure de temps chaque semaine pour les leur expliquer. A cet effet, les élèves devaient être pourvus non-seulement du catéchisme, mais aussi de VIntroduction à la vie dévote ou de quelques autres livres spirituels.

Sous l'ancien régime jusqu'à la Révolution, il est à présumer que l'école d'Egletons n'eut pas d'autre programme.

Comme les autres villes, Egletons votait chaque année des subsides pour son maitre d'école.

A quel chiffre s'élevaient-ils?

Un document qui remonte aux premières années du xvme siècle nous apprend que la communauté accordait en 1730 à Jacques Borie, et en 1738 à Jacques Bargy, régents, vingt livres de traitement annuel pour l'instruction de la jeunesse.

Il Bst infiniment probable que ce dernier chiffre était le chiffre normal du traitement de l'instituteur, même dans le siècle précédent.


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Les comptes consulaires de ces années ont complètement disparu, se métamorphosant sans doute en cornets à poivre ou à tabac au fond de la boutique de quelque barbare et inconscient épicier ou devenant à l'occasion matières inflammables pour réchauffer les membres engourdis de nos édiles modernes. (1)

Vingt livres affectées aux gages du. régent, c'est certes un chiffre excessivement modeste; mais ce chiffre doit être augmenté des cotisations qu'apportaient les enfants dont les pères étaient à la tête d'une certaine aisance.

Malgré tout, la situation, matérielle du personnel enseignant de cette époque était plus que précaire et cette situation misérable, jointe à son état de dépendance, le déconsidérait malheureusement trop souvent aux yeux des habitants, aussi l'instruction la plus élémentaire était-elle irrégulièrement et parcimonieusement départie. (2)

(1) Malgré les circulaires ministérielles et préfectorales du 16 juin 1842, du 20 novembre 1879 et du 27 décembre 1885, les archives communales d'Egletons sont dans un état lamentable, les titres antérieurs à 1790 ont été disséminés un peu partout et beaucoup ont été détruits. Quant aux documents concernant la Révolution, ils sont intéressants et à peu près complets, mais entassés sans précaution, exposés à toutes les causes de destruction et dans un état qui en rend le classement sinon impossible, au moins très difficile. Pour ce qui regarde les registres paroissiaux, que la loi du 20 septembre 1792 ordonne de déposer « dans la maison commune », ils remontent à 1637 ; ils sont dans un état parfait et ne présentent pas de lacune. Quelques papiers sans grand intérêt, quelques registres paroissiaux provenant de l'ancienne paroisse de Vedrenne, aujourd'hui annexée à Égletons, complètent le fonds des archives communales de cette ville, qui dans son intérêt ferait bien de veiller à leur conservation. Serons-nous celui dont la voix prêche dans le désert, vox clamanlis in deserto ? Hélas !

(2) Les petites écoles étaient pourtant nombreuses, dit M. Taine. On


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Il était donné à un homme que ses réformes et son amour pour le bien public ont rendu populaire dans notre province, de remédier à cet état de choses.

Turgot devait en effet, comme intendant de la généralité de Limoges, dissiper par des moyens salutaires un peu de cette ignorance générale qui l'émut si profondément dès son arrivée dans la capitale du Limousin.

« J'ai vu avec douleur, écrivait-il aux curés de la généralité dans sa lettre-circulaire du 25 juin 1762, que dans quelques paroisses le curé a signé seul parce que personne ne savait signer, cet excès d'ignorance dans le peuple me paraît un grand mal et j'exhorte MM. les Curés à s'occuper des moyens de répandre un peu plus d'instruction dans les campagnes et à me proposer ceux qu'ils jugeront les plus efficaces. »

Devant de telles exhortations, non-seulement l'instruction acquit un plus grand développement, mais le sort de ceux qui enseignaient fut sensiblement amélioré et c'est certainement sur les ordres de Turgot que nous voyons, dès 1765, le traitement du

en comptait autant que de paroisses et fréquentées et efficaces. (Taine, La Reconstruction de la France en 1800). Pourtant, et pour ne pas sortir de la région qui nous occupe, nous trouvons la preuve du contraire dans diverses assemblées d'habitants. Ainsi, en 1787, à une assemblée des habitants dé la paroisse du Jardin, sur 14 membres présents un seul savait signer. La même année, à Ohampagnac-laNoaille, à l'assemblée des habitants pour la nomination des collecteurs, sur 23 membres présents, 5 ont pu signer. Nous pourrions ainsi multiplier les exemples. (Voir A?'c/nues département, de la Corrèze, E supplément, 1898.)


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maître d'école de la ville d'Egletons s'élever' d'un seul coup au chiffre de cinquante livres. (1)

Sans doute c'était encore un chiffre relativement modeste, mais le régent pouvait, comme on le dit vulgairement, joindre les deux bouts, et puis on vivait en un temps où la pensée de Dieu et des récompenses éternelles dominait tous les intérêts matériels et où la. satisfaction du devoir accompli était la fortune la plus enviée.

Durant cette longue période qui s'étend de 1650, époque à laquelle nous trouvons trace d'un maître d'école à Égletons, jusqu'à la Révolution, il n'est pas douteux que plus d'un incident sur les règlements intérieurs de l'école ainsi que sur le régime des études, dut s'élever entre les régents et le corps consulaire.

Assurément, il serait curieux et intéressant de les connaître, mais, hélas ! les documents font absolument défaut et c'est tout ce que nous avons pu recueillir sur l'instruction primaire sous l'ancien régime à Egletons, ainsi que sur l'existence publique et privée des membres de cette branche de l'enseignement. (2)

ÇA suivre). JEAN SEURRE-BOUSQUET.

(1) Extrait du rapport annuel des Arc'i. dép. de la Corrèze, années 1887-88. Bulletin de Tulle, 1888, p. 662.

(2) Voir la liste des maîtres d'école aux pièces justificatives.

 

 

LES BÉNÉDICTINES

DE

BONNESAIGNE

THOMAS BOURNEIX, prêtre. Nonars, samedi, 1900. Nativité de la B. H. V. Marie.

INTRODUCTION

Un fort intéressant ouvrage à faire et bien de nature à tenter la plume mélancolique de l'éminent supérieur de Servières, — après qu'il nous aura donné son IIP volume du Dictionnaire des Paroisses depuis si longtemps désiré, — serait, à notre humble avis, de grouper, dans un travail d'ensemble, toules les maisons religieuses, abbayes, prieurés, celles, qui se sont épanouis sur la partie du Limousin formant actuellement le diocèse de Tulle, comme on l'a déjà fait pour les sanctuaires de la T. S. V. Marie, en Auvergne.

Quelle belle cueillette fournirait, au cher historiographe diocésain, la zone montagneuse comprise jadis dans le grand duché de. A7entadour, lui-même englobé aujourd'hui, en majeure partie, dans l'arrondissement d'Ussel !

J'y vois quatre abbayes : Bonnaigue, Meymac, Bonnesaigne et Valette ;

Et puis, une infinité de prieurés dont quelques-uns en renom : Saint-Angel, Bonneval, le Bousquet, Port-Dieu, Saint-Projet, Saint-Vie tour, Bort, la Celette, MoustierVentadour, Vedrenne, etc., sans parler de plusieurs celles ou cellules qui ne vécurent qu'un temps, comme la communauté de Tarnac établie sur le tènement des Franches, entre les villages de Chabane et de Parneix, de l'ordre de Citeaux, T. xxiv 2 — 5


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pour les dîmes de laquelle il y eut Mémoire dressé contre Joseph Green de Saint-Marsault, abbé d'Obazine, le 14 septembre 1771, par le curé du lieu réclamant.

Ce serait, non la Gallia Christiana, mais son diminutif, le Lemovicinum Christianum.

Pour nous, pauvre chroniqueur des paroisses que nous avons eu la charge de desservir, nous chantons moins haut. Nos ailes n'ont pas assez d'envergure pour planer ainsi d'un horizon à l'autre du cher diocèse. Nous nous contenions de voltiger de saule en saule le long du ruisseau limpide qui arrose la verdoyante vallée de Soudeilles. ou de sauter de branche en branche dans la forêt de Ventadour. Tout au plus si, dans un élan téméraire, nous nous permettons une envolée timide sur deux autres rivages : la Soudaine et la Menoire, dont les fraîches ondes nous ont désaltéré bien souvent ;

« Racan chanta Phylis, les bergers et les bois ».

Tel est notre modeste rôle.

Hier, nous chantions les pâtres de la Basse-Luzège et les filles de nos grands seigneurs montagnards qui s'enfuirent de Soudeilles et de Ventadour pour être changées, dans le monastère de Moulins, non en amandiers sauvages chargés de fruits amers, mais bien en fleurs mystiques de sainteté, parfumées des plus odorantes vertus.

Aujourd'hui, nous voudrions chanter les bois touffus de la forêt ducale et les dames bénédictines de Bonnesaigne qui se cachèrent, à l'ombre de son épais feuillage, durant plus de mille ans.

La tâche est engageante, mais délicate au possible ! Les dames de l'ancien duché montagnard, en effet, rendent leurs historiens méchants... Chaque fois qu'un cantador a essayé de les chanter, il n'a pu s'empêcher de distiller sur elles le venin de la confusion ou du ridicule.

Le troubadour vagabond d'Uzerche, Gaucelm Faydit, les chanta en fort beaux vers ; mais finalement prit congé d'elles Irademen et leur lança ensuite un sirvente sanglant.


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L'auteur du passage du Prince grec, à Ussel, les a célébrées en fort belle et bonne prose. A la fin de la plaisante comédie si bien jouée par le marquis de Gorse, le comte de Bournazel, les sieurs de Soudeilles, de la Salle, de Bansson, de Chabannes, consul dans la ville et bailli de la Ribéiï, et quantité d'autres gentilshommes des environs, il ne put s'empêcher de leur servir un grain de mystification dans les salons de Mme de Charlus... Finalement, le prince grec, dont elles se disputaient les faveurs, se trouva n'être que le vulgaire plaisant Boyer de Solignac

Plus près de nous, un autre écrivain a chanté les Dames de Meymac et les Fines de Saint-Angel. Dans l'ouvrage qu'il leur consacre, l'auteur : « Mêle le grave au doux, le plaisant au sévère v. On peut appliquer à son oeuvre l'épigramme qu'Arouet lançait je ne sais plus à quel auteur : « Les uers se sont mis dans sa prose ! »

L'essentiel pour.lui est de poursuivre de toute manière, en vers, en prose, suivant l'inspiration du moment, les personnages qu'il a en vue.

. En sera-t-il ainsi de nous pour les Dames de Bonnesaigne ?

Telle n'est pas notre intention. Ce n'est pas une satire que nous voulons tirer de notre plume contre les abbesses de Bonnesaigne, mais bien une élégie en leur faveur.

L'abbaye de Bonnesaigne, en effet, a toujours été la plus dolente de nos communautés montagnardes. Commencée dans le trouble et la confusion du vme siècle, elle a vécu dans les malheurs que nous attirèrent nos interminables guerres, tantôt avec les Normands, tantôt avec les Anglais ou les protestants, et finalement elle est allée sombrer dans les horreurs de notre grande révolution.

C'est cette malheureuse abbaye que, dans quelques pages émues, M. l'abbé Laubie nous a dépeinte avec la pâleur effrayante d'une morte couchée dans un tombeau, au milieu de débris informes qui n'ont aucun nom dans aucune langue. • Nous, voudrions, pour un instant, réveiller cette grande endormie de son sommeil séculaire ; souffler sur elle pour la


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ramener à la vie ; l'étaler en pleine lumière avec les couleurs riantes de la jeunesse sur le visage, les accents de la prière sur les lèvres et le front ceint d'un diadème « d'or à trois chevrons de sable ».

L'abbaye de Bonnesaigne, la plus dolente assurément mais la plus aristocratique de toutes nos maisons religieuses, est connue de notoriété publique dans les annales de la province ; mais, à notre avis, sous un faux jour, jeté sur elle par la haine de la noblesse que souffla Luther, qu'entretinrent si bien les encyclopédistes du xvme siècle dans les bas-fonds de la société et qu'exploitent encore à. merveille nos révolutionnaires modernes.

Pour juger l'abbaye de Bonnesaigne, les anciens historiens de la province, plus ou moins imbus de l'esprit sarcastique de Voltaire, n'ont pas assez tenu compte du sage conseil du païen Horace, dont nous avons cité en première feuille les mémorables paroles qui seront toujours celles d'un homme réfléchi et plein de sens.

