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les chansons de Bernartz (I) : textes et traduction de Léon BILLET

les textes de Bernartz en limousin et en français

Quelques explications préliminaires

Ces deux premières pages sont consacrées à une découverte simple et rapide des textes de Bernartz de Ventadorn; paroles limousines et traduction en français selon la version classique reprise et corrigée par notre fondateur Léon Billet.

Les quatre pages suivantes rédigées par Alain Pons constituent une approche novatrice et scientifique détaillée et érudite extrêmement pointue.

Bernartz de Ventadorn est certainement l'un des meilleurs troubadours de son siècle, certainement le plus élégant. Il reste éternellement attaché à Ventadorn, même si sa vie fut celle d'un grand voyageur dans son siècle. Bernartz est l'âme et la grace poétique du XIIème siècle de langue limousine. Il appartient à l'escola do Ventadorn.

Les chansons de Bernartz sont appelées cansos dans le sud des pays d'oc, chansos en Limousin, Auvergne et Poitou, car les langues d'Oc diffèrent entre elles et "l'occitan unifié" est une création moderne. On peut parler de chans également. Ces textes sont tirés de copies de différentes origines, mais aucun manuscrit n'est un original. Elles ont été faîtes au moins cent ans après sa mort. On peut donc supposer que Bernartz en composa plus mais qu'ils furent perdus. La difficulté est de les classer par époque et de séparer les textes attribués de ceux attribuables.

Ce travail fait, il convient de vérifier les transcriptions, parfois réadaptées en écriture non conforme au limousin de l'époque pour certaines orthographes. Les ajouts et changements ont été nombreux et parfois insidieux en dénaturant l'expression écrite de nos troubadours ventadoriens par des terminaisons, des sons ou une ponctuation guère rigoureux et inusités en nos terres. Enfin, une analyse textuelle permet de déterminer des indices concernant les destinataires et l'époque de création ainsi que les évènements que vécu Bernartz.

Depuis la seconde moitié du XIXème siècle quelques érudits et auteurs ont étudié ces textes de troubadour et de Bernartz en particulier; souvent des chercheurs allemands. Par exemple Karl Bartsch en 1872, Carl Appel, in Bernart von Ventadorn, seine Lieder, mit Einleitung und Glossar en 1915, les Dr Alfred Pillet et Henry Carstens en 1933 (d'où le classement des textes en PC pour leurs initiales), Moshé Lazar en 1966, notre fondateur Léon Billet en 1974, et plus récemment des ouvrages parfois romancés et des traductions.

Pour cet exercice, nous mettons simplement en ligne les 50 premières chansons répertoriées par Léon BILLET dans son ouvrage "Bernard de Ventadour troubadour du XIIème siècle", selon son classement personnel et la transcription habituelle reprise par la quasi totalité des auteurs. Il y a, en fonction des chercheurs, des différences de notation dans l'ordre de classement : celui du XIXème siècle (par exemple,), tel qu'il a servi à tous les autres auteurs, n'est pas repris par Léon BILLET (BILLET, Léon, Bernard de Ventadour - troubadour du XIIè siècle - Orfeuil - Tulle - 1974).

Là où Carl APPEL note 45 chansons plus 1 possible et 3 tensons, L. BILLET en trouve 71 chansons + 2 et 3 tensons ! Notre cher chanoine se montre un peu extensif dans sa passion ventadorienne. Alain PONS de son côté, préfère classer 43 chans dont  25 Chansos et 16 Vers plus 2 Tensos, et 2 tensos auxquels Bernartz participa, mais avec quelques variantes dans la nature et le classement des titres. Il y a ainsi matière à débattre... 

Nous signalerons pour la facilité les titres des chansons discutées ou carrément attribuées par extension selon l'analyse d'Alain PONS !

Les titres sont également différents : en 1 celui en limousin bien sûr, en 2 ceux de Léon BILLET qui se montre novateur en choisissant un titre sur le thème littéraire, en 3 pour la SHAV, qui gardent le premier vers selon la traduction limousine la plus exacte, celle de Léon Billet la plupart du temps (...courent dans la nature bien des traductions  guère fidèles de gens prétendant être exégètes alors qu'ils ne parlent ni ne comprennent le limousin ancien ou actuel !).

Les traductions des vers des chansons sont de la même façon, très généralement celles de Léon billet, parfois légèrement rectifiées pour la SHAV. Notre Société Historique se devait de publier l'une des toutes meilleures traductions jamais faîtes, celles de notre fondateur et maître. 

En raison du volume de textes, deux pages sont nécessaires pour les deux versions.

Enfin, le numéro de classement : CA pour Carl APPEL - LB pour Léon BILLET  et le code référenciel spécifique PC

Dans les pages spéciales supplémentaires publiées à la suite par notre ami Alain PONS (A.P.), sont ajoutées la transcription rare des partitions connues, la version des textes corrigés des chansos en limousin selon la méthode du XIIème siècle et non celle des transcriptions tardives habituelles, une nouvelle traduction très proche du texte original, un enquête extrêmement instructive sur les indices laissés par Bernartz dans ses chansos sur sa vie et son parcours et enfin son analyse technique et stylistique en particulier sur la structure mélodique. Elles apportent un renouvellement considérable à la connaissance de l'oeuvre de Bernartz. On avait pris pour habitude de répéter les analyses faîtes par les auteurs des siècles derniers, à prendre pour vérité les récits de la vida, mais cette étude marque un renouvellement complet. Etayée et scientifique, elle s'adresse, entre autres, aux spécialistes et amateurs éclairés.

Manuscrit chanson bernartz

illustration : page de copie Bibliothèque du Vatican - © digi.vatlib.it/

 

in honorem Léon BILLET

I : Chantars no pot gaire valer - Le véritable amour ne peut déchoire (LB) - Chanter ne peut guère valoir... - CA 15 - B01 PC70,15

Chantars no pot gaire valer

I

Chantars no pot gaire valer 
Si d'ins dal cor no mou lo chans 
Ni chans no pot dal cor mover
Si no i es fin' amors coraus 
Per so es mos chantars cabaus 
Qu'en joi d'amor ai et enten

La boch' e.ls oills e.l cor e.l sen

II

Ja Deus no.m don aquel poder 
Que d'amor no.m prenda talans 
Si ja re no.n sabi' aver
Mas chascun jorn m'en vengues maus
Totz tems n'aurai bo cor sivaus
E n'ai mout mais de jauzimen
Car n'ai bo cor e m'i aten 

III

Amor blasmen per no-saber 
Fola gens mas leis no.n es dans 

C'amors no.n pot ges dechazer 
Si non es amors comunaus  
Aisso non es amors aitaus 
No.n a mas lo nom e.l parven 
Que re non ama si no pren

IV

S'eu en volgues dire lo ver 
Eu sai be de cui mou l'enjans  
D'aquelas c'amon per aver 
E son merchadandas venaus 
Messongers en fos eu e faus 
Vertat en dic vilanamen 
E peza me car eu no.n men 

 

V

En agradar et en voler 
Es l'amors de dos fis amans 
Nula res no i pot
pro tener 
Si.ll voluntatz non es egaus 
E cel es be fols naturaus 
Que de so que vol la repren 
E.ill lauza so que no. ill es gen

VI

Mout ai be mes mo bon esper 
Cant cela.m mostra bels semblans 
Qu'eu plus dezir e vuoill vezer 

Francha doussa fin' e leiaus 
En cui lo reis seria saus  
Bel' e coind' ab cors covinen 
M'a faich ric ome de nien

VII

Re mais no.n am ni sai temer 
Ni ja res no.m seri' afans 
Sol midons vengues a plazer 
C'aicel jorns me sembla nadaus 
C'ab sos bels oills espiritaus 
M'esgarda mas so fai tan len 

C'us sols dias me dura cen

T1

Lo vers es fis e naturaus 
E bos celui qui be l'enten  
E meiller es qui.l joi aten  

T

Bernartz de Ventadorn l'enten 
E.l di e.l fai e.l joi n'aten 

Chanter ne peut guère valoir

I

Chanter ne peut guère valoir
Si, du fond du cœur ne jaillit le chant ;
Le chant, du cœur ne peut jaillir,
S’il n’y a pas de bel amour cordial,
Mes chants sont supérieurs
Parce que j’ai la joie de l’amour et que j’y emploie
La bouche, les yeux, le cœur et la raison.

II

Que Dieu ne me donne jamais ce pouvoir
De n’avoir plus de goût pour l’amour.
Même si je savais ne plus rien en avoir
Et que chaque jour il m’en vienne du mal,
Toujours j’aurais du moins un bon cœur ;
J’en ai beaucoup plus de joie,
Car j’ai un bon cœur et je m’y incline.

III

Blâmant l’amour par ignorance
Les fols gens ; mais cela ne lui fait par tort
Car l’amour ne peut guère déchoir,
Si ce n’est pas un amour vulgaire.
Alors ce n’est plus l’amour ; ainsi
Il n’en a que le nom et l’apparence,
S’il n’aime que pour recevoir !

IV

Si je veux vous dire la vérité,
Je sais bien de qui vient la tromperie:
De celles qui aiment pour avoir (de l’argent)
Ce sont des marchandes vénales !
Ai-je été menteur, moi, et fourbe !
La vérité je la dis vilainement ;
Je m’en afflige, car je ne mens pas !

 

 

V

Dans l’agrément et le désir
Est l’amour de deux vrais amants.
Rien d’autre ne peut les remplacer
Si les volontés ne s’accordent pas.
Celui-là est vraiment fou
Qui, de ce que veut la dame, la réprimande
Et lui vante ce qui ne lui plaît pas.