« Quand, dit-il, nous trouvons dans un ouvrage de nombreuses pages brillantes, pourquoi nous offusquer de celles, plus rares, qui ont quelques taches échappées ou à l'incurie de l'auteur, ou à l'imprévoyance de la pauvre nature humaine ? »

Ce qu'Horace dit en faveur de tous les Rapins, sur toile ou sur papier, de tous les siècles, est vrai pour les communautés,- les paroisses et les diverses associations d'hommes ou de femmes.

Quand, dans une communauté, nous trouvons des abbesses, des religieuses admirables de vertus, durant des siècles et des siècles, qu'importe que quelques-unes d'entre elles se soient ressenties, pour un temps, des misères de leur époque, de la faiblesse inhérente à la nature humaine, ou d'une certaine incurie difficile à éviter dans l'art délicat de gouverner les âmes : ars artium regimen animarum 1

A des époques néfastes de son histoire, Bonnesaigne a eu quelques abbesses dont certains actes ne peuvent être innocentés, d'une manière absolue, aux yeux de la postérité,


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quoique chacun de nous s'en fût peut-être rendu coupable, en pareilles occurrences, en vertu du microbe morbide que tout homme garde toujours en son corps de boue, depuis la chute originelle. Malgré la profession que l'on exerce, le costume que l'on porte et la grâce des sacrements que l'on reçoit : « Nous restons toujours inclinés vers le mal ! »

Mais que sont quelques taches dans une communauté qui compte près de onze siècles d'existence ?

Lorsque, sur trente-neuf abbesses connues, on en trouve à peine deux ou trois de réprôhensibles, est-il raisonnable, est-il juste de jeter la pierre aux autres ?

Les autres ont été admirables de charité, de dévouement et d'intrépidité pour corriger les abus et ramener l'esprit de la règle dans leur malheureuse abbaye éprouvée, de tant de manières, par les sinistres événements qui se déroulèrent autour d'elle, pendant plusieurs siècles consécutifs de notre histoire nationale.

C'est pourquoi Bonnesaigne nous a toujours paru plutôt digne d'intérêt que de blâme. La vue de ses ruines et lé récit de ses malheurs nous ont toujours vivement impressionné et nous voudrions que les historiens, pris de la même commisération que nous, ne laissassent jamais glisser de leur plume l'épigramme, lorsqu'ils ont à parler de cette fleur des marais. Elle mérite qu'on s'apitoie sur le malheur de son sort, et, qu'au lieu d'exagérer ses fautes, on proclame hautement ses vertus.

Pourrons-nous réaliser un tel rêve, remplir un programme si beau !

Malheureusement l'ouvrage que nous livrons aujourd'hui, aux amateurs des choses antiques, sera encore plein de lacunes, comme les feuilles de tous ceux qui, avant nous, ont écrit sur Bonnesaigne. Nous en comblons quelques-unes pourtant, grâce aux grimoires découverts d'ici et de là ; grâce surtout aux riches fonds des bibliothèques de l'abbé Poulbrière et de MM. Champeval, de Valon et Rupin. Mais, pas plus que nos devanciers, nous n'avons pu soulever complètement le voile qui nous cache l'existence de Bonnesai-


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gne, du vme au xne siècle et durant la période de nos guerres contre les Anglais et avec les religionnaires.

Pour le lever, ce voile mystérieux, il faudrait faire comme le pieux M. de Larouverade, quand il voulut écrire ses Etudes historiques et critiques sur le Bas-Limousin (1860); il faudrait, comme cet historien consciencieux, passer plusieurs fois le Détroit et aller butiner dans la Tour du Temple où se trouvent entassées les riches archives que les fils de la perfide Albion ont volées à nos églises et à nos abbayes,, durant leur longue et néfaste occupation de la terre des Lemovices.

Mais, pour bien des raisons faciles à deviner, nous sommes obligé de nous contenter des feuilles volantes échappées au pillage et à l'incendie, plusieurs fois réitérés, des archives de Bonnesaigne.

C'est à l'aide de ces précieuses mais par trop rares feuilles jetées aux quatre vents, par les ouragans de toute sorte qui s'abattirent terribles sur l'abbaye, que nous pourrons néanmoins servir à nos lecteurs quelques chapitres n'ayant jamais vu le jour, depuis que l'on s'exerce à écrire sur Bonnesaigne : celui, en particulier, des longs démêlés des abbesses avec les curés de Darnets, depuis 1348 jusqu'à notre grande Révolution ; chapitre piquant qui nous révélerait au besoin, si nous ne le savions déjà, que les gens d'église d'alors étaient non moins divisés que ceux d'aujourd'hui. Et pourtant nous n'avons plus, comme eux, dîmes et proférents pour nous fournir matière à nous chicaner. Ce qui prouve que les dissensions, les disputes, aussi bien que les guerres, filles du péché originel, ont toujours été et seront sans cesse de tous les temps et de toutes les générations, malgré les conférences de La Haye ou de COUCOULOGNE que pourront imaginer nos Princes de la Paix, après qu'ils auront réglé les affaires glorieuses du Transvaal et les lugubres événements qui se déroulent actuellement en Chine (1).

(1) Ce double règlement, plus ou moins glorieux pour les nations de l'Europe, vient d'avoir lieu. — T. U.


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C'est ce malaise universel, ce sont ces tiraillements incessants de notre pauvre nature déchue, avec les êtres qui l'entourent, que le paysan Limousin exprime si bien, par un adage typique de sa belle langue d'Oc :

« Per tout poys lo dzeno le-i est ! »

ou par cet autre non moins expressif, de l'idiome d'Oïl :

« De quel côté que je me tourne, K Je vois la ville de Libourne ! »

Finalement nous verrons cette antique abbaye, lasse de lutter contre le malheur, plier sous le poids des épreuves et déserter nos bruyères parfumées pour un ciel plus clément.

Sur les bords de la Haute-Luzège, les Filles de saint Benoît ne respirèrent que rarement l'air fortifiant de la paix et du bonheur ; leurs poumons l'auront-ils davantage sur les rives enchanteresses de la Corrèze, au sein non plus d'un village champêtre mais de l'opulente capitale du Limousin inférieur ?

Guère mieux !

Là encore, nos Bénédictines émigrées vivront dans des ruines, au milieu des privations, jusqu'au jour, du reste assez rapproché, où une tempête, autrement effroyable que toutes celles qu'elles avaient entendues gronder dans la forêt de Ventadour, les emportera dans un tourbillon capable de déraciner les montagnes et les jettera aux quatre vents du diocèse.

C'est ce tableau lamentable des épreuves, des souffrances de Bonnesaigne, que nous voudrions pouvoir graver dans ce livre, comme sur une tablette « plus dure que l'airain », pour dire aux hommes de l'avenir :

O ! vous qui passez par les steppes d'Ussel à Combressol, que vous soyez voyageurs, touristes ou disciples de saint Hubert, quand vous touchez au gracieux village de la C/iapelle, de grâce, saluez d'abord la douce Madone de ce lieu ; et puis, prenez le petit sentier ombreux qui glisse entre le puy chauve du Deveix et la vaste prairie, il vous conduira


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au bourg de Bonnesaigne. Là, contemplez à loisir les hautes murailles qui se dressent au levant du modeste village, au pied de la montagne du Fleuret. Pénétrez ensuite dans leur enceinte, et voyez les débris entassés qu'elles entourent de respect, comme un objet de piôlé. C'est tout ce qui nous reste d'une abbaye fameuse qu'elles gardèrent pendant mille ans et plus. Ces ruines pulvérisées, semblables à un monticule de sable, sont l'oeuvre de la main du temps, mais surtout de la main mercenaire de l'homme ; et dites-nous si jamais, dans vos excursions lointaines, vous avez vu désolation semblable à la désolation de l'abbaye villageoise !

Les autres abbayes, en effet, eurent leurs heures de bonheur, participèrent à la gloire du Sauveur et le suivirent au mont Thabor.

Bonnesaigne, au contraire, fut constamment la victime du Calvaire, et semble avoir eu pour mission spéciale d'imiter la vie souffrante de l'Homme-Dieu.

De là, pour cette abbaye, un jeu de physionomie, uniforme et changeant, comme le génie de la souffrance, difficile à décrire :

Il faudrait à l'artiste des doigts de fée et le ciseau d'un Phidias chrétien.

Et puis, Bonnesaigne n'a jamais été appelé à donner une orientation aux grands événements de l'histoire nationale. Jamais cette abbaye n'a été portée sur les ailes du « Génie de la France missionnaire du Christ à travers les Nations », comme Paray, Moulins et tant d'autres. Malgré la noblesse de ses religieuses, sorties toutes de familles au sang généreux, l'abbaye montagnarde resta toujours repliée sur ellemême, par suite de circonstances néfastes qui ne lui permirent jamais de s'épancher au dehors et la retinrent constamment éiendue sur un lit de misères terrestres, au milieu de ses marais. De là, aussi, le terre-à-terre forcé du narrateur de son histoire.

II a beau vouloir s'accrocher à un fait mémorable, faire corps avec un personnage important et partir ensemble pour le pays de l'enthousiasme ; ce personnage et.ee fait, — rares


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oiseaux, — s'il a le bonheur de les rencontrer, ne le soutiennent qu'un instant ; et, malgré ses coups d'ailes réitérés pour se maintenir dans ces parages éthérés, il faut retomber lourdement dans une mare où flottent pêle-mêle mille petits bouts de papier portant des rentes, des dîmes, des proférents, des procès, des cabales, des fermes, des incendies, des ruines, quelques noms d'abbesses, des faits isolés ; disons le mot : mille riens et cent tripots ! Et pourtant :

Si vous ne les arrêtez au passage, pour les épingler ensemble, vous n'aurez jamais l'histoire de Bonnesaigne. Ils disparaissent, les uns dans la poussière, les autres sous la dent meurtrière des rongeurs, les autres enfin dans le fleuve de l'oubli d'où ils ne vous reviendront jamais plus sous la main.

Mais dans ce milieu, à ce métier de colleur, trouva-t-on jamais :

« Le lyrisme attablé, o Tout de neuf habillé ! »

Et le poète n'a-l-il pas dit à son tour :

« L'ennui naquit un jour de l'uniformité? »

Et encore :

« Le secret d'ennuyer, c est celui de tout dire ».

Autant de difficultés, presque insurmontables, pour un vulgaire rapsodiste

Sortons-en de notre mieux, c'est-à-dire comme nous pourrons !...

Après tout, ce n'est nullement, et pour cause ! une oeuvre sereine du Parnasse des Lettres que nous avons en vue, mais bien une excursion dans le royaume sombre de Pluton que nous entreprenons, pour la mise au jour de documents inédits que nos neveux et petits-neveux laisseraient encore, quand nous ne serons plus, dans d'éternelles ombres, au détriment de l'histoire de notre cher Limousin Hâtonsnous :

« Car la montagne prend sa coiffure de neige! »

Qui m'aime me suive, ou me suive qui voudra


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De nouveau, je trempe ma plume dans les eaux diaphanes de la Luzège, pour moi la Fontaine de Jouvence ; et en route !

Malgré les récifs, aux vents propices ou contraires, j'abandonne ma gondole pour un voyage au long cours — onze siècles ! — dans les marais de Bonnesaigne.

« Ave, Maris Stella ! »

THOMAS BOURNEIX, prêtre. Nonars, samedi, 1900. Nativité de la B. H. V. Marie.


CHAPITRE PREMIER

Topographie. — Cimetière. — Eglise. — Cour d'honneur. — Greniers d'abondance. — Ecuries. — Promenade. — Monastère.

§ 1. — TOPOGRAPHIE

C'est une paroisse hien intéressante que celle de Darnets !

Au centre,, flanquée de deux châteaux historiques, se dresse l'église, toute blasonnée aux armes des Soudeilles, chargées de celles des Lieuteret, des Malengue de Lespinasse., des Saint-Georges 1 des d'Àubusson, des Luzançon et des Sédières (ou des Montaignac).

Dans le fond, ses pieds foulent les ruines du célèbre Ventadour, dont les tours mutilées apparaissent, dans le lointain, comme deux fantômes grisâtres.

Sur ses flancs glissent, semblables aux bras du corps humain, deux rivières également cristallines et poissonneuses : la Basse-Luzège, à l'Ouest; et à l'Est, la Haute-Luzège.

Elles viennent l'une et l'autre d'un même réservoir, du plateau de Mille-Vaches, et courent, sur un lit de galets, de moulettes, de bivalves et de grêlées, former un unique cours d'eau, — la Luzège tout court, — un peu en aval de l'ancien château ducal.

Au Nord, sa tête est couronnée d'un diadème de verdure par la forêt de Ventadour, se déployant en hémicycle de l'une à l'autre Luzège, sous forme d'un immense croissant de 400 hectares de superficie.