VI

J’ai fortement affermi mon bon espoir
Quand elle me fait bonne mine,
Ce que je désire le plus et que je veux voir
Sincère, douce, belle et loyale,
En qui le Roi aurait son salut.
Belle est gracieuse, avec un corps avenant,
Elle m’a fait riche, moi homme de rien.

VII

Il n’y a rien que j’aime ou redoute plus ;
Rien désormais ne me ferait de peine,
Pourvu que ma dame en reçoive du plaisir ;
Ce jour me semble Noël
Quant avec ses beaux yeux spirituels
Elle me regarde ; mais elle le fait si lentement
Qu’un seul jour me dure comme cent!

Tenson

La chanson est belle est sincère
Et bon celui qui bien l’entend ;
Elle est meilleure celle qui de la joie en attend

Tenson

Bernard de Ventadour l’entend,
Il l’a dit, l’a fait et de la joie en attend !

II : Non es meraveilla s'eu chan - Que vaut la vie sans Amour ? - Ce n'est pas surprenant que je chante - A31 B02 PC70,31

Non es meraveilla s'eu chan

I

Non es meraveilla s'eu chan 
Meills de nul autre chantador 
Que plus me tra.l cors vas Amor 
E meills sui faichz a so coman 
Cor e cors e saber e sen 
E fors' e poder i ai mes 
Si.m tira vas amor lo fres 
Que vas autra part no.m aten

II

Ben es mortz qui d'amor no sen 
Al cor cal que dousa sabor 
E que val viure ses amor 
Mas per enoi far a la gen 
Ja Domnedeus no.m azir tan 

Qu'eu ja pois viva jorn ni mes 
Pois que d'enoi serai mespres 
Ni d'amor non aurai talan

III

Per bona fe e ses enjan 
Am la plus bel' e la meillor 
Del cor sospir e dels oills plor 
Car tan l'am eu per que i ai dan 
Eu que.n posc mais s'Amors me pren 
E las charcers en que m'a mes 
No pot claus obrir mas merces 
E de merce no.i trop nien

IV 

Aquest' amors me fer tan gen 
Al cor d'una fina doussor 
Cen vetz mor lo jorn de dolor 
E reviu de joi autras cen 
Ben es mos mals de bel semblan 
Car mais val mos mals qu'autre bes 
E pois mos mals aitan bos m'es 
Bos er lo bes apres l'afan  

 

V

Ai Deus car se fosson trian 
D'entrels faus li fin amador 
E.ill lauzenger e.ill trichador 
Portesson corns el fron denan 
Tot l'aur del mon e tot l'argen 
I volgr'aver dat s'eu l'agues 
Sol que ma domna conogues 
Aissi com eu l'am finamen

VI

Cant eu la vei be m'es parven 
Als oills al vis a la color 
Car aissi tremble de paor 
Com fa la fuoilla contra.l ven 
Non ai de sen per un efan 
Aissi sui d'amor entrepres 
E d'ome qu'es aissi conques 
Pot domn' aver almorna gran

VII

Bona domna re no.us deman 
Mas que.m prendatz per servidor 
Qu'e.us servirai com bo seignor 
Cossi que del gazardo m'an 
Ve.us m'al vostre comandamen 
Francs cors umils gais e cortes 
Ors ni leos non etz vos ges  
Que.m aucizatz s'a vos me ren

Tornada 

A Mo Cortes lai on ill es 
Tramet lo vers e ja no.ill pes 

Car eu no la vei plus soven 

Il n'est pas surprenant que je chante

I

Il n'est pas surprenant que je chante 
mieux que nul autre chanteur 
car le coeur me tire davantage vers l'amour 
et je suis mieux exercé à ses commandements 
j'y ai mis mon corps et mon coeur, mon savoir et mon sens 
ma force et ma puissance 
le frein me tire tellement vers l'amour 
que je ne tourne pas mon attention ailleurs.

II

Il est bien mort celui qui ne sent pas 
au coeur quelque douce saveur d'amour. 
Et que vaut une vie sans amour 
sinon ennuyer les autres ? 
Que Dieu ne me haïsse jamais tant 
que je ne (sur)vive ni un jour ni un mois 
si je suis accusé d'ennui 
et si je n'ai (plus) désir d'amour.

III

De bonne foi, sans tromperie 
j'aime la plus belle et la meilleure. 
Du coeur je soupire et des yeux je pleure 
car je l'aime trop, c'est pourquoi grand mal m'en vient 
Mais qu'y puis-je faire ? L'amour me prend 
et aucune clef ne peut ouvrir les prisons 
dans lesquelles elle m'a mis 
si ce n'est merci et de merci je n'y trouve nulle trace

IV

Cette amour me frappe si gentiment 
au coeur avec une si douce saveur ! 
Cent fois le jour je meurs de douleur 
et je revis de joie cent autres fois. 
Mon mal est bien d'une belle apparence 
car mieux vaut mon mal qu'un autre bien 
et puisque mon mal est si bon 
bon sera le bien après le mal. 


 

 

V

Ah ! Dieu ! si les fins amants 
se distinguaient d'entre les faux 
et si les médisants et les trompeurs 
portaient des cornes sur le front ! 
Je voudrais y avoir consacré, si je le possaidais 
tout l'or du monde et tout l'argent 
pourvu que ma dame pût connaître 
ainsi combien je l'aime finement.

VI

Quand je la vois 
mes yeux, mon visage, ma couleur [du visage] indiquent bien 
car je tremble de peur 
comme fait la feuille contre le vent 
que je n'ai pas plus de sens qu'un enfant 
tellement je suis pris par amour. 
Et d'un homme ainsi conquis 
une dame peut avoir grande pitié.

VII

Noble dame, je ne vous demande rien 
sinon que vous me preniez pour serviteur 
car je vous servirai comme [on sert] un bon seigneur 
quelle que soit ma récompense. 
Me voici a votre commandement 
noble créature pleine de bonté, gaie et courtoise 
vous n'êtes point un ours ni un lion 
pour me tuer si je me rends à vous.

Envoi

A Mo Cortes, là-bas où elle est 
je transmets le vers et que cela ne lui pèse 
si j'ai tardé si longtemps 

III : Lo tems vai e ven e vire - la conquête de l'amour est un jeu de patience - le temps va et vient et vire - A30 B03 PC70,30

Lo tems vai e ven e vire

I

Lo tems vai e ven e vire 
Per jorns per mes e per ans 
Et eu las no.n sai que dire 
C'ades es us mos talans 
Ades es us e no.s muda 
C'una.n vuoill e.n ai volguda 
Don anc non aic jauzimen

II

Pois ela no.n pert lo rire 
E me.n ven e dols e dans 
C'a tal joc m'a faich assire 
Don ai lo peyor dos tans 
C'aitals amors es perduda 
Qu'es d'una part mantenguda 
Tro que fai acordamen

III

Be deuri' esser blasmaire 
De me mezeis a razo 
C'anc no nasquet cel de maire 
Que tan servis en perdo 
E s'ela no m'en chastia 
Ades doblara.ill folia 
Que fols no tem tro que pren

IV

Ja mais no serai chantaire 
Ni de l'escola N'Eblo 
Que mos chantars no.m val gaire 
Ni mas voutas ni mei so 
Ni res qu'eu fassa ni dia 
No conosc que pros me sia 
Ni no.i vei meilluramen 

V

Si tot fatz de joi parvensa 
Mout ai dins lo cor irat 
Qui vid anc mais penedensa 
Faire denan lo pechat 
On plus la prec plus m'es dura 
Mas si'n breu tems no.s meillura, 

Vengut er al partimen

 

VI

Pero ben es qu'ela.m vensa 
A tota sa volontat 
Que s'el' a tort o bistensa 
Ades n'aura pietat 
Que so mostra l'escriptura  
Causa de bon'aventura 
Val us sols jorns mais de cen

VII

Ja no.m partrai a ma vida 
Tan com sia saus ni sas 
Que pois l'arma n'es issida 
Balaya lonc tems lo gras  
E si tot no s'es cochada  
Ja per me no.n er blasmada 
Sol d'eus adenan s'emen

VIII

Ai bon' amors encobida 
Cors be faichz delgatz e plas 
Ai frescha charn colorida 
Cui Deus formet ab sas mas 
Totz tems vos ai dezirada 
Que res autra no m'agrada 
Autr' amor no vuoill nien

Tornada

Dousa res ben enseignada 
Cel que.us a tan gen formada 
Me.n do cel joi qu'eu n'aten

Le temps va, vient et retourne

I

Le temps va, vient et retourne, 
en jours, en mois, en années, 
et moi, hélas ! je ne sais qu'en dire, 
car sans cesse est un mon désir. 
Sans cesse il est un sans changer 
j'en désire une et je l'ai désirée 
sans jamais en avoir la jouissance. 

II

Puisqu'elle n'en perd pas le sourire, 
c'est moi qui en éprouve tristesse et dommage, 
car elle m'a installé à un jeu 
où j'ai une part deux fois pire ; 
-c’est qu'un amour est peine perdue quand 
il n'est éprouvé que d'un côté- 
tant qu'un accord n'intervient pas. 

III

Je devrais vraiment me blâmer 
moi-même en toute logique, 
car aucun homme né de mère 
n'a jamais si longtemps servi en pure perte ; 
et si elle ne m'en corrige pas, 
sans cesse cette folie redoublera, 
car le fou ne craint rien avant d'avoir reçu. 