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Parfois cette forêt, dans son exubérance, saute chez les voisins, par dessus la Haute-Luzège et forme alors, du côté où le soleil se lève, en guise d'aigrettes de couronne ducale : les bois de la Mazière-Basse, de Palisse, de Lerme et de Bonnesaigne.

C'est dans ce dernier massif, de la paroisse de Combressol, que dorment les ruines de l'abbaye bénédictine de filles dont nous entreprenons l'histoire.

Qu'on se figure au sein de ce massif, entre deux collines boisées, ouvertes comme un compas du Nord au Midi, un grand tapis de verdure, plat comme un lac ou un étang qu'il fut jadis, doucement incliné vers le soleil pour recevoir ses rayons réchauffants.

Tels les marais de Bonnesaigne !

Ils naissent au Nord, au bas de deux puys que relie ensemble le plateau de la Chapelle : le puy chauve du Deveix (Teoi, Deoi, Dephoi, les dieux) et le puy chevelu, qui abrite la chapelle et le gracieux village de ce nom contre les ardeurs du Midi. Ils naissent ensemble, ensemble ils meurent au Midi, en se resserrant un peu, dans les eaux claires de la HauteLuzège.

Un ruban d'eau dormante, nuance de saumure, étincelle au bon milieu, de la pointe au fond, des prairies et leur donne les airs aristocratiques d'un énorme écusson « De sinople au pal de gueules ».

De cette vaste pelouse, terminée brusquement en pacages rocailleux de pente rapide, avant d'arriver à la rivière, sortent d'ici de là, à fleur de gazon, des plaques de granit qui pourraient bien être autant de pierres tombales de guerriers fameux dans le temps, aujourd'hui oubliés.


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Cette vallée, ainsi ouverte aux feux du Midi, est frangée, disons-nous, de deux collines, mais d'inégales hauteurs.

Celle du Levant, plus haute, surmontée des mamelons du Deveix, de la Côte et du Fleuret, — autant de propriétés, — se termine en arête de bruyère en arrivant à la Luzège. •

Celle du Couchant, surbaissée, est entièrement livrée à la culture. Elle porte sur ses crêtes : le bosquet de sapins derrière lequel se cachent le village, l'école congréganiste de filles et le modeste édifice dédié à Notre-Dame de Deveix, de La Chapelle. Viennent ensuite les fermes de Monlcliauzoux (retenons ce nom), du Naudet, de la Chastres, des Escures, de Germain, le village de Feyt (bas et haut) (retenons aussi celui-là) et le moulin de la Rochette, au bas d'un rocher dominant la Luzège.

Revenons à la colline du Levant.

De la base du mamelon du Fleuret sort, en forme de cor de chasse replié vers le midi, un ressaut granitique, à pente douce, qui s'enfonce comme un harpon dans le flanc oriental de la prairie, jusqu'à deux doigts de la rive gauche du ruissel.

C'est tout le long de cette langue de terre végétale, montant du ruisseau vers la ferme du Fleuret, que s'étage le bourg de Bonnesaigne, à droite et à gauche de l'antique charrière arquée que gravit, durant des siècles,Ta plus brillante aristocratie de plusieurs provinces à la ronde, en accompagnant ses Damoiselles à l'abbaye champêtre.

De l'extrémité orientale du village, à la bordure d'énormes châtaigniers qui font sentinelles tout le


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long du pré de la Salle et du jardin de l'abbaye, entre la colline et la vallée, se déploie une surface plane à fleur de rocher. De cet endroit court, vers le Nord, un immense carré de murailles s'élevant, à mesure que le terrain de la prairie décline, afin d'avoir le même niveau tout autour des personnes et des choses qu'elles doivent protéger.

C'est au milieu de ce terrain, clôturé par ces quatre murailles, qu'émergeait l'abbaye, avec son église et ses dépendances accessoires.

« Pendant six mois de l'année, a écrit M. l'abbé Laubie, ce pays granitique est souvent refroidi par le vent Nord-Est, qui a passé sur les neiges du MontDore ou sur celles du Cantal.

« L'abbaye était heureusement abritée, au milieu de ces vastes prairies. Les champs du Fleuret, la Côte et le bois du Deveix, qui n'est aujourd'hui qu'une colline découronnée en face de la Chapelle, forment, sur le Levant, les trois châssis d'un long paravent derrière lequel Bonnesaigne pouvait se chauffer aux feux du Midi et du Couchant ».

Dans ce robuste carré de murailles blanchâtres, s'élevant à certains endroits, vers le Nord, du côté du pré de la Salle, jusqu'à dix mètres de hauteur, se trouvaient, disons-nous, les multiples dépendances de l'abbaye : cimetière, église, monastère, greniers d'abondance et les écuries.

L'église et l'abbaye formaient, elles aussi, un grand carré dans un immense carré.

Le jardin, très vaste enclos aux murailles élevées, était au Midi, dans l'arc du ressaut granitique, en dehors du mur d'enceinte, séparé de la communauté


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par la charrière rustique. Les religieuses y pénétraient, sans être vues, par un viaduc jeté sur le chemin rudimentaire, au bas du Fleuret. Ce jardin avait deux pièces d'eau, une pour le poisson, l'autre pour le lavoir ; une grande charmille était au fond. Cette pièce forme à présent une grande prairie triangulaire en face du village vers l'Orient.

La nouvelle voie publique de Meymac à Neuvic, arrivée dans les marais, passe le ruisseau sur un rustique ponceau, gravit ensuite l'ancienne charrière améliorée du ressaut jusqu'au milieu du bourg ; et là, tournant brusquement à droite, elle longe la muraille méridionale de ce bel enclos, encore tout clôturé des pierres moussues de l'ancien jardin abbatial ; puis, elle s'élève à travers les flancs cultivés de la colline jusqu'au niveau du Fleuret et disparaît enfin, au-dessus du vallon, petite comme un « Pal d'argent sur un champ d'azur et de pourpre » formé par le ciel bleu et les bruyères en fleurs, du côté du Bos des Pères (de Saint-An gel), dans la direction de Palisse et de Neuvic.

Et cet endroit, autrefois si solitaire, est aujourd'hui un peu récréé par les grelots du Rossinante qui tire péniblement la patache lambrissée portant les dépêches de l'un à l'autre immense canton montagnard.

De cette position entourée de marais, qu'améliora le travail, venait à notre abbaye son nom de Bonnesaigne : « Jacet in paludosa planitie à quà et nomen Bonoesanioe accepit » (Gallia ChristianaJ.

L'expression vulgaire Saigne, Sania, a la même signification que fonds gras el humide : « Sanioe


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enim vernacula idem sonat ac fondus pinguis et humidus » (Idem.)

Les notaires du Moyen-âge appelèrent aussi Bonnesaigne : Vallis, vallis calida, vaïles etuva, vallée, vallée chaude, vallée étuve ; ou bien, Podium maris, Puy du marais.

Et certaines abbesses, au lieu d'employer dans les actes leur nom patronymique, se servirent de celui du lieu qu'elles habitaient : de Voile, de Valle-Eluvâ, ou simplement de Val-Tuvâ, Val-Tuve, comme Adelaïs de Ventadour. D'autres, comme Blanche II de Ventadour, signaient : Domina Blanchia de Podiomoris, aliàs Bonnesanhioe. Ce qui a désorienté certains écrivains et leur a fait croire à l'existence d'abbesses dont les noms de famille étaient ceux de Vallée, du Val-Tuve et de Puy marais. Nous le constaterons au chapitre sixième de cet ouvrage.

Le portail d'honneur était du côté du bourg, à gauche du visiteur ; et le Fort à droite, vers la montagne du Fleuret, l'un et l'autre dans la partie supérieure, c'est-à-dire dans la muraille méridionale de clôture que longe l'ancienne voie publique grimpant à plein collier vers les champs du Fleuret.

C'était près du Fort qu'était jeté le viaduc conduisant les religieuses au jardin.

Le portail situé dans la muraille de clôture du Nord — partie inférieure de l'enclos — ne conduisait qu'aux écuries, aux greniers d'approvisionnements, sans qu'on pût pénétrer de ce côté dans le cloître; il ne servait qu'à l'exploitation du pré de la Salle et des domaines.


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Et maintenant, pénétrons par le portail d'honneur

,dans cet enclos muré, dont une faible partie est

ouverte au public et le reste uniquement réservé aux

religieuses, aux parents des élèves et aux visiteurs

autorisés.

§ 2. — CIMETIÈRE — ÉGLISE

Le Portail d'honneur, surmonté d'un « Damier d'or et de gueules » (des Ventadour primitifs), plus tard remplacé par un « Ecusson d'or à trois chevrons de sable » (des Lévis), s'ouvrait sur une avenue, d'une muraille à l'autre de l'enclos, coupée vers le milieu par une grande grille, et, presque au fond, par un mur percé d'une porte basse.

Cette avenue était gardée, à gauche du visiteur, par la muraille occidentale de clôture, et, à droite, par une série de constructions ajourées.

Ouvrons la première porte.

Nous voilà dans le champ des morts ; au milieu se dresse une haute croix de chêne peinte en rouge, avec Christ passé en blanc, que nous nous rappelons encore comme un rêve d'enfance. C'est là que dorment, sur le flanc méridional de l'église abbatiale, en attendant le signal du grand réveil, les pieux fidèles du village.

La seconde porte nous donne accès dans l'église orientée suivant toutes les règles liturgiques. Jetons, avant d'y entrer, un coup d'oeil sur son haut clocher, grande tour carrée que nous verrons, dans la suite, plusieurs fois visitée par la foudre et la mitraille.

A l'intérieur, l'église abbatiale présente une croix

T. XXIV 2 — 6


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latine, à trois nefs, avec dôme sur le transept, déambulatoire et chapelles circulaires.

C'était, rapporte la tradition, la soeur de celle de Saint-Angel, sauf pour le clocher, que cette dernière attend toujours et n'a jamais eu.

Les trois nefs terminées par une grille, en arrivant au transept, étaient réservées aux fidèles de l'annexe paroissiale.

Les bras de la croix, dans lesquels on montait par trois marches, étaient à l'usage de l'aumônier, des soeurs converses, des élèves et des employés de l'abbaye.

La tête de la Croix (ou chevet) était uniquement réservée aux soeurs de choeur, derrière une seconde grille qui les séparait de l'aumônier, des frères oblats, des soeurs converses et des employés de l'abbaye.

Leurs stalles circulaient tout autour, en hémicycle, sur trois rangs surélevés.

Le maître-autel (ou de communauté) était sous le dôme du transept.

Cette église, du patronage de la T. S. V. Marie (Présentation), existait dans toute sa splendeur longtemps avant 1165 et servait de sépulture aux religieuses.

La cure de Gombressol y avait une succursale d'environ 250 habitants, sous le vocable de saint JeanBaptiste (Nativité).

S'il faut juger des autels de cette église, par les vicairies établies dans l'abbatiale, ils étaient nombreux.

Sans parler du maître-autel et de celui de la succursale, on en trouve jusqu'à huit.

Ce sont :


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1° La vicairie de saint Eustache, avec prébende, fondée en 1200 par le pieux vicomte Ebles V de Ventadour, un an avant d'entrer en religion à l'abbaye de Grandmonl, et par sa vertueuse épouse, Marie de Turenne, soeur de Boson III et de Raymond seigneur de Servières. L'abbesse y nomma en 1473, 1487, 1492, 1580, 1587, 1602.

Le duc de Ventadour y nomma aussi.

2° La vicairie de sainte Anastasie, fondée par dame Burgondie de Ventadour, épouse de Pierre de Gbâteauneuf, seigneur dudit lieu et de Saint-Germainles-Belles (Haute-Vienne), père de Mathe, abbesse de Bonnesaigne de 1275 à 1285. L'abbesse y nomma en 1437, 1527, 1531, 1573, 1585, 1627.

3° La vicairie de sainte Catherine, qui payait dix livres. L'abbesse y nomma en 1447, 1492, 1569, 1575, 1593, 1660, 1696, 1721, 1729, 1762.

4° La vicairie de saint Loup, évêque de Limoges, avec prébende. L'abbesse y nomma en 1483, 1585, 1603.

5° La vicairie de Chalus (plus probablement Charlus, ce qui dénoterait encore une fondation des Ventadour).

6° La vicairie de saint Antoine, dite de Bargaudie. 0

7° La vicairie de saint Nicolas, évêque de Myre (en Lycie), avec prébende, en 1592 ; l'abbesse y nomma en 1416 et 1465.