IV

Jamais plus je ne chanterai 
ni ne ferai partie de la troupe de sire Eble, 
car mon chant ne me profite guère 
non plus que mes airs et ma mélodie ; 
il n'est rien que je fasse ou dise 
dont je voie que cela m'aide 
et je n'y aperçois aucun progrès. 

V

J'ai beau manifester de la joie, 
j'éprouve une grande tristesse au fond du cœur. 
A-t-on jamais vu la pénitence 
précéder le péché ? 
Plus je la prie, plus elle est dure envers moi ! 
mais si d'ici peu elle n'est pas meilleure, 
on en sera arrivé à la séparation. 

 

VI

Mais c'est un bien qu'elle me subjugue 
de toute sa volonté, 
car, si elle me fait attendre à tort, 
très bientôt elle en aura pitié ; 
les Ecritures le montrent bien, 
à cause du bonheur, 
un seul jour compte plus que cent. 

 VII

De ma vie je ne la quitterai, 
tant que je serai sain et sauf, 
car une fois que le grain en est sorti, 
l'épi balance encore longtemps. 
Et même si elle ne s'est guère hâtée, 
jamais elle ne sera critiquée par moi, 
à la seule condition qu'elle s'amende désormais. 

VIII

Ah, cher amour que je convoite, 
corps bien fait, mince et lisse, 
visage aux fraîches couleurs, 
vous que Dieu a créée de ses mains, 
je vous ai toujours désirée, 
car rien d'autre ne me plaît : 
je ne veux pas d'un autre amour.

Envoi

Douce personne bien éduquée, 
que celui qui vous a créée si belle 
veuille bien me donner cette joie que j'en attends.

IV : Amors enquera-us preyara - Amour m'enchaine... je vis comme celui qui meurt dans les flammes - Amours encore je vous supplie - A03 B04 PC70, 3

Amors enquera.us preyara

I

Amors enquera.us preyara 
Que.m fossetz plus amoroza 
C'us paucs bes desadolora 
Gran re de mal  e paregra 
S'era n'aguessetz merce 
Car de me no.us en sove 
Mas e.m pes qu'enaissi.m preigna 
Com fetz al comensamen 
Can me mis al cor la flama 
De leis que.m fetz estar len 
C'anc no m'en detz jauzimen

II

Mout viu a gran aliscara 
Et ab dolor angoissoza 
Seill cui totz tems asseignora 
Mala domna  qu'eu m'estegra 
Jauzens mas aissi m'ave 
Que leis cui dezir no cre 
Qu'eu l'am tan c'a mi coveigna 
L'onors ni.l bes qu'eu n'aten 
Et a.n tort c'als no reclama 
Mos cors mas leis solamen 
E so c'a leis es plazen

III

Totz tems de leis me lauzara 
S'era.m fos plus volontoza 

C'amors qui.l cor enamora 
M'en det mais no.m n'escazegra 
Non plazers mas sabetz que 
Envey' e dezir ancse 
E s'a leis platz que.m reteigna 
Far pot de me so talen 
Meills no fa.l vens de la rama 
Qu'enaissi vau leis seguen 
Com la fuoilla sec lo ven.. 

 

IV

Tant es fresch' e bel' e clara 
Qu'amors n'es vas me doptoza 
Car sa beutatz alugora 
Bel jorn e clarzis noich 

Tuit sei fait on mielz cove 
Son fin e de beutaz ple 
No.n dic laus mas mortz mi veigna 

S'eu no l'am de tot mo sen  
Mas domn' Amors m'enliama 
Que.m fai dir soven e gen 
De vos maint vers avinen

V

Doussa res coind' et avara 
Umils franch' et orgoilloza 
Bel' e genser c'ops no fora 
Domna per merce.us queregra 
Car vos am mais c'autra re 
Que.us prezes merces de me 
Car tem que mortz me destreigna 
Si pietatz no.us en pren 
E s'eu mor car mos cors ama 
Vos vas cui res no.m defen 
Tem qu'i fassatz faillimen

VI

Soven plor tan que la chara 
N'ai destrech' e vergoignoza 
E.l vis s'en dezacolora 
Car vos don jauzir me degra 
Pert que de me no.us sove  

E no.m don Deus de vos be 
S'eu sai ses vos co.m chapteigna 
C'aitan doloirozamen 
Viu com cel que mor en flama  
E si tot no.m fatz parven 
Nuills om meins de joi no sen

Amours encore je vous supplie

I

Amours, encore je vous supplie
D’être pour moi plus affectueuse,
Car un peu de bonté calme la douleur
Des grands maux ; et si telle 
Vous êtiez, vous m’auriez pris en pitié.
De moi ne vous souvenez-vous pas ?
Mais je pense que vous me prendrez
Comme vous le fîtes au commencement,
Quand vous m’avez mis au cœur la flamme
De celle qui me laissa languissant,
Et jamais ne m’en donna de plaisir.

II

Il vit avec une bien grande peine
Et avec une douloureuse angoisse
Celui qui toujours rend hommage
A une mauvaise dame ; Moi, j’aurais  été
Joyeux, mais vous me voyez tel
Que celle que je désire, ne crois pas
Que je l’aime tant que je mérite
L’honneur et le bien que j’en attends ;
Elle a tort, car mon cœur ne lui réclame
Qu’elle seulement et ce qui lui plait.

III

Toujours je ferais sa louange, si elle me montrait un peu plus de bonne volonté.
Car l’amour qui énamoure le cœur 
M’en donna (mais suivez-moi)
Non le plaisir, mais savez-vous quoi ?
L’envie et le désir d’être avec elle !
Et s’il lui plait de me retenir, elle peut disposer de moi à son gré, mieux que ne le fait le vent avec le rameau.
Tout pareil, je vais à sa suite 
Comme la feuille suit le vent.

 

 

IV

Elle est si fraîche, si belle, si sereine, 
Que son amour, pour moi, n’est pas douteux,
Car sa beauté illumine
Le beau jour et éclaircie la nuit sombre.
………..
………..
Je ne veux pas la louer, mais que la mort me frappe
Si je ne l’aime pas de toute mon âme ;
Mais, dame, Amour m’enchaîne, 
Qui me fait dire souvent et gentiment 
Sur vous maintes courtoises poésies.

V

Douce chose, charmante et réservée,
Humble, loyale et fière, 
Belle et plus gracieuse que de mesure,
Dame, par pitié, je vous en supplie, 
Car je vous aime plus que tout,
Je vous en prie, pitié pour moi, 
Je crains que la mort ne m’étreigne, 
Si vous ne me prenez en pitié.
Et si je meurs, car mon cœur vous aime
Vous, contre qui rien ne me défend, 
Je crains que vous ne commettiez une faute.

VI

Souvent je pleure tellement que mon corps
Est contracté et couvert de honte,
Et que mon visage pâlit, 
Car vous, dont je devrais avoir du plaisir, 
Je vous perds et de moi, vous ne vous souvenez pas.
Que Dieu ne me donne aucun bien de vous, 
Si je sais comment vivre sans vous
Alors qu’avec tant de chagrin, je vis comme 
Celui qui meurt dans les flammes ;
Si je ne le laisse pas trop paraître, 
Nul ne sent moins de joie.

V : Quan l'erba fresch' e-ill fuoilla par - Parlons d'amour selon son code secret - Quant paraIssent l'herbe fraîche et la feuille - A39 B05 PC70,39

Quan l'erba fresch' e.ill fuoilla par

I

Quan l'erba fresch' e.ill fuoilla par 
E la flors boton' el verjan  
E.l rossignols autet e clar 
Leva sa votz e mou so chan 
Joi ai de lui e joi ai de la flor 

Joi ai de mi e de midons major 

Daus totas partz sui de joi claus e sens 
Mas sel es jois que totz autres jois vens

II

Ai las com mor de cossirar 
Que maintas vetz en cossir tan  
Lairo m'en poirian portar 
Que re no sabria que.s fan  
Per Deu Amors be.m trobas vensedor 

Ab paucs d'amics e ses autre seignor 

Car una vetz tan midons no destrens 
Abans qu'eu fos del dezirer estens

III 

Meraveill me com posc durar 

Que no.ill demostre mo talan 
Can eu vei midons ni l'esgar 
Li seu bel oill tan be l'estan 
Per pauc me teing car eu vas leis no cor 
Si feira eu si no fos per paor 
C'anc no vi cors meills taillatz ni depens 
Ad ops d'amar sia tan greus ni lens

IV

Tan am midons e la teing char 
E tan la dopt' e la reblan 
C'anc de me no.ill auzei parlar 
Ni re no.ill quer ni re no.ill man 
Pero ill sap mo mal e ma dolor 
E can li plai mi fai ben et onor 

E can li plai eu m'en sofert ab mens 
Per so c'a leis no.n aveigna blastens 

 

V

S'eu saubes la gen enchantar 
Mei enemic foran efan 
Que ja us no saubra triar 
Ni dir re que.ns tornes a dan 
Adoncs sai eu que vira la gensor 
E sos bels oills e sa frescha color 
E baizera.ill tan la boch' en totz sens 
Si que d'un mes i paregra lo sens

VI 

Be la volgra sola trobar 
Que dormis o.n fezes semblan 
Per qu'e.ill embles un doutz baizar 
Pus no vaill tan qu'eu lo.ill deman 

Per Deu domna pauc esplecham d'amor 
Vai s'en lo tems e perdem lo meillor 
Parlar degram ab cubertz entresens 
E pus no.ns val arditz valgues nos gens

VII 

Be deuri'om domna blasmar 
Can trop vai son amic tarzan 
Que lonja paraula d'amar 
Es grans enois e par d'enjan 

C'amar pot om e far semblan aillor 
E gen mentir lai on non a autor 

Bona domna ab sol c'amar mi dens 
Ja per mentir eu no serai atens

Tornada

Messatger vai e no m'en prezes mens

S'eu del anar vas midons sui temens 

Quand l'herbe est fraîche et la feuille paraît 

I

Quand l'herbe est fraîche et la feuille paraît 
et la fleur bourgeonne sur la branche 
et le rossignol haut et clair 
élève sa voix et entame son chant 
j'ai joie de lui et j'ai joie de la fleur 
et joie de moi-même et joie plus grande de ma dame. 
De toutes parts je suis endos et ceint de joie 
mais celui-ci est joie qui vainc toutes les autres. 