8° Enfin la vicairie dite du Deveix, sous le vocable de N.-D. de Pitié, en la chapelle que l'abbesse Gabrielle de Beaufort de Canillac bâtit dans l'église abbatiale, sous la date de 1629, en souvenir de Tanti-


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que chapelle rurale que l'on voit en amont des prairies, sur le bord de la route nationale de Tulle à Clermont.

L'abbesse nommait à tous ces bénéfices.

Un quart de siècle environ après la mort du roi saint Louis, l'abbesse de Val-Tuve institua, dans son église, la confrérie de la Sainte Croix (1282-1292).

J'ai dit que les religieuses avaient leurs tombeaux dans l'église. A^oici un fait à l'appui de cette assertion qui n'a du reste pas besoin d'être prouvée, étant donné que, durant ces époques glorieuses de la foi, nos églises étaient autant de Nécropoles, dans lesquelles on ne pouvait faire un pas sans marcher sur l'Histoire, comme eût dit l'orateur romain : « Quàcumque enim ingredimur in aliquam historiam vesligium pominus » (Cic. Defnibus, liv. V, 2).

Voici donc le fait :

Le 4 mai 1875, mardi des Rogations, tandis que l'Eglise célébrait la fête de sainte Monique et qu'Ussel tenait sa grande foire, un paysan de Palisse fit, dans les décombres de l'abbatiale, une trouvaille sensationnelle.

En déchaussant un tronçon de colonne, il ouvrit un tombeau bâti à chaux et à sable. Dans ce tombeau se trouvaient deux statues de saints, un groupe de N.-D. de Pitié, et enfin un crâne humain parfaitement conservé. Le tout fut religieusement déposé dans une humble chaumière du voisinage, qui était celle du propriétaire des ruines.

Dès le lendemain, le village de Bonnesaigne se crut aux plus beaux jours de son abbaye ! De tous les cantons voisins, les curieux accouraient en foule ; et,


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durant plus d'un mois, la cahute fut un lieu de pèlerinage et des plus fréquentés.

Vingt jours après — c'était le lundi de la Sainte Trinité — j'y allai moi-même, en la compagnie de l'inoubliable M. Bazetou, revenant avec moi de prêcher la première communion à Palisse, sous le pastorat de M. J.-B. Furnestein.

Voici ce que nous constatâmes, après bien d'autres assurément, car la méprise n'est pas possible :

La première des statues est celle d'un évêque crosse, mitre; de saint Loup ou de saint Nicolas.

La seconde est celle de saint Antoine, avec l'emblème de son fidèle compagnon.

Notre-Dame de Pitié est assise, tenant sur ses genoux le corps inanimé de son divin Fils étendu de gauche à droite. Elle a les mains jointes et les yeux abaissés sur le corps de Notre-Seigneur. La Mère des douleurs est assistée de deux femmes : Marie-Madeleine et l'autre Marie dont parle saint Mathieu : « Erat autem ibi Maria Magdalena et altéra Maria » (XVII, 56-61). Celle de droite serre, avec compatissance, de sa main gauche, les mains jointes de la sainte Vierge, et de la main droite elle soutient la tête du Sauveur.

La femme de gauche passe son bras droit dans le gauche de la Mère de Jésus, et porte de l'autre main un vase de parfums.

Les divers personnages de ce groupe ont beaucoup souffert. Les têtes sont séparées des épaules et les figures grandement endommagées. La sainte Vierge a une partie du front emportée, et la sainte femme de gauche a le visage complètement détérioré. La tête


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du Christ a disparu, ainsi que la main de la sainte femme qui la soutenait.

D'après la déchirure qu'elle porte, la statue d'évèque avait le flanc gauche encastré dans les parois de la muraille, ce qui indique le côté de l'Evangile.

La tradition locale rapporte qu'en 1793 les bons habitants de l'endroit avaient caché ces objets de leur piété, depuis tant de siècles, au fond de ce tombeau, pour les soustraire à la profanation des terroristes d'Ussel et de Meymac. Elle ajoute que bien d'autres statues sont de même enfouies sous les dalles de l'abbatiale.

Groupe et statues sont en calcaire de même provenance que la pierre à personnages du tombeau de Soudeilles.

L'église de Saint-Bonnet-la-Rivière possède une Mater ûolorosa, mais de proportions réduites, absolument semblable au groupe de Bonnesaigne.

Enfin, le crâne humain est allongé, avec une épingle en acier enfoncée dans l'occiput. Quel nom fut gravé sur ce front le jour de son baptême ? Quelle âme a habité cette boîte osseuse? Quelle fille de nos grands seigneurs limousins est entrée dans ce tombeau avec cette épingle, pour retenir, jusque dans la mort, le voile qui cacha les charmes de son visage aux visiteurs qui se présentèrent aux grilles du parloir ? Quelle abbesse de Bonnesaigne portera au front, le jour de la résurection, cette cicatrice d'épingle? Mystère du temps, que nous pénétrerons peut-être dans l'éternité !...

Se doutait-il, le brave paysan, que sa trouvaille d'alors servirait aujourd'hui, aux Chroniqueurs, pour


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établir que l'église de Bonnesaigne avait les autels de saint Antoine, de saint Nicolas ou de saint Loup, de N.-D. du Deveix, et servait de tombeau aux filles de saint Benoît?

Des fouilles pratiquées avec intelligence sous ces décombres, ne tarderaient pas à nous révéler d'autres surprises.

Une nombreuse noblesse, dont il existe une longue liste dans l'obituaire du couvent, dort aussi dans cette église, à côté des abbesses; y a fondé des obits et fait d'abondantes aumônes. Je trouve dans mes notes :

& Le 1er mai 1665, décéda eh la maison de l'abbaye royale de Bonnesaigne, et fut inhumé dans l'église de ce lieu, Messire Léonard d'Ussel de Châteauvert, chevalier de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, commandeur de Maissonnisse en Marche, âgé d'environ 76 ans, en présence de Joseph d'Espinet, avocat, et de Marie Ravet, tous habitants du bourg de Bonnesaigne ».

Anne de Montmorin était alors abbesse.

D'autres seigneurs demandaient, comme une faveur, de recevoir la bénédiction nuptiale dans l'église abbatiale. La coutume en était tellement bien établie que, dix ans après le départ de la communauté, les enfants de famille continuaient à aller s'y faire bénir :

ce En 1770, dans l'église abbatiale de Bonnesaigne, fut célébré le mariage de Joseph Mary, avocat au Parlement, du bourg de Saint-Angel, avec Mademoiselle Marie-Madeleine d'Espert, fille de Maître Michel d'Espert, notaire royal, et de demoiselle Marie-Rosa de Mirambel, du bourg de Bonnesaigne, en présence de M. Sourzac, chirurgien, et de M. Pierre Perrier,


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avocat au Parlement, juge de l'abbaye de Bonnesaigne et de la châtellenie de Davignac ».

Une réflexion seulement et notre visite dans l'abbatiale est finie.

Est-ce que, ami lecteur, la chétive bourgade de Bonnesaigne, avec : avocats, huissiers, juges, chirurgiens, apothicaires ou droguistes, et prêtres blancs ou habitués, car il y en avait, ne vous paraît pas aussi vivante, disons le mot, aussi lettrée alors qu'aujourd'hui, malgré l'instruction gratuite, laïque et obligatoire? QSQSÏ ce que nous nous sommes demandé bien souvent, chaque fois que nous avons eu le plaisir de dépouiller les archives d'une église de campagne. Partout, non seulement dans les bourgs, mais encore dans les villages, nous avons constaté la présence de mêmes hommes marquants. Bien plus, à Soudeilles, petite paroisse alors de trois à quatre cents habitants, j'ai trouvé jusqu'à quarante-deux prêtres, vivant en même temps, répandus dans les villages, au sein de leurs familles, instruisant les enfants du peuple et se réunissant le dimanche, aux offices de la paroisse, sous la houlette du pasteur, supérieur de droit de cette phalange de prêtres habitués, formant la communauté des prêtres de Soudeilles.

Oui, l'instruction, l'aisance et l'éducation surtout étaient alors plus répandues dans les familles villageoises qu'elles ne le sont aujourd'hui, malgré notre siècle de Lumière et de Progrès.

Voilà ce que nous ont valu, à nous habitants des champs, cent ans de révolutions, avec émigration vers la capitale et les grandes villes de province :

« La campagne se meurt, la campagne est morte ! »


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§ III. — COUR D'HONNEUR— GRENIERS D'ARONDANCE— ECURIES — PROMENADE ?—? MONASTÈRE

Après cette visite, sortons de l'abbatiale, et allons frapper à la porte de la grille qui s'ouvre à l'instant devant nous.

Nous voilà dans la cour d'honneur où parents, élèves, visiteurs et amis se succèdent à tour de rôle. Nous avons, sur notre droite, la façade occidentale du monastère, percée au bon milieu d'une porte d'entrée avec guichet soigneusement fermé.

Passons sans rien dire, même ce sans regarder au castel ».

La porte du fond de la cour d'honneur nous conduit dans la cour des greniers d'abondance et des écuries, vaste parallélogramme de l'une à l'autre extrémité de la muraille de ceinture du Nord. Les greniers sont à droite et les écuries à gauche du portail inférieur.

Admirons, en passant, l'ampleur des deux tours rondes, formant angles de la façade septentrionale du couvent. La porte, soeur de celle par laquelle nous sommes entrés dans la cour des employés subalternes, nous donne accès dans le préau, ou promenade des religieuses.

Nous voilà sur la façade orientale de l'abbaye, au bas du Fleuret, sur la lisière des énormes châtaigniers dont l'ombre bienfaisante saute par dessus la haute muraille de ceinture pour rafraîchir nos bénédictines. Dans le fond, au Midi, apparaissent le chevet de l'église, les murs du cimetière et le Fort avec son viaduc pour conduire les religieuses au jardin que nous connaissons déjà.


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Cette fois, prenons notre courage à deux mains et frappons à la porte faisant vis-à-vis au guichet du couchant, devant lequel nous avons passé sans oser déranger la portière.

Nous voilà dans la cour carrée de l'intérieur de l'abbaye. Nous pouvons cette fois contempler à loisir l'aspect grandiose du monument, que la piété de nos pères se plut à élever pour abriter la vertu des filles des seigneurs du Limousin et des provinces environnantes, durant plus de dix siècles.

Au milieu de la cour glouglotte une conche, dont les eaux jaillissantes, descendues du Fleuret, clapotent dans un bac rond creusé dans un énorme bloc de granit.

Les bâtiments forment eux-mêmes un carré autour de la cour : à l'Est, au Nord et à l'Ouest les trois ailes des constructions de l'abbaye, et au Midi, l'église abbatiale.

Les cloîtres, avec voûtes et arcades, régnent tout autour.

Par dessus bâillent les croisées étroites des deux étages de l'abbaye, dont la porte principale est dans une énorme tour ronde faisant saillie sur la façade qui relie les deux ailes du bâtiment, au septentrion.

Telle est la physionomie générale de l'abbaye villageoise de Bonnesaigne ; physionomie que nous avons pu saisir, non sans peine, à l'aide des pages malheureusement trop laconiques que nous a laissées M. l'abbé Laubie; des notes que nous possédons de M. le curé Bazetou, et des visites nombreuses que nous avons nous-même faites — toujours le coeur serré — autour de ces ruines désolées.


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Les greniers d'abondance et l'église mettaient l'abbaye à l'abri des vents du Nord et du Midi. Les coteaux boisés du Fleuret la défendaient contre ceux du Levant.

Ainsi gardée, ce l'abbaye se chauffait paisiblement, en hiver, aux feux du Midi et du Couchant ».

Défendue, sur les quatre côtés, par ses hautes murailles de ceinture, par son fort, son clocher et ses trois tours, l'abbaye pouvait aussi espérer que jamais injuste agresseur n'oserait venir troubler son repos, au milieu des marais et des bois, et que ses jours auraient une durée sans fin.

Hélas! ils étaient comptés, comme tous ceux des oeuvres sorties de la main des hommes !

De l'archiprêtré de Gimel, et à deux milles d'Ussel, Bonnesaigne formait un triangle avec T'abbaye et le prieuré bénédictins d'hommes de Meymac et de Saint-Michel-Archange de Saint-Angel.

Le monastère de Bonnesaigne relevait immédiatement du Saint-Siège et l'abbesse, élue à vie, qui le gouvernait, s'adressait directement et sans intermédiaire au Souverain Pontife :

ce Romanoe sedi immédiate subjacet locique Domina audit abbatissa » (Gai. Christ.J.

Cette abbaye valait 4,000 livres et en payait 500 au Saint-Siège à chaque nomination d'abbesse.