II

Hélas comme je meurs d'y penser 
car maintes fois j'y pense tellement 
des voleurs pourraient m'emporter 
que je ne saurais rien de ce qu'ils font 
Par Dieu ! amour tu me trouves bien vulnérable 
avec peu d'amis et sans autre seigneur 
pourquoi une fois ne tourmentes-tu pas autant ma dame 
avant que je ne sois détruit/éteint de désir ? 

III

Je m'étonne comment je peux supporter si longtemps 
de ne pas lui révéler mon désir 
quand je vois ma dame et la regarde. 
Ses beaux yeux lui vont si bien 
à peine puis-je m'abstenir de courir vers elle 
et je le ferais ne serait la peur 
car jamais je vis corps mieux taillé et peint 
au besoin de l'amour si lourd et tard.

IV

J'aime tant ma dame et je la chéris tant 
et je la crains tant et la courtise tant 
que jamais je n'ai osé lui parler de moi 
et je ne lui demande rien et je ne lui mande rien. 
Pourtant elle connaît mon mal et ma douleur 
et quand cela lui plaît, elle me fait du bien et m'honore 
et quand cela lui plaît, je me contente de moins 
afin qu'elle n'en reçoive aucun blâme. 

 

 

V

Si je savais enchanter les gens 
mes ennemis deviendraient des enfants 
de façon à ce que même pas un seul sache choisir 
ni dire rien qui puisse tourner à notre préjudice. 
Alors je sais que je verrai la plus gracieuse 
et ses beaux yeux et sa fraîche couleur 
et je lui baiserais la bouche dans tous les sens 
si bien que durant un mois y paraîtrait la marque.

VI

Je voudrais bien la trouver seule 
qu'elle dorme ou qu'elle fasse semblant 
pour lui voler un doux baiser 
car je n'ai pas le courage de le lui demander. 
Par Dieu dame nous réussissons peu de chose en amour 
le temps s'en va et nous perdons le meilleur 
nous devrions parler à mots couverts 
et puisque la hardiesse nous est d'aucun recours recourons à la ruse.

VI

On devrait bien blâmer une dame 
si elle fait trop attendre son ami 
car long discours d'amour 
est d'un grand ennui et paraît tromperie 
car on peut aimer et Faire semblant ailleurs 
et gentiment mentir là où il n'y a pas de témoins. 
Excellente dame, si seulement tu daignais m'aimer 
je ne serais jamais pris en flagrant délit de mensonge.

Envoi

Messager va et qu'elle ne m'en estime pas moins 
si je crains d'aller chez ma dame. 

VI : Quan la verz fuoilla s'espan - l'Amour vit d'une bouchée de pain - Quand la verte feuille s'épanouit - A38 B06 PC70,38

Quan la verz fuoilla s'espan

I

Quan la verz fuoilla s'espan 
E par flors blanch' el ramel 
Per lo douz chan del auzel 
Se vai mos cors alegran 
Lancan ve.ls arbres florir 
Et au.l rossignol chantar  
Adonc deu.s ben alegrar 
Qui bon' amor sap chauzir 
Mas eu n'ai una chauzida 
Per qu'eu sui cortes e gais

II

E se tuich el mon garan 
Desoz la chapa del cel 
Eron en un sol tropel 
For d'una non ai talan 
Mai d'aquesta no.m cossir 
Que.l jorn me fai sospirar 
E la noich no posc pauzar 
Ni.m pren talans de dormir 
Tan es grail' et eschafida
Ab cor franc e dichz verais 

 

III

S'eu fos a lei destinan 
E for'eu dinz d'un chastel 
Que.l jorn manges un morsel 
Lai viuria sens afan 
Se.m don'aisso qu'eu dezir 
De be far se deu penar 
Car se.m ten en lonc pensar 
No posc viure ni morir 
Ar esloing en breu ma vida 
Si com ja de mort me trais 

Quand la verte feuille s’épanouit
 
 
Quand la verte feuille s’épanouit
Et que paraît la fleur blanche au rameau.
Par le doux chant de l’oiseau
Mon cœur devient joyeux.
Quand je vois les arbres fleurirent
Et j’entends le rossignol chanter,
Alors il doit être bien heureux
Celui qui sait choisir un bon amour. 
Mais moi j’en ai choisi une 
Par laquelle je suis gracieux et gai.
 
II
 
Si tous les habitants du monde
Sous la chape du ciel
Etaient rassemblés en un seul troupeau,
Il n’en est qu’une que je désire.
Ce ne qu’à celle-là que je pense ;
Le jour elle me fait soupirer
Et la nuit je ne puis me reposer
Et je n’ai pas envie de dormir : 
Tant elle est gracile et svelte,
Avec un cœur loyal et un langage sincère.
III
 
Si je lui étais destiné, 
Et que je fusse dans un château,
Pourvu que le jour je mange un morceau,
Là je vivrais sans peine, 
Si elle me donnait ce que je désire !
De bien faire, elle dit se donner la peine,
Car si elle me tient dans une longue attente,
Je ne puis ni vivre, ni mourir.
Maintenant qu’elle allonge un peu ma vie,
Comme auparavant elle m’a tiré de la mort 

VII : Bel m'es can eu vei la bruoilla - l'amour supporte tout - il m'est agréable de voir le feuillage - A09 B07 PC70, 9

Bel m'es can eu vei la bruoilla

I

Bel m'es can eu vei la bruoilla 
Reverdir per mei lo bruoill 
E.ill ram son cubert de fuoilla 
E.l rossignols sotz lo fuoill 
Chanta d'amor don me duoill 
E platz me qued eu m'en duoilla 
Ab sol qued amar me volha 
Cela qu'eu dezir e vuoill

II

Eu la vuoill can plus s'orguoilla 
Vas me mas oncas orguoill 
N'ac vas lei per so m'acuoilla 
Ma domna pois tan l'acuoilla 
C'a totas autras me tuoill 
Per lei cui Deus no me tuoilla 
Ans li do cor qu'en grat cuoilla 

So que totz jorns s'amor cuoill

III

S'amor cuoill qui m'enpreizona 
Per lei que mala preizo 
Me fai c'ades m'ochaizona 
D'aisso don ai ochaizo 
Tort n'a mas eu lo.ill perdo 
E mos cors li reperdona 
Car tan la sai bel' e bona 
Que tuich li mal m'en son bo 

 

IV

Bo son tuich li mal que.m dona
Mas per Deu li quer un do 
Que ma bocha que jeona 
D'un douz baizar dejeo 
Mas trop quer gran guizardo 
Celei que tan guizardona 
E can eu l'en arazona 
Ill me chamja ma razo

V

Ma razo chamja e vira 
Mas eu ges de lei no.m vir 
Mo fi cor que la dezira 
Aitan que tuich mei dezir 
Son de lei per cui sospir 
E car ela no sospira 
Sai qu'en lei ma mortz se mira 
Can sa gran beutat remir

Tornada

Ma mort remir que jauzir 
No.n posc ni no.n sui jauzire 
Mas eu sui tan bos sofrire 
C'atendre cuit per sofrir

Il m’est agréable de voir le feuillage
 
I
 
Il m’est agréable de voir le feuillage
Reverdir dans le bosquet,
Les rameaux sont couverts de feuilles
Et le rossignol sous le feuillage
Chante d’amour, dont je souffre ;
Il me plait d’en souffrir,
Pourvu qu’elle veuille me chérir
Celle que je désire et veux.
 
II
 
Je la veux quand elle est plus orgueilleuse
Envers mois (mais je n’ai jamais d’orgueil
Contre elle), c’est pourquoi m’accueille
Ma dame ; je l’accueille si bien
Que je me détache de toutes les autres
Pour elle ; que Dieu ne me la prenne pas ;
Mais je lui donne mon cœur qu’elle accueille complaisamment
Parce que toujours elle m’accueille avec amour.
 
III
 
Amour m’accueille, qui m’emprisonne
Par elle qui me fait une mauvaise prison ;
Encore elle me reproche
Ce que je puis lui reprocher.
Elle a tort ; mais je le lui pardonne ;
Et mon cœur lui repardonne,
Car je la sais si belle et bonne
Que tous les maux m’en sont bons.
 
IV
 
Ils sont bons tous les maux qu’elle me donne ;
Mais par Dieu je lui demande un don :
Que ma bouche, qui jeune, 
D’un doux baiser déjeune.
Mais requiert une trop grande récompense
Celui qui veut tant de récompense ;
Et quand je lui en demande raison,
Elle me change mon affaire.
 
V
 
Ma cause change et se retourne ;
Mais moi, d’elle je ne détourne pas
Mon bon cœur, qui la désire
Tellement que tous mes désirs
Viennent de celle pour qui je soupire ;
Elle ne soupire pas, elle, 
Je sais qu’en elle ma mort se reflète
Quand sa grande beauté j’admire.
 