Du temps de l'abbesse Catherine de BeauvergerMontgon (1701-1747), on l'estimait valoir 8,000 liv. ; payait de décimes ordinaires 183 liv. 4 s. 6 d. ; de nouvelles, 22 liv. 13 s., et de subventions 440 liv.

Il y avait aussi, de son temps, une vicairie simple, qui valait 60 livres, en blé payé par la dame abbesse


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qui y présentait ; le curé de Rosiers-Masléon en était titulaire et en payait : décimes nouvelles 5 sous et subventions 10 livres.

Mais, profanes que nous sommes ! c'est violer trop longtemps la clôture de ces lieux sacrés et nous exposer à encourir interdit ou suspense ; sortons au plus vite!... Et, gravissant mélancoliques et rêveurs la côte du Fleuret, demandons-nous, en jetant un dernier coup d'oeil sur ces murs que nous nous figurons encore debout : qui donc, dans le lointain des âges, a eu l'idée de bâtir une maison religieuse en cet endroit solitaire, humide et chevelu? '

C'est ce que nous allons essayer de dire dans le chapitre second de cet ouvrage.


CHAPITRE II . . -

Origine de Bonnesaigne : 1° Légendaire. — 2° Historique. — 3° Abbatiale. — 730, 1165, 1174.

A quelle époque et par qui ont été élevées ces robustes murailles de Bonnesaigne que nous venons de visiter et qui ont bravé tant d'orages déchaînés contre elles par les hommes et par le temps?

Bonnesaigne a trois périodes bien distinctes dans son existence : la période légendaire ou traditionnelle, la période écrite ou historique et la période abbatiale.

§ 1. —ORIGINE LÉGENDAIRE DE BONNESAIGNE 730, 780, 1095, 1147

Gomme cette communauté n'a fait son entrée dans l'histoire, d'une manière éclatante, qu'en 1165, à la suite du Bref de privilège, daté de Clermont, que le pape Alexandre III adressait à la prieure Jovite, le scepticisme contemporain refuse d'admettre la vérité traditionnelle de l'existence de ce monastère avant le xne siècle.

C'est aussi juste que si l'on faisait ce raisonnement étrange, en parlant d'un académicien :

ce Je ne connais de cet homme que deux ou trois' actes de sa vie, avant le jour de son immortalité; donc il n'existe que depuis son apothéose dans le palais des muses de Richelieu ».


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La conséquence ne découle pas précisément de l'antécédent.

De même pour Bonnesaigne.

Son histoire nous est peu connue, durant 435 ans, par suite des événements sinistres de ces temps troublés de notre histoire nationale ; mais ce n'est pas une raison pour refuser de croire à sa préexistence au bref du pape et pour rejeter toute tradition conforme à cette croyance que l'on conservait précieusement dans l'abbaye montagnarde et que nous trouvons soigneusement consignée dans les auteurs anciens que nous nommerons bientôt.

C'est pourtant ce que font nos sceptiques modernes, ennemis jurés des traditions, dans de récentes publications.

L'un d'eux écrit, en effet :

ce L'abbaye (de Bonnesaigne) se prétendait, en son livre de Règles, fondée vers 731, par Eudes duc d'Aquitaine, et réformée en 1645. Soufflant sur cette fausse erreur pire que la nuit, reculons vers 1150 Vorigine de ce prieuré ; déjà en bonne voie en 1165; devenue abbaye VERS 1180 ».

Un autre continue :

ce Ce sont les Comborn, seigneurs de nos montagnes et fondateurs de l'abbaye de Meymac (3 février 1085), qui ont fait germer cette fleur des champs »...

D'autres s'aventurent à dire : ce Ce sont plutôt les Ventadour, rameaux des Comborn poussés dans nos bruyères en 1059, dans la personne d'Ebles Ier, fils d'Archambaud II et de Rotberge, fille d'Aiméric II vicomte de Rochechouard ».

Et ils ajoutent à l'appui de leur assertion, — ce


r-. 235 -^

qui est vrai du reste — : « Longtemps les Ventadour prétendirent à la qualité de fondateurs et se comportèrent comme tels en 1471, lors de la mise en possession de l'abbesse Blanche de Gimel ». Bien plus : ce A un moment donné, l'abbaye portait les armes des Ventadour, et ce fut de ces derniers qu'en 1280, l'abbesse Mathe de Ghâteauneuf fut obligée d'acheter le droit de justice dans l'endroit ».

Si les adversaires des traditions bénédictines sont à bout d'arguments-pour établir leur thèse, nous pouvons leur en fournir quelques autres, bien plus concluants, tirés des archives de M. J. Seurre-Bousquet, d'Egletons, et leur dire :

ec Non seulement Ventadour prétendit, durant des siècles, au titre de fondateur de Bonnesaigne; se comporta comme tel le jour- de l'installation de Blanche de Gimel ; donna ses armes à l'abbaye et vendit le droit de justice à Mathe de Châteauneuf, mais encore il avait des titres reconnus pour cela faire.

L'abbaye relevait, en effet, de Ventadour; et ce droit de ressort et de suzeraineté était établi, non seulement par l'usage plusieurs fois séculaire, mais aussi par des titres de 1280, 1338, 1341, 1444, 1599, 1603 et même de 1635... Retenons cette dernière date.

Hé bien! malgré tous ces actes, malgré tous ces titres — qui s'expliqueront du reste dans le cours de notre récit — tous militant en faveur de nos amis devenus nos contradicteurs dans la circonstance, les prétentions des Ventadour ne se justifient pas devant l'histoire et encore moins devant les tribunaux. Ils ne sont point les fondateurs de Bonnesaigne.

Ils en firent l'expérience en 1627.


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Une femme de grand caractère, comme il y en avait tant au siècle de Saint-Vincent de Paul, une abbesse intrépide, Mme Gabrielle de Beaufort de Canillac, lasse sans doute des abus que de semblables prétentions avaient entretenus malheureusement trop longtemps dans son abbaye, résolut de les réduire à néant. Elle dressa un mémoire sur les véritables origines de sa communauté et le soumit au Parlement. Les raisons sur lesquelles reposaient ses dires parurent tellement convaincantes que l'auguste assemblée, après mûr examen du mémoire, rendit un arrêt en 1627 par lequel les Ventadour se trouvaient déboutés de leurs prétentions de fondateurs de l'abbaye de Bonnesaigne.

Le pieux duc Henri, futur chanoine de l'insigne église Notre-Dame de Paris, et sa vertueuse épouse, Marie-Liesse de Luxembourg, future carmélite de Chambéry, étaient battus, malgré les raisons qu'ils durent opposer aux assertions de l'abbesse et les aboutissants qu'ils avaient au Parlement.

Seul le titre de bienfaiteurs de cette abbaye leur resta.

On ne peut donc pas dire que Bonnesaigne vit le jour vers 1150, deux ans avant la mort d'Ebles II, vicomte de Ventadour. Ce vicomte est bien du reste un des seigneurs limousins qui s'occupèrent moins à fonder des cloîtres, qu'à prendre part aux guerres privées de l'époque. Né avec une imagination ardente et vive, enrichie d'une certaine instruction, il précéda, dans la carrière des troubadours, le célèbre Bertrand de Born qui sut, comme lui, manier l'épée aussi bien que la harpe. Il avait pour émule le duc


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de Poitiers, Guillaume-le-Jeune, « bon troubadour, bon chevalier d'armes, qui courut longtemps le monde pour tromper les dames », et que la croisade ne corrigea pas de ses débauches. On connaît sa réponse à Gérard, évêque d'Angoulème, qui l'engageait à changer de conduite : ce Vous ramènerez, avec le peigne, vos cheveux sur le front, avant que je quitte la. princesse » (de Châtellerault). L'évêque était entièrement chauve (Guill. Malmesburg, t. V, p. 170 ; Marvaud, t. Ier, p. 241).

D'autres enfin écrivent, au Bulletin de la Société archéologique et historique du (Haut) Limousin :,

ce Cette abbaye n'était de son origine qu'un prieuré fondé, à ce que l'on croit, dès l'an 730 ; on ne le connaît pourtant que depuis un bref du pape Alexandre III, donné à Clermont le 18 juillet 1165, qui en fait mention et en confirme les biens à Jovite, prieure.

ce Si les seigneurs de Pompadour n'en sont pas les fondateurs originaires, au moins en sont-ils les bienfaiteurs insignes et les protecteurs, et ceux de Comborn, de Maumont, d'Anglars, de Chabannes, de Turenne, de Gastelneau, d'Ambrugeac, de Vars, de Chalon, de Penacors et autres seigneurs du BasLimousin y ont contribué » (t. XLVI, p. 350).

C'est-à-dire que Leduc, lui aussi, à l'air de ne pas connaître les traditions de Bonnesaigne ou en fait trop aisément litière (Etat du diocèse de Limoges, 9).

Pas plus que les Ventadour, les Pompadour ne sont les premiers fondateurs de Bonnesaigne.

Qui donc eut l'idée de bâtir ce monastère au fond de cette vallée grasse et humide des bords de la Haute-Luzège?

T. XXIV 2-7


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Le mémoire de la triomphante abbesse, dressé contre les prétentions de Ventadour, pourrait seul nous l'apprendre d'une manière précise. Mais où estil? qui nous le dira? Heureux le pionnier de l'histoire qui arrivera un jour à la découverte d'un tel trésor !

Puisque donc, faute de documents précis, nos adversaires eux-mêmes, bon gré mal gré, reviennent toujours sur le terrain des suppositions en disant : ce C'est vers 1150, vers 1165, vers 1180 qu'il faut placer l'origine de ce prieuré d'abord, devenu abbaye ensuite; si les Pompadour, etc., etc. », pourquoi ne pas nous débarrasser de tous ces vers et de tous ces si et maintenir simplement les traditions conservées à Bonnesaigne, sans vouloir toujours innover dans le domaine de l'histoire?

Les voici donc les traditions concernant les origines primitives de cette abbaye, que nous trouvons dans les vieux historiens et que respectent des écrivains que nous sommes heureux de suivre jusqu'à preuve évidente que nous faisons fausse route avec eux.

D'après ces traditions respectables, que les découvertes des fouilleurs de grimoires enfumés viennent confirmer chaque jour, Bonnesaigne, durant cette période ténébreuse de son existence, nous donne quatre fois signe de vie : en 730, en 780, en 1095 et en 1147.

La première fois, notre abbaye sort de terre;

La seconde, elle balance ses tours dans des flots de lumière ;

La troisième, elle est parée des libéralités de nos seigneurs montagnards ;


— 239 — La quatrième, sa mense se complète.

1° Fondation de Bonnesaigne (730J

Ce serait, en effet, le terrible adversaire de CharlesMartel, le duc Eudes, couronné roi d'Aquitaine et comte de Poitiers, à Limoges (681-735), lors de la débâcle de la première race de nos rois, qui aurait jeté, en 730, les premiers fondements de notre abbaye.

C'est ce que nous apprend le R. P. Estiennot, bénédictin fameux qui, de 1673 à 1684, rédigea 45 vol. in-fol. sur les origines des maisons de son ordre en France ; recueil précieux de documents sur lequel ont travaillé Mabillon, Sainte-Marthe et les autres Bénédictins.

Le R. P. Bonaventure de Saint-Amable constate la même.tradition, dans son article sur Bonnesaigne, et nous donne également la date de 730, tout en nous avertissant que, faute de documents, il est obligé de ne commencer l'histoire de notre abbaye qu'à partir du xne siècle, c'est-à-dire du jour où le pape écrivit de Clermont à la prieure Jovite (t. III, p. 460).

Dans la Préface des Constitutions, que la révérende abbesse Gabrielle de Beaufort de Canillac fit donnera sa communauté, en 1645, par des hommes éminents en science et en sainteté que nous aurons occasion de nommer plus tard, nous trouvons ce qu'il y a de fortes conjectures de croire que c'est environ 731 que l'abbaye de Bonnesaigne vit le jour », un an avant la victoire de Poitiers à laquelle le duc Eudes, enfin réconcilié avec la nouvelle dynastie, participa d'une manière si" brillante (732).

Enfin, dans l'acte de résignation de l'abbesse Anne


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de Montmorin, sous la date du 30 mai 1682, l'abbaye de Bonnesaigne est dite ce de fondation royalle ».

Les voilà les traditions de Bonnesaigne !

Et les historiens, arrivés après ceux que nous venons de citer, répètent les mêmes traditions et nous donnent la même date (730) :

ce On croit, dit Marvaud, que le fondateur (de Bonnesaigne) fut Eudes, duc d'Aquitaine, au vme siècle. Mais à la suite des guerres étrangères et intestines survenues peu de temps après, ce cloître avait été négligé. Plus tard, il s'enrichit de nombreuses concessions faites par les vicomtes de Comborn, de Ventadour, et par les seigneurs d'Anglars et d'Ambrugeac, qui ensuite s'en disputèrent longtemps la possession, toujours d'après les mêmes passions féodales que nous avons rencontrées si souvent » (t. Ier, p. 239).

Et le consciencieux M. de La Rouverade, ayant à parler de cette maison dans ses Etudes historiques el critiques sur le Bas-Limousin (1860), nous dit :

ce Bonnesaigne, abbaye de filles, contemporaine de Vigeois » (p. 172).

Or, cette dernière abbaye fut restaurée par saint Yrieix et sa mère Pélagie, qu'on croit avoir été la femme d'un comte de Limoges, en 571 (Hisl. du BasLimousin, p. 52).

Enfin, l'intrépide géographe Limousin, M. J.-B. Champeval, parlant de Bonnesaigne, nous dit dans ses notes : ce Bonnesaigne, prieuré fondé, croit-on, vers 730, connu cependant que par bref du pape 1165, érigé en titre d'abbaye plus tard, vers 1180 »...

De ce concert unanime d'historiens, anciens et modernes, il résulte clairement pour nous, malgré


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les novateurs que nous avons en vue, que les premiers fondements de Bonnesaigne, prieuré ou abbaye, comme l'on voudra, — cette question s'éclaircira plus tard — furent jetés en 730, par Eudes, roi d'Aquitaine et comte de Poitiers.

Voilà un premier point de Y histoire légendaire de Bonnesaigne, qui me paraît digne de respect et de croyance.

Le second l'est aussi.

2° Achèvement de Bonnesaigne (180)

Mais ce n'est pas dans les quatre ou cinq ans qui lui restaient à vivre, après cet acte de piété chrétienne, que le duc pouvait conduire à bonne fin l'oeuvre qu'il avait commencée dans les marais de Bonnesaigne.

Il dut la léguer, comme un héritage de famille, à Hunald, son fils.

Mais Hunald, à son tour, put-il s'occuper activement de l'oeuvre de son père durant les dix ans de luttes incessantes qu'il eut à soutenir contre CharlesMartel, Pépin et Carloman, qui le forcèrent à abdiquer et à se retirer dans l'île de Ré? (745).

L'infortuné Waiffre, son fils et son successeur, le put-il davantage?

Durant ses vingt-trois ans de règne (745-768), il fut traqué, comme une bête fauve, par Pépin, qui avait envie du beau et riche royaume d'Aquitaine. Chassé de Y Auvergne, du Quercy et du Limousin, Waiffre alla tomber misérablement, sous le poignard d'un lâche assassin, son ami (Warston, que Pépin avait


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soudoyé), dans la forêt à'Edobole, aujourd'hui Vergt en Périgord (765) (1).

Durant cette terrible levée de boucliers, où devaient périr la nationalité et l'indépendance de l'Aquitaine, les soldats de Pépin se comportèrent en vrais barbares : ce Monastères envahis, moines expulsés ou égorgés, églises dépouillées et châteaux renversés, ce furent là comme des jeux pour ces hommes sauvages ».

Pépin fit table rase en Auvergne ; Scorailles et autres châteaux furent renversés ; seul, celui de Tournemire nargua le puissant vainqueur : ce Turrim ne mira ! » Ne perds pas ton temps à regarder cette tour (765).

Le Limousin surtout fut livré à la merci des rudes envahisseurs. Ecoutons l'histoire :

ce Tout le Lemovicinum fut abandonné à la fureur des soldats de Pépin ». L'église de Nonars fut pillée et saccagée ; le château vicarial d'Arnac (Puy-d'Arnac) fut renversé depuis la Capfouillère jusqu'au jardin actuel de la cure (765) ; ce le castrum de Torenna (Turenne) fut visité aussi. Mais le lâche vicomte, qui avait attiré, en bonne partie, tous ces fléaux sur nos contrées, n'eut pas le courage de résister jusqu'à la fin. Il fit sa soumission et mérita, par cette félonie, de devenir l'unique seigneur du Limousin inférieur. Enfin, le castrum d'Isodunum (Yssandon), que Waiffre regardait comme faisant partie de son domaine privé, fut renversé de fond en comble ».

ce Tout le Pagus jusqu'à Isodunum, dit le chroni(1)

chroni(1) Ar.-D. de Chastres, par l'abbé Bessou, p. 35 et suivantes.


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queur, souffrit beaucoup. Cette partie de l'Aquitaine, qui abondait en vignobles et fournissait des vins aux pauvres comme aux riches, fut ruinée pour toujours (765) ».

Et Frédegaire ne rappelle qu'avec douleur cette partie des vengeances de Pépin qui, après avoir dépossédé ses maîtres du trône, étouffé leurs descendants dans les cloîtres, poursuivait les restes de leur maison et leurs sujets fidèles par le fer et par le feu » (De Larouverade, Etudes, etc., p. 149).

Les oeuvres fondées par Waiffre et ses ancêtres attirèrent tout particulièrement les colères du soudarl vainqueur. Et si Bonnesaigne battait alors son plein, ce qui est peu probable, il est aisé de deviner le sort qui lui fut réservé, dans cette conflagration universelle du Limousin qui s'était choisi Waiffre pour maître et pour roi.

En apprenant tous ces maux tombés sur son royaume, Hunald sortit de l'île de Ré pour venger son fils lâchement assassiné. Mais vaincu à son tour et pris par Charlemagne, il put néanmoins s'enfuir chez Didier, roi des Lombards, pour lui souffler la guerre contre l'oppresseur de sa famille. Charlemagne le poursuivit par de-là les Alpes, et c'est durant le siège de Pavie qu'Hunald fut lapidé par les habitants de la ville, las des calamités que sa présence dans leurs murs leur avait attirées (774). Ses descendants régnèrent quelques temps encore sur une faible partie de l'Aquitaine.

Hunald et Wa'ïffre, malgré les malheurs qui les accablèrent, semblent pourtant ne pas avoir perdu de vue, un seul instant, l'oeuvre de leur ancêtre. Ils y


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travaillèrent d'une manière plus ou moins active, selon les moments de repos plus ou moins longs que leur laissaient leurs guerres incessantes. Mais enfin, il paraît bien qu'ils s'en occupèrent, eux ou leurs successeurs amoindris. Les historiens Estiennot, Marvaud, de Larouverade, etc., en effet, s'accordent à dire que, six ans après la mort tragique d'Hunald sur la terre d'Italie toujours inhospitalière aux Français, Bonnesaigne était complètement achevée (780).

Voilà donc un second point de Vexistence légendaire de Bonnesaigne qui nous paraît solidement établi : commencée en 730, notre communauté aurait mis cinqante ans pour sortir de ses marais et faire son éclosion à la lumière. Mais en 780, tout était complètement fini. Elle était solidement établie, richement dotée et abondamment pourvue de sujets, et cela sous le règne bienfaisant de Charlemagne devenu empereur d'Occident (800).

Le troisième l'est aussi.

3° Bonnesaigne enrichie (1095)

ce S'il en est ainsi, d'où vient donc que Bonnesaigne est sans histoire, sauf pour quelques dates, de 780 jusqu'à 1095, l'espace de plus de trois siècles? » nous objectent les ennemis des traditions abbatiales.

ce Heureuses les abbayes qui n'ont pas d'histoire ! » pouvons-nous leur répondre.

Malheureusement, il n'en est pas ainsi de Bonnesaigne.

Nous ne connaissons que trop le sort qui lui fut réservé, ainsi qu'à nos autres communautés, après la mort du grand empereur d'Occident, durant l'in-


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vasion Normande et l'émancipation des vassaux de l'Empire.

Pendant cette durée de 315 ans, l'histoire de Bonnesaigne se trouve écrite, dans nos bruyères, en caractères de feu et de sang, par les barbares sortis des brumes septentrionales, ou en larmes d'oppression, derrière les murailles sombres de nos puissants seigneurs.

Trente ans après la mort de Charlemagne, en effet, arriva l'invasion Normande (814-845).

Or, cette invasion, qui dura un gros siècle et dont la perspective avait, dit-on, arraché des larmes au grand empereur mourant, désola les contrées du centre^ de la France, et le Limousin en particulier, vers 845.

ce Débarqués aux bords de l'Atlantique, ou remontant sur leurs longs bateaux le cours de nos rivières, les barbares, cette année-là, ravagèrent tout le pays qui s'étend, de la mer à l'Occident, vers l'Auvergne à l'Orient.

ce Leurs mains ce écumaient » de telle sorte qu'on ne voyait plus, dans la campagne, un animal utile, et leurs pieds suivaient si bien le sol qu'aucune région, dit le chroniqueur de Maillezais, ny ville, ny village, ny cité n'échappa à leurs ravages » (Bonaventure-Saint-Amable, t. III, p. 814).

ce Ce qu'ils poursuivaient le plus, c'était le prêtre, et avant ou après le prêtre, l'objet ou l'instrument du culte. Aussi voyait-on de tous côtés processions de pauvres gens, et ce translation de corps et de reliques de saints, pour les contregarder de la tuerie de ces démons incarnés, qui détruisaient les églises et les


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monastères, et consumaient par le feu les châsses et les ossements des saints » (Id., p. 320)

ce L'incursion recommença vers 885, avec des caractères non moins affreux et des suites non moins effroyables » (Poulbrière, Hist. du Dioc, 45-46).

Et l'abbaye de Bonnesaigne que devint-elle, durant cette période de malheurs sans nom qui s'étaient abattus sur les terres du Limousin ? Ne fut-elle pas « écumée » comme les autres maisons religieuses du centre de la France ? Que devinrent ses archives ? Ne furent-elles pas la proie des flammes? Rien ne le prouve, mais tout nous porte à le croire. Voilà pourquoi, non seulement Bonnesaigne, mais toutes nos autres maisons religieuses de ces temps barbares sont sans histoire,'ou n'ont que des lambeaux d'histoire, souvent quelques dates seulement, et c'est le cas de Bonnesaigne. Mais ce n'est pas fini.

Après l'épreuve Normande, arrive l'épreuve féodale, guère moins nuisible que la première à nos communautés.

Jusqu'à Charlemagne, les rois de France avaient été les bienfaiteurs-nés des communautés, sauf les exceptions lamentables qu'amenèrent la cruauté de la guerre et la barbarie d'hommes à peine touchés par les bienfaits de la religion. Mais, sous les successeurs du grand empereur, il en fut autrement. Les derniers Carlovingiens, en effet, étaient trop faibles pour porter droite la couronne et tenir haute l'épée que leur avait léguées leur glorieux ancêtre, pour faire respecter les personnes et les choses de l'Eglise.

Pendant les 173 ans que dura le règne de ces rejetons incapables du monarque d'Occident, règne plein


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de commotions qui amenèrent au pouvoir la troisième dynastie de nos rois (987), la féodalité, à la faveur de l'invasion Normande, prit naissance en France et se substitua à la royauté.

Nos grands -seigneurs, profitant des désordres dé l'Etat et de la faiblesse de ceux qui le dirigeaient, de simples vassaux de la couronne devinrent petits souverains ; et plusieurs d'entre eux, comme les Turenne, s'arrogèrent le droit de battre monnaie et de se dire Seigneurs par la grâce de Dieu.

Ils se dirent aussi, à l'exemple des rois, protecteurs et bienfaiteurs des maisons religieuses qui se trouvaient sur leurs terres. Mais les faveurs, dont ils purent les combler d'abord, dégénérèrent bientôt en oppressions. \

Ecoutons ce que nous dit l'histoire des épreuves qui les attendaient pendant le xe et le xie siècle jusqu'à la date des Croisades (1095) :

ce Les cloîtres, enrichis par la piété des peuples, se virent en butte aux vexations d'une féodalité turbulente et jalouse, qui brûlait de ressaisir avec usure ce que ses doigts avaient laissé tomber. Des hommes comme Adémar, comme Géraud d'Aurillac sont rares en tout temps ; ils étaient alors l'exception et la vio-. lence de la règle.

ce N'ayant donc pour la désarmer d'autre ressource que de se jeter dans ses bras, l'Eglise conçut l'idée d'un protectorat aussi glorieux que lucratif dont elle investit ses puissants oppresseurs, en les honorant du nom d'abbés laïcs, comme jadis Constantin s'était décerné le titre d'évêque du dehors. Mais il en fut des barons du Moyen-âge comme des Césars du Bas-


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Empire : l'institution dégénéra promptement en leurs mains » (Poulbrière, même Hist., p. 69).