VI
 
Je regarde ma mort, je ne puis jouir d’elle
Ni m’en réjouir ;
Mais je sais si bien souffrir
Que je crois atteindre mon but par la souffrance.

 

VIII : Per fin'amor m'esjauzira - Il n'y a pas de plus belle Dame au monde - Par bel amour je me réjouirai - B08 PC112, 3

Canso notée par L. BILLET ne figurant pas chez C. APPEL  - en cours d'analyse

Parfois attribuée à Cercamon (pas par l'Institut d'Estudis Catalans) mais possiblement à Ebles II (Jean Mouzat - A Pons) - voir page sur les troubadours à Ventadour

IX : leu chansonet'ad entendre - le feux se réduit en cendre - Une facile chansonnette à entendre - PC62, 1

Canso notée par L. BILLET ne figurant pas chez C. APPEL  - en cours d'analyse

habituellement attribuée à Bernartz de la Fon

X : Lonc tems a qu'eu no chantei mai - l'Amour vaut mieux que le printemps fleuri - Voilà longtemps que je ne chantais plus - A27 B10 PC70,27

Lonc tems a qu'eu no chantei mai

I

Lonc tems a qu'eu no chantei mai 
Ni saubi far chaptenemen
Ara no tem ploya ni ven
Tan sui entratz en cossire 
Com pogues bos motz assire

En est so c'ai apedit 
Si tot no.m vei flor ni fuoilla, 
Meills me vai c'al tems florit 
Car l'amors qu'eu plus vuoill me vol

II

Totz me desconosc tan be.m vai 
E s'om saubes en cui m'enten 
Ni auzes far mo joi parven 
Del meills del mon sui jauzire 
E s'eu anc fui bos sofrire 
Ara m'en teing per garit 
Qu'e re no sen mal que.m duoilla 
Si m'a jois pres e sazit 
No sai si.m sui aquel que sol

III

El mon tan bon amic non ai 
Fraire ni cozi ni paren  
Que si.m vai mo joi enqueren 
Qu'ins e mo cor no.l n'azire 
E s'eu m'en vuoill escondire 
No s'en teingna per trahit 
No vuoill lauzengers me tuoilla 
S'amor ni.m leve tal crit 
Per qu'eu me lais morir de dol

IV

C'ab sol lo bel semblan que.m fai 
Can pot ni aizes lo.ill cossen 
Ai tan de joi que sol no.m sen 
C'aissi.m torn e.m volv' e.m vire 
E sai be can la remire 
C'anc om belazor no.n vit 
E no.m pot re far que.m duoilla 
Amors can n'ai lo chauzit 
D'aitan com mars clau ni revol 

 

V

Lo cors a fresc sotil e gai 
Et anc no.n vi tan avinen 
Pretz e beutat valor e sen 
A plus qu'eu no vos sai dire 
Res de be no.n es a dire
Ab sol c'aya tan d'ardit 
C'una noich lai o.s despuoilla 
Me mezes en loc aizit 
E.m fezes dels bratz latz al col

VI

Si no.m aizis lai on ill jai 
Si qu'eu remir son bel cors gen 

Doncs per que m'a faich de nien 
Ai las com mor de dezire 
Vol me doncs midons aucire 
Car l'am o que ll'ai faillit 
Ara.n fassa so que.s vuoilla 
Ma domna al seu chauzit 
Qu'eu no m'en plaing si tot me dol

VII

Tan l'am que re dire no.ill sai 
Mas ill s'en prend' esgardamen 
Qu'eu non ai d'alre pessamen 
Mas com li fos bos servire 
E s'eu sai chantar ni rire 
Tot m'es per leis escharit 
Ma domna prec que m'acuoilla 
E pois tan m'a enriquit
No sia qui dona qui tol

Tornada

De cor m'a coras se vuoilla 

Ve.us me del chantar garnit 
Pois sa fin'amors m'o assol

Voilà longtemps que je ne chantais plus
 
I
 
Voilà longtemps que je ne chantais plus
Ne sachant quelle conduite adopter.
Maintenant je ne crains ni la pluie, ni le vent,
Tant je suis plongé dans la réflexion
Cherchant quel bon mot je pourrais insérer
Dans cette mélodie que j’ai apprise
Quoi que je ne vois ni fleurs, ni feuilles,
Je suis mieux qu’à la saison fleurie,
Car l’amour que je veux le plus, 
me veut.
 
II
 
Je ne me reconnais plus, tant je vais bien ;
Et si l’on savait qui je recherche,
Et si j’osais laisser paraître ma joie !
De la meilleure du monde je reçois du bonheur !
Si jadis j’ai beaucoup souffert, 
Maintenant je m’en tiens pour guéri,
Je ne sens plus rien qui me fasse souffrir.
La joie m’a pris et saisi,
Au point que je ne sais si je suis celui que je fus !
 
III
 
Dans le monde je n’ai si bon ami,
Frère, voisin, parent, 
Que, s’il vient de ma joie s’enquérir,
En mon cœur je ne le haïsse,
Et si je veux m’en cacher,
Qu’il ne se tienne pas pour trahi.
Je ne veux pas qu’un flatteur m’enlève
Son amour et ne m’arrache tel cri
Que je pousserais en me laissant mourir de douleur.
 
IV
 
Avec la bonne mine qu’elle me fait
Quand elle peut et en a l’occasion,
J’ai tant de joie que je ne me sens plus,
Que je me tourne et volte et vire.
Je sais bien quand je le contemple,
Que nul jamais n’en vit de plus belle ;
Et il ne peut rien faire pour m’affliger
Amour, alors que j’ai fait un choix
Qui égale tout ce que la mer renferme et retourne.
 
V
 
Son corps est frais, svelte et gai, 
Jamais on n’en vit de si gracieux.
De prix, de beauté, de valeur, d’intelligence,
Elle en a plus que je ne sais vous dire, 
Rien de bien n’en est à dire, 
Sauf qu’elle a eu tant de hardiesse
Qu’une nuit, là où elle se dévêt, 
Elle m’a amené, en lieu propice, et de ses bras m’a fait un collier autour du cou.
 
VI
 
Si elle ne me mène là où elle se repose,
Pour que je puisse contempler son joli corps gracieux
Pourquoi donc m’a-t-elle fait de rien
Hélas ! je me meurs de désir.
Veut-elle me tuer, ma dame, 
Parce que je l’aime ? En quoi lui ai-je manqué ?
Maintenant qu’elle me fasse ce qu’elle veut
Ma dame, à son gré,
Je ne m’en plains pas, même si j’en souffre.
 
VII
 
Je l’aime tant que je ne sais rien lui dire
Mais qu’elle fasse bien attention,
Que je n’ai pas d’autres intentions
Que d’être son bon serviteur.
Si je sais chanter et rire,
Tout par elle m’advient.
Je prie ma dame de m’accueillir, 
Puisqu’elle m’a tant enrichi,
Qu’elle ne soit pas celle qui donne et qui reprend.
 
Envoi
 
De tout cœur, je suis à elle, quand elle voudra.
Vous me voyez prêt à chanter Puisque son bel amour me réconforte.

XI : Ara no vei luzir soleil - la clarté de l'Amour ensoleille le coeur - Maintenant je ne vois pas briller le soleil - A07 B11 PC70, 7

Ara no vei luzir soleil

I

Ara no vei luzir soleil 
Tan me son escurzit li rai 
E ges per aisso no.m esmai 
C'una clardatz me soleilla 
D'amor qu'ins el cor me raya 
E can autra gens s'esmaya 
Eu meillur enans que sordei 
Per que mos chans no sordeya

II

Prat me semblon vert e vermeil 
Aissi com el doutz tems de mai 
Si.m te fin' amors coind' e gai 
Neus m'es flors blanch' e vermeilla

Et iverns calenda maya
Que.l genser e la plus gaya 
M'a promes que s'amor m'autrei 
S'anquer no la.m desautreya

III

Paor mi fan malvatz cosseil 
Per que.l segles mor e dechai 
C'aras s'ajoston li savai 
E l'us ab l'autre cosseilla 
Cossi fin' amors dechaya 
A malvaza gens savaya 
Qui vos ni vostre cosseill crei 

Domnideu perd'e descreya

IV

D'aquestz mi rancur e.m coreil

Qu'ira me fan dol et esglai 
E pesa lor del joi qu'eu ai 
E pois chascus s'en coreilla 
De l'autrui joi ni s'esglaya 
Ja eu meillor dreich no.n aya 
C'ab sol deport venz' e guerrei 
Cel que plus fort me guerreya 

 

V

Noich e jorn pes cossir e veil 
Plaing e sospir e pois m'apai 
On meills m'estai et eu peichz trai 
Mas us bos respeichz m'esveilla 
Don mos cossirers s'apaya 
Fols per que dic que mal traya 
Car aitan rich' amor envei 
Pro n'ai de sola l'enveya 

VI 

Ja ma domna no.s meraveil 
Si.ll quer que.m do s'amor ni.m bai 

Contra la foudat qu'eu retrai 
Fara genta meraveilla 
S'ill ja m'acola ni.m baya 
Deus s'er ja c'om me retraya 
A cal vos vi e cal vos vei
Per benanansa que.m veya

VII

Fin' Amor ab vos m'apareil 
Pero no.s cove ni s'eschai 

Mas car per vostra merce.us plai 
Deus cuit que m'o apareilla 
C'aitan fin' amors m'eschaya 
Ai domna per merce.us playa 
C'ayatz de vostr' amic mercei 
Pus aitan gen vos merceya 

T1

Bernartz clama sidons mercei 
Vas cui tan gen se merceya  

T2

E si eu en breu no la vei 
Non crei que lonjas la veya

Maintenant je ne vois pas briller le soleil

I

Maintenant je ne vois pas briller le soleil 
tant me sont obscurcis les rayons 
et je ne suis guère triste pour cela 
car une clarté m'ensoleille 
d'amour qui dans mon cœur rayonne. 
Et quand les autres se lamentent 
je m'améliore au lieu dépérir 
c'est pour cela que mon chant ne décline pas.