Durant cette époque d'émancipation (814-1095), Bonnesaigne eut l'histoire d'un simple ce Domaine » de la Terre de Comborn.

Bonnesaigne ne devait ni ne pouvait échapper à cette influence des abbés laïcs. Ses biens passèrent aux mains des puissants seigneurs de nos montagnes, et ses affaires intérieures dépendirent également du bon caprice de ses primitifs PROTECTEURS, devenus ses OPPRESSEURS, qui avaient intérêt à empêcher leur victime de crier et de donner signe de vie. Lui permettre de crier, l'autoriser à appeler au secours, la laisser seulement cligner de l'oeil, c'eût été dire à cette grande détroussée : ce Réveille dans mon âme inquiète des remords mal éteints!... Clame et ne cesse de clamer mes injustices à ton égard ! »

Criants abus qui durèrent même plus ou moins jusqu'au xvne siècle et amenèrent souvent, dans Bonnesaigne, des scandales que nous aurons à déplorer dans le cours de ce récit.

Il fallait, l'ère bienfaisante des Croisades pour tirer notre abbaye de la loi du secret qui la muselait, depuis 780 jusqu'à 1095 qui nous permet de la contempler, balançant ses tours de sable sur un champ d'azur et de sinople au-dessus de la verte ramure de la forêt de Ventadour, dans le ciel bleu de nos montagnes.

Enfin, elle s'est levée cette ère bienfaisante des Croisades; elle a apparu radieuse au beau firmament de la France, ce la douce Fille aimée de l'Eglise, port assuré où se réfugie toujours la barque de Pierre battue par la tempête » : Filia Dulcis, more suo,


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profugum suscepit Gallia patrem 1 (Ëpitaphe gravée sur la tombe de Gélase II).

Urbain II est venu au coeur de la France exhorter nos grands seigneurs à faire trêve à tant de dissensions qui désolent le beau royaume de France, et à tourner leurs armes, sans cesse mises au clair, contre les Contempteurs de la gloire de Jésus-Christ et les profanateurs de son tombeau. En moins de quinze jours, l'intrépide vicaire du Christ a terminé tout ce qu'il se proposait de faire au Concile de Clermont. Il visite ensuite le monastère de Saucillange, les villes de Brioude, de Saint-Flour, d'Àurillac, et arrive au monastère d'Uzerche en plein coeur de l'hiver, le vendredi 21 décembre 1095, jour de la fête de saint Thomas. Les archevêques de Lyon, de Bourges, de Bordeaux, de Tolède, et les évêques de Poitiers, de Saintes, de Périgueux, de Rodez et de Limoges l'accompagnent, ainsi que l'élite des seigneurs Limousins et plusieurs autres personnages portant, les uns sur l'épaule droite les autres sûr le coeur, des croix d'étoffe rouge, cousues à leurs habits, que le Souverain Pontife distribuait lui-même à ceux qui voulaient s'enrôler dans la sainte milice pour combattre les oppresseurs des chrétiens d'Orient. Sans Favis contraire de l'évêque diocésain, Urbain II aurait consacré l'église d'Uzferche ; mais devant les pieuses instances qui lui furent faites, il partit le lendemain, avec son brillant cortège, pour célébrer à Limoges les fêtes de la Noël (V. Combet, Hist. d'Uzerche, p. 43).

Hé bien ! c'est à partir de cette période d'élans généreux, qui passa sur la France comme un souffle régénérateur, que l'abbaye de Bonnesaigne, comme


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beaucoup d'autres, put sortir des ténèbres épaisses qui l'enveloppaient depuis son berceau, et faire son entrée triomphale dans le domaine de l'histoire.

Assurément, nos seigneurs montagnards, si fortement attachés à leurs ducs d'Aquitaine malgré les malheurs qui les accablèrent, eurent à coeur de s'occuper de l'oeuvre de leur roi Eudes. Ils la relevèrent si elle succomba sous la violence des conquêtes austrasiennes ou les ravages de l'invasion normande ; ils la réintégrèrent dans ses droits, après l'avoir asservie eux-mêmes. Grâce aux terreurs de l'an mil, dès l'aurore de la première Croisade, les maîtres de nos montagnes, reconnaissant les méfaits dont, ils s'étaient rendus coupables en usurpant les biens des églises et des communautés, à la faveur des troubles qui la précédèrent, se montrèrent magnanimes de repentance et de générosité. Désireux de réparer, autant que possible, leurs torts envers Dieu, envers l'Eglise et envers les communautés qu'ils avaient opprimées et dépouillées au lieu de les défendre et de subvenir à leurs besoins, dans les malheurs des temps, ils se mirent résolument à l'oeuvre. Les uns bâtissaient des abbayes, comme Glandier, Meymac, sans parler d'une infinité de prieurés ; les autres relevaient les ruines que les orages politiques avaient amoncelées sur le sol ébranlé des églises et des maisons religieuses ; d'autres enfin, comme les Ventadour, abolissaient l'esclavage sur leurs terres ; rendaient largement aux communautés les biens qu'ils avaient enlevés, et bâtissaient des prieurés dans le bourg de Moustier, au village de Bonneval de Soudeilles, et jusque dans


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les murs de leur inexpugnable forteresse de SaintGeorges de Ventadour, etc.

L'antique abbaye de Bonnesaigne, visitée de bonne heure par l'épreuve, ébranlée jusqu'au fond de ses fondements par les secousses politiques qu'amenait chaque changement de dynastie, dépouillée par les barbares ou asservie par ses défenseurs, méritait autant, sinon plus que ses soeurs, de ne pas être oubliée.

Elle ne le fut pas.

La preuve qu'il en fut ainsi je la trouve, non pas dans les grands historiens, mais bien dans les notes précieuses que nous a laissées le bon abbé Bazetou, sur cette abbaye éteinte et mal connne, qu'il désirait tant faire revivre et placer en pleine lumière.

Ce premier aumônier de l'école de la Chapelle, fondée par testament de l'abbé Laubie, principal du collège de Villefranche (Aveyron), le 14 novembre 1864 ; autorisée quatre ans plus tard par l'empereur, le 23 juillet, sous Mgr Berteaud, d'illustre et savante mémoire, qu'a si bien fait revivre (1897) M. Germain Breton, enfant de Darnets, brillant supérieur du petit séminaire de Brive, dans son ouvrage : Un Evêque d'autrefois, et enfin réalisée le 9 avril 1880, a droit ici à un mot d'éloge d'autant plus mérité qu'on s'est toujours montré avare d'encouragements envers cet homme de bien.

Ce modeste et intrépide bourreau de travail, nommé presque octogénaire à l'aumônerie de la Chapelle (1885-1891) comme poste de repos, a passé les six dernières années de sa vie de la manière la plus méritoire. Il continuait à donner des retraites; il


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transcrivait les sermons des nombreuses missions qu'il avait prêchées dans presque toutes les églises du diocèse. Bien plus, il finissait d'user sa vue à déchiffrer les papiers poudreux de nos montagnes parlant de la malheureuse abbaye qui nous occupe.

Dans une des pages sorties de sa plume tremblante sur Bonnesaigne, pages encore humides de son dernier souffle de vie exhalé sur elles, il nous apprend ce qu'Ebles Ier, vicomte de Ventadour, fit du bien à Bonnesaigne ».

C'est court mais substantiel, comme une ligne biblique !

Ce simple mot suffit pour établir qu'au moment des Croisades Bonnesaigne, quoique sans histoire, vivait. Le vicomte Ebles Ie'', en effet, mourut en 1096, peu après le Concile de Clermont, au moment où nos chevaliers partaient pour la première Croisade.

Voilà donc un troisième point de Y existence légendaire de Bonnesaigne qui nous est acquis.

Commencée en 730, terminée en 780, notre abbaye était toujours debout en 1095, malgré les épreuves par lesquelles elle avait passé, pendant Yinvasion Normande et durant le règne de la féodalité.

Arrivé dans nos montagnes en 1059, Ebles Ier, pressé par un devoir de charité ou de justice, se hâta de soulager son âme et celle de ses ancêtres, en liquidant les charges qui pesaient sur son héritage paternel, depuis trop longtemps.

Il le fit envers Bonnesaigne ; la même année, il le fit aussi pour les moines de Tulle :

ce De plus, assuré de sa résurrection future, mais incertain de sa récompense éternelle pour son âme et


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celle de son père, de sa mère et de tous ses parents, il fit don de la moitié de l'église de Marcillac-laCroisille à l'abbaye de Tulle; y joignit des mas, des borderies et un pré adjacents ; plus la dîme, les proférents de certaines terres et en général tout ce qu'il avait en seigneurie des appartenances de cette église ».

Les termes indiquent une restitution (Poulbrière, Dict., t. II, p. 178).

- Pour Bonnesaigne aussi, le bien qu'il lui fit devait avoir plutôt Y odeur de la restitution que le parfum de la donation !

Mais enfin, restitution ou donation nous prouve avec une égale certitude que Bonnesaigne a vu le jour avant 1150, date que veulent bien lui assigner certains écrivains.

Le quatrième point qui nous reste à établir le prouve également.

4° Bonnesaigne complète sa manse (1147)

. Après ce troisième jet dans le domaine de la lumière, Bonnesaigne retombe, pour 70 ans, dans la région des ombres.

L'oeuvre de restitution ou de donation qu'avait commencée Ebles Ier ne devait pas se finir de sitôt.

La première Croisade l'avait inspirée, en réveillant dans l'âme de nos vicomtes les aiguillons du remords ou les sentiments de la générosité ; la seconde seulement devait la terminer, en inspirant à Eblës II le désistement le plus complet, avant de partir pour les champs de la Palestine d'où il ne devait revenir malade que pour aller mourir au Montcassin, après avoir bien bataillé et bien chanté.

T. XXIV. 2-8


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Dans son Bref de Clermont (1165), que nous résumerons bientôt aux chapitres III et VI de cet ouvrage, sauf à le donner en entier aux pièces justificatives, le Pape a la complaisance de reproduire la liste des domaines en la possession de Bonnesaigne, liste que lui avait adressée la prieure Jovite. De plus, il appelle par leur nom les bienfaiteurs qui l'avaient enrichi sous cette date. Or, Ebles le chanteur, son épouse AgnèsdeMontluçonet ses enfants : Ebles III, Archambaud et Aimon y figurent pour la meilleure part : «c Je mets sous la protection du bienheureux Pierre, etc., les biens que vous tenez du don d'Ebles vicomte, de son épouse et de ses fils », Ex dono Eblonis vicecomitis, uxoris et fliorum. Mais Ebles II n'a pas pu se montrer généreux, après 1147, envers le monastère qui nous occupe en lui donnant ce la forêt de Bonnesaigne » et diverses propriétés. Sa donation peut être antérieure à cette date, mais non postérieure, car c'est en 1147 que le vicomte partit pour la seconde Croisade. Il ne revit plus les terres du Limousin. A son retour, après un séjour prolongé en Palestine, il mourut en 1152 au Mont-Cassin, ce célèbre rendez-vous des illustres pénitents du Moyen-âge, où Ebles III, à son tour, devait aller, dix-huit ans après (1170), mêler ses cendres à celles de son père.

Pour la quatrième fois, nous sommes donc autorisé à défendre Yexistence légendaire de Bonnesaigne et à dire : la manse de Bonnesaigne était complète au départ d'Ebles II et d'Ebles III, son fils, pour la seconde Croisade (1147). Il n'est donc pas exact d'insinuer à ses lecteurs, dans des pages écrites un peu trop à légère, que le monastère de Bonnesaigne


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ne sortit de ses marais que peu d'années (1150) avant l'apparition de l'écrit pontifical (1165).

De 730 à 1165, l'histoire de Bonnesaigne ne nous est, il est vrai, que peu ou point connue. Mais gardons-nous bien de faire imprimer que les lambeaux que nous en avons soient une ce fausse erreur pire que la nuit, sur laquelle il faille souffler ».

En effet, dans cette-nuit sombre, nous Aroyons déjà briller, au firmament de cette partie de l'histoire de Bonnesaigne, quatre étoiles pour l'éclairer un peu :

La première y a été piquée, comme un clou d'argent, par le R. P. Estiennot de la Serre ;

La seconde, par les historiens qui l'ont suivi ;

La troisième, parle fouilleur de grimoires, M. l'abbé Bazetou ;

La quatrième, par la logique des dates.

D'autres après eux, à force de piocher dans les noires archives de nos greniers, pourront peut-être, une fois ou l'autre, en exhumer un soleil!... Car, en effet, selon la belle expression d'un gracieux poète : ce La science habite les greniers ».