II

Les prés me semblent verts et vermeils 
comme au doux temps de Mai 
la fine amour me tient si frais et joyeux 
que la neige m'est fleur blanche et vermeille 
et l'hiver calendes de Mai 
puisque la plus noble et la plus joyeuse 
a promis de m'accorder son amour 
si encore elle ne se désengage pas.

III

Les mauvais conseils me font peur 
car par eux le monde déchoit et meurt 
car maintenant se rassemblent les méchants 
et l'un conseille l'autre 
comment faire déchoir fine amour. 
Ah ! mauvais individus et perfides 
que celui qui vous croît vous et vos conseils 
Dieu le perde et le désavoue.

IV

De ceux-là je me plains et me lamente 
qui me causent colère, souffrance et détresse 
et à qui pèse la joie que j'ai. 
Et puisque chacun d'eux se plaint 
et s'attriste de la joie de son prochain 
je ne souhaite avoir d'autre droit 
que de combattre et vaincre à l'aide de mon bonheur 
celui qui me mène plus forte guerre. 

 

V

Nuit et jour je pense, médite et veille 
je me lamente et soupire et puis je m'apaise. 
Mieux me vont les choses et pire je me sens 
mais une bonne espérance me tient en éveil 
dont mes angoisses s' apaisent. 
Fou ! pourquoi ai-je dit que je souffre ? 
Puisque je désire un amour si riche 
ce seul désir est en lui-même un grand bien.

VI

Que ma dame ne s'émerveille pas 
si je lui demande de me donner son amour et de me baiser ! 
Pour guérir la folie que je décris 
elle ferait un beau miracle 
si jamais elle m'étreignait et me baisait. 
Dieu ! arrivera-t-il qu'on dise de moi : 
"Ah ! qui vous vit et qui vous voit" 
à cause du bonheur dont je témoigne ?

VII

Fine amour, je suis semblable à vous 
non parce qu'il convient et que cela m'échoit 
mais parce cela me plait pour votre grâce 
et Dieu, je pense, l'a voulu 
qu'un amour si pur me soit échu. 
Ah ! dame, de grâce, qu'il vous plaise 
d'avoir pitié de votre ami 
puisqu'aussi noblement il vous crie merci.

Tenson 1

Bernard crie merci à sa dame 
cette merci qu'il implore d'elle si noblement.

Tenson 2

Et si je ne la vois bientôt 
je ne crois pas la voir de si tôt. 

XII : Lancan fuoillon bosc e jarric - l'Amour rend l'amant meilleur - lorsque feuillent les bois et les taillis - A24 B12 PC70,24

Lancan fuoillon bosc e jarric

I

Lancan fuoillon bosc e jarric 
E.ill flors pareis e.ill verdura 
Pels vergers deves e pratz 
E.ill auzel c'an estat enic 
Son gai desotz los fuoillatz 
Autresi.m chant e m'esbaudei 
E reflorisc e reverdei 
E fuoill segon ma natura

II

Ges d'un' amor no.m tuoill ni.m gic 
Don sui en bon' aventura 
Segon mon esper entratz 
Car sui tengutz per fin amic 
Lai on es ma volontatz  
Que re mais sotz cel no.n envei 
Ni ves autra part no soplei 
Ni d'autra no sui en cura

III

Ben a mauvais cor e mendic 
Cel qui am'e no.s meillura 
Qu'eu sui d'aitan meilluratz 
C'ome de me no vei plus ric 
Car sai c'am e sui amatz 
Per la gensor qued anc Deus fei 

Ni que sia el mon so crei 
Tan can te terra ni dura 

 

IV

Anc no fetz semblan vair ni pic 

La bela ni forfachura
Ni fui per leis galiatz 
Ni no.m crei c'om tan la chastic 
Tan es fina s'amistatz 
Qu'ela ja.s biais ni.s vairei 
Ni per autre guerpisca mei 
Segon que mos cors s'augura

V

Midons prec no.m lais per chastic 
Ni per gelos folatura 
Que no.m sent' entre sos bratz 
Car eu sui seus plus qu'eu no dic 
E serai tostems si.ll platz 
Que per leis m'es bel tot can vei 
E port el cor on que m'estei 
Sa beutat e sa fachura

Lorsque feuillent les bois et les taillis 

I

Lorsque feuillent les bois et les taillis 
et dans les vergers et les prairies 
paraissent la verdure et les fleurs 
et les oiseaux qui étaient tristes sont gais 
sous les feuillages 
alors moi aussi je chante et exulte 
je refleuris, reverdis 
et me couvre de feuilles selon ma nature. 

II

Je ne me prive ni ne me retire d'un amour 
qui me porte bonheur 
à la mesure de mon espoir 
car je suis tenu pour amant fidèle 
là où se trouve mon désir 
parce que je ne désire rien de plus sous le ciel 
et n'adresse mes prières ailleurs 
ni ne me soucie d'aucune autre dame.

III

Celui qui aime et ne s'améliore point 
a certainement un cœur méchant et misérable. 
Je me suis amélioré 
au point que je ne vois homme plus riche que moi 
car je sais que j'aime et sui aimé 
par la plus noble que Dieu ait jamais créée 
je pense, ou qui soit un jour au monde 
aussi longtemps que la terre existe et dure. 

 

IV

La belle ne me montra jamais visage douteux et incertain 
ni ne me fit aucun forfait 
et je ne fus jamais trompé par elle. 
Et je ne crois guère 
tant est noble son amour 
qu'on puisse l'influencer au point 
qu'elle se détourne et me délaisse pour un autre. 
Mon cœur ne s'augure rien d'autre.

V

J'implore ma dame qu'elle n'évite 
par crainte des reproches et de la jalousie folle 
de me sentir entre ses bras 
car je suis sien plus que je ne le dis 
et serai sien à jamais, s'il lui plaît 
car, par elle, tout ce que je vois devient beau 
et je porte au cœur, partout où je vais 
sa beauté et son image. 


 

XIII : Quant la fuoilla sobre l'albre s'espan - l'Amour a le don d'embellir - Quand la feuille sur l'arbre s'épanouit - B 13 - PC167,49

Canso notée par L. BILLET ne figurant pas chez C. APPEL  - en cours d'analyse

Habituellement attribuée à Gaucelm Faidit mais certainement anonyme

 

XIV : Be-m cuidei de chantar sofrir - Qui aime bien n'a guère de bon sens - je pensais bien m'abstenir de chanter - A13 B14 PC70,13

Be.m cuidei de chantar sofrir

I

Be.m cuidei de chantar sofrir 
Entro lai el doutz tems suau  
Eras pus negus no s'esjau 
E pretz e donar vei morir 
No posc mudar no preigna cura 

D'un vers novel a la frejura 

Que conortz er als autres entre lor 
E cove.m be pois tan be.m vai d'amor 

C'aya meillor solatz a tota gen

II

Domna vas cal que part que.m vir 
Ab vos remaing et ab vos vau
E sapchatz que de vos me lau 
Assatz mais que no sai grazir 
Be conosc que mos pretz meillura 
Per la vostra bon' aventura 
E car vos plac que.m fezetz tan d'onor 
Lo jorn que.m detz en baizan vostr'amor 
Del plus si.us platz prendetz esgardamen  

III

Amors aissi.m faitz trassaillir 
Del joi qu'eu ai no vei ni au 
Ni no sai que.m dic ni que.m fau 
Cen vetz trobi can m'o cossir 
Qu'eu degr' aver sen e mezura 
Si m'ai adoncs mas pauc me dura  
C'al reduire.m torna.l jois en error 
Pero be sai c'uzatges es d'amor 
C'om c'ama be non a gaire de sen  

 

IV

Greu en sabrai mo meills chauzir
Si sas belas faissos mentau 
Que res mas lauzars no.m abau 
E sas grans beutatz essernir 
Res mais no m'en dezasegura 
Pois tant es douss' e fin' e pura 
Gran paor ai qu'azesme sa valor 
E lauzenger volon mo dan d'amor 
E diran l'en be leu adiramen

V

Doncs lor deuri'eu be servir 
Pois vei que re guerra no.m vau 

Que s'ab lauzengers estau mau 
Greu.m poiria d'amor jauzir
Per leis es razos e mezura 
Qu'eu serva tota creatura 
Neis l'enemic dei apelar seignor 
C'ab gen parlar conquer om meills d'amor 
Tot lo pejor ad ops de be volen

VI

Amors cil que.us volon delir 
Son enoyos e desliau 
E si.us deschanton  me qu'en cau 
No.s podon meills envilanir 
Be conosc a lor parladura 
Qu'ill reignon mal contra natura 
Cist an perdut vergoigna e paor
Partit de Deu tot per sordeg d'amor 

Et eu sui fols si mais ab lor conten

Tornada

Ventadorn er greu mais ses chantador 
Que.l plus cortes e que mais sap d'amor 
M'en esseignet aitan com eu n'apren

 
 