' Et alors nous aurons, non plus la lueur d'une nuit toujours pâle malgré la scintillante clarté de son monde d'étoiles, mais bien l'ardente lumière d'un jour sans nuage du mois de juin. Et cette partie ténébreuse des origines de Bonnesaigne sera sans ombre.

Mais finissons-en avec cette période ténébreuse de l'histoire de Bonnesaigne ; sortons du tunnel dans lequel nous marchons à tâtons depuis quatre siècles et demi, à l'aide du terne miroitement de trois ou quatre dates pour nous indiquer la trace de ses pas à


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travers la longue nuit des siècles, depuis Eudes d'Aquitaine jusqu'au pape Alexandre III.

Désormais, travaillons en plein jour, comme les autres chroniqueurs, à la suite du vicaire de JésusChrist, et disons ce que fut en Limousin l'abbaye de Bonnesaigne, à partir de 1165 jusqu'à notre Révolution.

Passons à la période écrite de son existence. L'Histoire succédera avantageusement à la Légende, je le veux bien. Mais la légende ne sera pas détruite par l'histoire ; au contraire : l'histoire lui donnera raison. Nous allons le voir.

§ II. — ORIGINE ÉCRITE DE BONNESAIGNE (1165)

Cette fois, nous sommes arrivé à une date que personne ne conteste : en 1165, Bonnesaigne respirait à pleins poumons.

Voici sa genèse, d'après Bonaventure de S'-Amable :

ce Comme il y a un si grand silence parmi les auteurs de la naissance de ce monastère, et qu'il n'a paru qu'en ce siècle, je l'ai réservé pour en parler comme au lieu qui lui est le plus convenable. Car le pape Alexandre, dans son bref apostolique donné à Clermont le 18 juillet 1165 et le sixième de son pontificat, en fait honorable mention, et confirme à Jovite, prieure et à ses soeurs les biens dont elles jouissaient » (t. III, p. 460).

C'est après nous avoir rappelé, selon le R. P. Estiennot, la fondation de ce monastère, en 730, par ce Eudes, duc d'Aquitaine, père de Hunaud, ayeul de Gaïfre », qu'il nous avoue manquer de documents sur son


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compte durant cette période reculée, et qu'alors il ne commencera son article sur Bonnesaigne qu'à partir du jour où il trouve cet établissement en pleine prospérité, c'est-à-dire à la date du Bref du Pape, 18 juillet 1165.

Mais, des restrictions mêmes du bon religieux, il ressort clairement que le monastère de Bonnesaigne est de beaucoup antérieur à la date du Bref apostolique (1165). Son éclosion à la lumière a eu lieu longtemps avant.

Le simple bon sens suffit pour démontrer la légitimité de cette assertion.

Ce n'est pas, en effet, dans un jour ni dans un an, qu'un monastère acquiert les proportions de celui de Bonnesaigne, recrute des sujets, s'entoure d'importantes propriétés et va en deviner au loin jusqu'à « Peyralevada » (Peyrelevade, canton de Sornac).

Or, lorsque le pape Alexandre écrivait de Clermont, à la prieure, Bonnesaigne avait déjà fait ses preuves ; la maison avait des sujets, et de vastes et nombreuses propriétés, que nous nommerons plus tard, étaient sous' sa dépendance. Et c'est parce que Bonnesaigne était déjà connue avantageusement au loin que le vicaire de Jésus-Christ en « fait honorable mention, confirme à Jovite, prieure, et à ses soeurs, les biens dont elles jouissaient et met sous la protection du Saint-Siège les biens que les religieuses de Bonnesaigne ont acquis, ou peuvent acquérir ».

Sous la date du Bref, le monastère en question était dans toute sa splendeur et en pleine efflorescence ; ses vastes et grasses fondrières étaient desséchées et rendues bonnes et saines ; ses divers bâti-


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ments construits ; son église achevée avec son grandiose clocher, sous forme de tour carrée ; et les grandes demoiselles de la terre des Lémovices ou de YAlvernie circulaient sous les arcades du cloître, ou chantaient les louanges du Seigneur dans les stalles du sanctuaire, derrière un double rang de grilles austères.

Non, tout ce travail de géant, qu'exigeait l'appropriation de ces lieux insalubres pour les rendre habitables, ne se fit pas en un clin d'oeil et par enchantement.

Il a fallu de longues et pénibles journées de sueurs, à des centaines de malheureux esclaves, avant que les délicates et gentilles damoiselles de nos ce très grands, très puissants et très illustres seigneurs T> vinssent exposer leur santé dans cette vallée silencieuse, pour réveiller par leurs jeux et leurs chants les échos de nos montagnes endormies depuis de longs siècles, si non depuis le jour de la création.

C'est d'autant plus vrai encore, qu'à ces époques glorieuses de foi ardente, nos ancêtres, assurés de se survivre dans leur nombreuse descendance, ne bâtissaient pas uniquement pour eux, mais bien pour les générations à venir. Ils allaient lentement et faisaient oeuvre grande et durable. Souvent, en effet, du sommet des tours grises de leurs sombres repaires, nous contemplent deux ou trois siècles de générations éteintes à les construire.

Aujourd'hui, pour des raisons contraires, on est pressé de jouir ; on se hâte de construire et l'on fait oeuvre d'un jour. L'avenir n'est plus à la famille ! et souvent celui qui doit la fonder en est le propre destructeur dans son germe. 11 ne bâtit que pour lui et


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l'ombre de sa Vie : siciit umbra talis viia ! De même pour les vénérables monastères, qui ont leur origine noyée dans la nuit des temps.

Les illustres croyants qui en jetaient les fondements savaient que, si leurs propres enfants n'avaient pas la vocation d'y entrer, ce seraient les rejetons de leurs fils aînés qui, un jour, iraient les habiter.

Voilà pourquoi ils prenaient le temps de faire oeuvre qui pût traverser les siècles et faire reluire, le long des générations les plus reculées, l'éclat de leurs royales libéralités.

Voilà pourquoi aussi, au sujet de la maison qui nous occupe, les traditions qui nous disent : « Commencée en 730, Bonnesaigne fut terminée cinquante ans après », nous ont toujours paru plus près de la vérité que les écrits juvénaux nous insinuant, timidement il est vrai, que, florissant en 1165, Bonnesaigne ne commença à faire son éclosion à la lumière que ce vers 1150 », c'est-à-dire 15 ans avant son éclat.

Mais à quelle date le florissant monastère de 1165 a-t-il été honoré du glorieux titre d'abbaye ?

C'est ce qui nous reste à élucider en terminant le chapitre que nous avons consacré aux origines de Bonnesaigne.

§ III. — ORIGINE ABBATIALE DE BONNESAIGNE (1165-74)

Il est certain qu'en 1165 Bonnesaigne n'était pas abbaye, mais simplement prieuré.

S'il en avait été autrement, JOVITE, en écrivant au pape de vouloir bien mettre sous sa haute protection les biens de son monastère, n'aurait pas manqué de


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signer de son vrai litre l'objet de sa supplique. Et c'est parce qu'elle n'avait laissé tomber de sa plume que cette phrase : Jovite, prieure du monastère de la Bienheureuse Marie de Bonnesaigne, que le pape répète, dans sa réponse favorable, les mêmes expressions : Jovilm priorissoe monasterii Bealoe Marioe de Bonnasagnia.

Tout comme aussi, si les Ventadour en avaient été les fondateurs ce vers 1150 » ou avant, Jovite n'aurait pas omis de le dire au Souverain Pontife ; et le Pape, à son tour, qui reproduit dans son Bref, avec tant de complaisance, les noms des propriétés qui relevaient de Bonnesaigne, à cette date, noms que lui avait nécessairement transmis la prieure, se serait bien gardé de changer le titre de fondateurs en celui de bienfaiteurs, comme il nous présente les vicomtes dans l'écrit émané de sa suprême autorité. C'est parce que Jovite avait simplement dit, et sans réclamation de la part des chatouilleux seigneurs, que Bonnesaigne avait été enrichi par les dons ce d'Ebles, de son épouse et de ses enfants... et d'autres hommes de bien, que le vicaire de Jésus-Christ reproduit, dans son Bref, cette phrase significative et sans réplique possible : Ex dono Eblonis, uxoris el filiorum... et aliorum virorum.

Bonnesaigne n'était donc que prieuré en 1165. Mais alors, sous quelle date propice est-il devenu abbaye ?

M. Champeval nous dit, en parlant de ce prieuré : ce Déjà en bonne voie en 1165, devenu abbaye vers 1180 ».

Au Bulletin de Limoges, on écrit :


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ce La dame de Canillac de Beaufort fist ériger ce prieuré en titre abbatial l'an 1633 et eut de grands démêlés avec les seigneurs de Pompadour ; mais enfin elle en fut la première abbesse, et depuis, les dames qui en ont été pourvues ont pris le titre d'abbesse » (Leduc, Etat du diocèse de Limoges, t. XLVI, p. 350).

Double inexactitude facile à redresser, à l'aide des auteurs anciens, si l'on veut bien ne pas les traiter tout à fait de radoteurs.

Ecoutons le bon Père Bonaventure de. Saint-Amable, parlant d'après le bénédictin Estiennot à qui il avoue ce devoir le principal de ce qu'il dit de Bonnesaigne et des autres monastères du Limousin » ; il nous dit :

ce Elle (Jovite) n'est appelée que prieure dans ce Bref (1165), mais le nécrologe lui donne la qualité d'abbesse, disant ainsi : ce Le huitième des Ides d'avril mourut Jovite, abbesse de Bonnesaigne ».

Or, ce décès se place forcément avant 1174, date sous laquelle nous trouverons plus tard une autre supérieure que Jovite à la lête de Bonnesaigne.

C'est donc après 1165 et avant 1174 que Bonnesaigne changea son nom de prieuré en celui d'abbaye. Et tout comme Arnaud de Saint-Astier, de dernier abbé, devint premier évêque de Tulle, Jovite, de dernière prieure, devint première abbesse de Bonnesaigne. Et cela, toujours sous le pontificat d'Alexandre III ; Gérald II étant évêque de Limoges ; Richard, duc d'Aquitaine ; Ebles IV, époux de Sybille de Faye, vicomte de Ventadour, et Gérald, seigneur de Sodellas (Soudeilles), quelques années avant l'invasion de nos montagnes par les armées d'Henri II,


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roi d'Angleterre, qui alla se faire mettre en si piteuse déroute sous les remparts de Ventadour (1182).

Donnons maintenant, dans un autre chapitre, le nom des bienfaiteurs de Bonnesaigne et la nomenclature des terres dont ils se plurent à former la manse abbatiale, à l'envi l'un de l'autre.

(A suivre).

LES BÉNÉDICTINES

DE

BONNESAIGNE

(Suite)

CHAPITRE V

Importance de l'abbaye de Bonnesaigne : 1° Juridiction civile ; 2° Juridiction spirituelle ; 3° Règle de l'abbaye de Bonnesaigne.

g I. — JURIDICTION CIVILE

Ainsi constituée et dotée, Pabbaye de Bonnesaigne ne tarda pas à avoir un grand renom dans le Limousin et dans les provinces environnantes. Gomme un aimant puissant, elle attira à elle, à l'ombre de ses grandes murailles de clôture.,- au fond de ses marais, un grand nombre de familles honorables, comptant parmi leurs membres : des notaires, des médecins, des avocats, des juges, des huissiers, des guerriers même, etc. Tout un bourg se forma autour d'elle : le bourg de Bonnesaigne, avec quatre foires de vieille date et fort suivies.

Nous trouvons dans ce bourg : les Rigald et les de Belger, notaires (1343) ; les d'Espert, Espinet, Perrier, Mary, Magimel, Sourzat, de Mirambel, les d'Ussel-Châteauvert, les Tète-Blanche, huissier, etc. Et tous ces hommes de science, de loi, de guerre avaient à honneur de mettre leur savoir et leur expérience des affaires au service de la communauté, pour la bonne gestion de ses intérêts temporels.

C'est ainsi que messire Léonard d'Ussel de Cbâteauvert, chevalier de l'ordre de Jérusalem, commandeur de la commanderie de Maissonnisse, en Marche,

T. XXIV. 4 - i


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après avoir longtemps guerroyé pour la patrie, se retire à Bonnesaigne et accepte l'office de procureur de l'abbaye. Le 10 avril 1760, nous le voyons traiter avec maître Pigeyrol, curé de Darnets, docteur en théologie/ au nom de révérende dame LéonardeGabrielle de Châteauvert, sa fille, pour la perception des revenus que l