XV : Quan lo boschatges es floritz - Enfant de l'Amour, je ne puis vivre sans aimer - Quand le bosquet est fleuri - A40 B15 PC70,40

Quan lo boschatges es floritz 

I

Quan lo boschatges es floritz 
E vei lo tems renovelar 
E chascus auzels quer sa par 
E.l rossignols fai chans e critz 
D'un gran joi me creis tals oblitz 
Que ves re mais no.m posc virar 
Noich e jorn me fai sospirar 
Si.m lassa del cor la razitz

II

Per midons m'esjau no-jauzitz 
Don m'es l'afans greus a portar 
Qu'e.m perdrai per leis gazagnar 
Et er li crims mout deschauzitz 
Las que farai com sui trahitz 
Si s'amor no.m vol autreyar 
Qu'eu no posc viure ses amar 
Que d'amor sui engenoïtz

III

Ar sui de leis trop eissernitz 
Lengua per que potz tan parlar 
Que de meins me sol acuzar 
Si que.m sui per las dens feritz 
Que.m n'es si fer s'eu sui delitz 
Ja no trobara li m'ampar 
Mas ab doutz sentir d'un baizar 
For'eu tost d'est mal resperitz

IV 

En greu pantais sui feblezitz 
Per leis cui Beutatz volc formar 
Que com Natura poc triar
Del meills es sos cors establitz 
Los flancs grailes et escafitz 
Sa fatz frescha com roza par 
Don me pot leu mort revivar 
Dirai com no sui tan arditz

V

De tal dousor sui replenitz 
Can de prop la posc remirar 
C'a totz jorns vei lo meu sobrar 
Ta fort sui de s'amor techitz 
E.l freis es tals qu'e.n sui marritz 
Can la vei de me desloignar
Que.l focs que m'en sol eschaufar 
Fug e remaing escoloritz  

 

VI

Lo bes e.l mals sia.ll grazitz 
Pos de me deigna sol preyar 
Ara folei de trop gabar 
Et es dreichs qu'en fos desmentitz 
Domna no.us pes si.ll lengua ditz 
So c'anc mos cors no poc pessar 
Tatz bocha nems potz lengueyar 
Et es t'en grans mals aramitz

VII

Autz es lo pretz qu'es cossentitz 
Car sol me deignet saludar
Moutas merces Deus la.n ampar 
Del plazer me sui engrevitz 
Totz l'autre bes m'es si frezitz 
Que no.m valgra.n merce clamar 
Clama.l cors que no pot cessar
Et apres m'es parlars faillitz

VIII

Domna s'eu fos de vos auzitz 
Si charamen com vuoill mostrar 
Al prim de nostr' enamorar 
Feiram chambis dels esperitz 
Azautz sens m'i fora cobitz 
C'adonc saubr' eu lo vostr'afar 
E vos lo meu tot par a par 
E foram de dos cors unitz

IX

Ai can brus sui mal escharnitz 
Qu'eu no posc la pensa durar 
De tal dolor me fai pasmar 
Car tan s'amistat m'esconditz 
Ab bel semblan sui eu trahitz 
Que.m val res no.m pot chastiar 
Mortz veign' a sel qui.m vol blasmar 
Qu'eu no l'am mortz e sebelitz 

Tornada

Car forsatz m'en part e marritz 
Leu m'auci mas greu fui noiritz 
Tal ira.m sen al cor trenchar 
Car me mor e vuoill trespassar 
Mas ses leis no serai gueritz 

 
 

XVI : Quan vei la lauzeta mover - Ma Dame atout mon coeur et tout moi-même - Quand je vois l'alouette se balancer - A43 B16 PC70,43

Quan vei la lauzeta mover

I

Quan vei la lauzeta mover 
De joi sas alas contral rai 
Que s'oblid' e.s laissa chazer 
Per la doussor c'al cor li vai 
Ai tan grans enveya m'en ve 
De cui qu'eu veya jauzion 
Meravillas ai car desse 
Lo cor de dezirer no.m fon

II

Ai las tan cuidava saber 
D'amor e tan petit en sai 
Car eu d'amar no.m posc tener 
Celeis don ja pro non aurai 
Tout m'a mo cor e tout m'a me 
E se mezeis e tot lo mon
E can se.m tolc no.m laisset re 
Mas dezirer e cor volon

III

Anc non agui de me poder 
Ni no fui meus de l'or' en sai 
Que.m laisset en sos oills vezer 
En un miraill que mout me plai 
Miraills pus me mirei en te 
M'an mort li sospir de preon 
C'aissi.m perdei com perdet se 
Lo bels Narcisus en la fon

IV

De las domnas me dezesper 
Ja mais en lor no.m fiarai 
C'aissi com las suoill chaptener 
Enaissi las deschaptenrai
Pois vei c'una pro no m'en te 
Vas leis que.m destrui e.m cofon 
Totas las dopt' e las mescre 
Car be sai c'atretals se son 


V

D'aisso's fa be femna parer 
Ma domna per qu'e.ill o retrai  
Car no vol so c'om deu voler
E so c'om li deveda fai 
Chazutz sui en mala merce 
Et ai be faich co.l fols en pon 
E no sai per que m'esdeve 
Mas car trop puyei contra mon

VI

Merces es perduda per ver 
Et eu non o saubi anc mai 
Car cill qui plus en degr'aver
No.n a ges et on la querrai 
A can mal sembla qui la ve 
Qued aquest chaitiu deziron 
Que ja ses leis non aura be 
Laisse morrir que no l
'aon 

VII

Pus ab midons no.m pot valer 
Precs ni merces ni.l dreichz qu'eu ai 
Ni a leis no ven a plazer 
Qu'eu l'am ja mais no.ill o dirai 
Aissi.m part de leis e.m recre
Mort m'a e per mort li respon 
E vau m'en pus ill no.m rete 
Chaitius en issill no sai on

Tornada

Tristans ges no.n auretz de me 
Qu'eu m'en vau chaitius no sai on 
De chantar me gic e.m recre 
E de joi e d'amor m'escon

Quand je vois l'alouette se balancer 

I

Quand je vois l'alouette se balancer 
de joie ses ailes contre le rayon [du soleil] 
qui s'oublie et se laisse tomber 
à cause de la douceur qui pénètre son cœur 
ah ! quelle grande envie me vient 
de tous ceux que je vois joyeux ! 
et je m'émerveille qu'aussitôt 
mon cœur ne se fonde point de désir.

II

Hélas ! combien je croyais savoir 
d'amour et combien peu j'en sais 
car je ne puis m'empêcher d'aimer 
celle dont je n'aurai jamais aucune faveur 
elle m'a pris mon cœur, elle m'a pris elle-même 
et moi-même et le monde entier 
et quand elle me prit ainsi, elle ne m'a laissé rien 
que désir et cœur impatient.

III

Je ne fus plus maître de moi 
et je ne m'appartins plus depuis l'heure 
où elle me laissa regarder dans ses yeux 
en un miroir qui me plaît beaucoup. 
Miroir, depuis que je me suis miré en toi 
les soupirs profonds m'ont tué 
car je me suis perdu comme se perdit 
le beau Narcisse en la fontaine.

IV

Les dames me mettent en désespoir 
jamais je ne me fierai en elles 
autant je les défendais 
autant je les attaquerai 
puisque je vois qu'aucune ne me vient en aide 
auprès de celle qui me détruit et m'humilie. 
Je les crains toutes et m'en méfie 
car je sais qu'elles sont toutes les mêmes. 

 

V

En ceci ma dame se montre 
bien femme et je le lui reproche 
elle ne veut pas ce qu'on doit vouloir 
et elle fait ce qu'on lui défend. 
Je suis tombé en mauvaise grâce 
et j'ai bien agi comme le fou sur le pont 
je ne sais pas pourquoi cela m'est arrivé 
si ce n'est que je voulais gravir une pente trop raide.

VI

Merci est bien perdue en vérité 
et moi, jamais je ne l'avais su 
car celle qui devrait en avoir le plus 
n'en a pas du tout, et où irais-je donc la chercher ? 
Ah ! comme i! y paraît peu, quand on la voit 
qu'elle laisse mourir sans secours 
ce pauvre malheureux plein de désir 
qui sans elle n'aura jamais le bonheur.

VII

Puisque, auprès de ma dame, ne peuvent me secourir 
ni prières, ni merci, ni mon bon droit 
et qu'il ne lui plaît pas 
que je l'aime, jamais plus je ne le lui dirai 
c'est ainsi que je me sépare d'elle et que je renonce 
elle m'a tué et je lui réponds comme un mort 
et je m'en vais puisqu'elle ne me retient pas 
misérable, en exil, je ne sais où.

Envoi

Tristans, vous n'aurez plus rien de moi 
car je m'en vais, misérable, je ne sais où. 
Je m'abstiens de chanter et j'y renonce 
et je me soustrais à la joie et à l'amour. 

XVII : Amors e que·us es veyaire - L'Amour triomphe de tout - Amour que vous en semble - A04 B17 PC70, 4

Amors e que·us es veyaire

I

Amors e que·us es veyaire
Trobatz mais fol mas can me 
Cuidatz vos qu'eu si' amaire 
E que ja no trop merce 
Que que.m comandetz a faire 
Farai o c'aissi.s cove 
Mas vos non estai ges be 
Que.m fassatz tostems mal traire

II

Eu am la plus de bon aire 
Del mon mais que nula re
Et ela no m'ama gaire
No sai cossi.s esdeve 
E can plus m'en cuit estraire 
Eu no posc c'Amors me te 
Trahitz sui per bona fe 
Amors be.us o posc retraire

III

Ab Amor m'er a contendre
Que no m'en posc estener 
Qu'en tal loc me fai entendre 
Don eu nul joi non esper 
Anceis me fari' a pendre 
Car anc n'aic cor ni voler
Mas eu non ai ges poder 
Que.m posca d'Amor defendre

IV

Pero Amors sap dissendre 
Lai on li ven a plazer 
E sap gen guizardo rendre 
Del maltraich e del doler
Tan no.m pot mertsar ni vendre 
Que plus no.m poscha valer 
Sol ma domna.m deing vezer 
E mas paraulas entendre

V

Ieu sai be razon e chauza 
Que posc' a midons mostrar 
Que nuls om no pot ni auza 
Enves Amor contrastar 
Car Amors vens tota chauza 
E forsa.m de leis amar 
Atretal se pot leis far 
En una petita pauza 

 

VI

Grans enois es e grans nauza

De tostems merce clamar 
Mas l'amor qu'es en me clauza 
No posc cobrir ni celar 
Las mos cors no dorm ni pauza 
Ni pot en un loc estar 
Ni eu no posc plus durar 
Si.ll dolors no.m asoauza

VII

Domna res no vos pot dire 
Lo bo cor ni.l fin talan 
Qu'eu ai can de vos cossire 
C'anc re mais non amei tan 
Tost m'agran mort li sospire 
Domna passat a un an
No.m fos per un bel semblan 
Don si doblan mei dezire

T1

No.n fatz mas gabar e rire 
Domna can re vos deman 

 E si vos amassetz tan 
Alres vos n'avengr' a dire

T2

Ma chanson apren a dire 
Alegret e tu Ferran 
Porta la.m a mo Tristan 
Que sap be gabar e rire

Amour, que vous en semble ?

I

Amour, que vous en semble ?
trouvez-vous jamais plus fou que moi ? 
croyez-vous que je sois amoureux 
et que jamais je n'obtienne merci ? 
Quoi que vous me commandiez de faire 
je le ferai ainsi qu'il convient 
mais il ne vous sied guère 
de me faire toujours souffrir.

II

J'aime la dame la plus gracieuse 
du monde, plus que toute autre chose 
et elle ne m'aime guère 
je ne sais comment il en est ainsi 
et si je pense à m'en séparer 
je ne le puis car amour me tient. 
Je suis trahi par ma bonne foi 
amour, je puis bien te le reprocher.

III

Avec l'amour il me faudra contester 
je ne puis m'en retenir 
car en un tel lieu il me fait chercher 
d'où je n'attends aucune joie. 
Plutôt je me ferai pendre 
car je n'ai jamais désir ni volonté 
mais je n'ai guère le pouvoir 
qui puisse d'amour me défendre.

IV

Mais amour sait s'abaisser 
là où cela lui fait plaisir 
il sait donner une belle récompense 
de la peine et de la douleur 
tant, qu'il ne peut ni me marchander ni me vendre 
plus que je ne puisse valoir 
si seulement ma dame daigne regarder 
et comprendre mes paroles.

V

Je sais bien les raisons et les choses 
que je puis a ma dame montrer 
car nui homme ne peut ni n'ose 
envers amour contester 
car amour vainc de toute chose 
et me force à l'aimer 
il peut en faire autant pour elle 
en un petit instant. 

 

VI

C'est un grand ennui et un grand dégoût 
a toujours clamer merci 
mais l'amour qui est en moi enfermé 
je ne puis ni le couvrir ni le cacher. 
Hélas ! mon cœur ne dort ni ne repose 
et ne peut en un lieu se fixer 
et moi je ne puis plus supporter 
s'il ne calme pas ma tristesse.

VII

Dame je ne peux rien vous dire 
le bon cœur et les beaux sentiments 
que j'ai pour vous quand je réfléchis bien 
car je n'ai jamais rien aimé autant. 
Tous les soupirs m'auraient tué 
dame il y a un an passé 
si ce ne fut par un beau geste 
dont redoublent mes désirs. 

Tenson 1

Vous ne faites que plaisanter et rire 
dame quand je vous demande quelque chose 
et si vous m'aimiez autant 
vous n'auriez pas autre chose à dire.

Tenson 2

Apprends à dire ma chanson 
Alegret et toi Ferran 
porte-là à Mon Tristan 
qui sait bien plaisanter et rire.

XVIII : Quan lo dous temps comensa - Après le cruel orage souffle la douce brise - Quand le doux temps commence - A46-27 B18 PC392,27 - AP70,40a

Quan lo dous temps comensa

I

Quan lo dous temps comensa 
E pareis la verdura 
E.l mons s'esclair' e gensa 
E tot cant es meillura 
Chascuna creatura 
S'alegra per natura  
Eu sols fatz estenensa 
De far envezadura

II

En aspra penedensa 
Sui s'a lonjas me dura 
Qu'en tal ai m'entendensa 
Don nuills bes no m'agura 
Tot' ai meza ma cura 
En cor de peira dura  
E sai que fauc faillensa 
Car non am per mezura

III

En sa bela fachura 
Ed en so clar vizatge 
Paus tota m'aventura 
Com en ric seignoratge 
Tant es de bel estatge 
Rich' e de gran lignatge 
Qu'eu no cres'ill o jura 
Refut mon omenatge

 

IV

E si.m teing a tortura 
Lo seu respos salvatge 
Sei uoill m'en fan drechura 
Que.
m son del cor messatge 
Qu'eu sai be per uzatge 
Qu'oill no celon coratge 
Sol aisso.m n'asegura 
Qu'eu no.n ai autre gatge

V

Mout fai gran vilanatge 
Qui trop leu s'espaventa 
Qu'apres lo fer auratge 
Vei que.ill dous' aura venta 
S'a vint ans o a trenta

Agues sauva m'ententa 
Ges no plaing mo damnatge 
Vas que ma joy' es lenta

T1

Domna pros e valenta 
Genser de la plus genta 
Faitz vostre cors salvatge 
Tan privat qu'eu lo senta

T2

Car s'eu mor domna genta 
Que ja nuza no.us senta 
Mos cors n'aura damnatge 
E m'arma n'er dolenta 

Habituellement attribuée à Rimbaut de Vaqueras mais possiblement de Bernartz de Ventadour selon Carl Appel et Alain Pons

XIX : Ges de chantar no-m pren talans - l'homme ne vaut que par l'Amour - de chanter il ne me prend guère envie - A21 B19 PC70,21

Ges de chantar no.m pren talans

I

Ges de chantar no.m pren talans 
Tan me peza de so que vei 
Que metre.s soli' om en grans 
Com agues pretz onor e lau 
Mas era no vei ni non au 
C'om parle de drudaria 
Per que pretz e cortezia 
E solatz torn' en no-chaler

II

Dels baros comensa l'enjans 
C'us no.n ama per bona fei 
Per so.n sec als autres lo dans 
E negus om de lor no.s jau 
Ez amors no rema per au 
Car be leu tals amaria 
Qui s'en te car no.s sabria 
A guiza d'amor chaptener

III

De tal amor sui fis amans 
Don duc ni comte non envei 
E non es reis ni amirans 
El mon que s'el n'avi' aitau 
No s'en fezes rics com eu fau 
E si lauzar la volia
Ges tan dire no.n poiria 
De be que mais no.n sia ver

IV

Per re non es om tan prezans 
Com per amor e per domnei 
Que d'aqui mou deportz e chans 
E tot can a proez' abau 
Nuls om ses amor re no vau 
Per qu'eu no vuoill sia mia 
Del mon tota.ill seignoria 
Si ja joi no.n sabi' aver 

 

V

De midons me lau cent aitans 
Qu'eu no sai dir  et ai be drei 
Que can pot me fai bels semblans 
E sona me gent e suau 
E mandet me per qu'eu m'esjau 
Que per paor remania 
Car ela plus no.m fazia 
Per qu'eu n'estau en bon esper

VI

Bona domna coinhd' e prezans 
Per Deu ayatz de me mercei 
E ja no vos anetz doptans 
Ves vostr'amic fin e corau 
Far me podetz e ben e mau 
En la vostra merce sia 
Qu'eu sui garnitz tota via 
Com fassa tot vostre plazer

VII

Fons Salada mos drogomans 
Me siatz moseignor al rei 
Digatz li.m que Mos-Azimans 
Mi te car eu ves lui no vau 
Si com a Toren' e Peitau 
E Anjau e Normandia 
Volgra car li covenria 
Agues tot lo mon en poder

Tornada

Lo vers aissi com om plus l'au 
Vai meillhran tota via 
E i aprendon per la via 
Cil c'al Poi lo volran saber

 
 

XX : En abril can vei verdeyar - L'Amour désespère alors qu'il espère toujours - En avril quand je vois reverdir B20 PC331, 1

Canso notée par L. BILLET ne figurant pas chez C. APPEL  - Appartient à Peire Bremon lo Tort.

 

XXI : Ara'm cosseillatz seignor- De deux maux, l'amoureux doit choisir le moindre - Maintenant, conseillez-moi, seigneur - A06 - B21- PC70, 6

Ara'm cosseillatz seignor 

I

Ara'm cosseillatz seignor 
Vos c'avetz saber e sen 
Una domna.m det s'amor
C'ai amada lonjamen 
Mas eras sai de vertat 
Qu'ill a autr' amic privat 
Ni anc de nul compaigno 
Compaigna tan greus no.m fo

II

D'una re sui en error 
E.n estau en pensamen 
Que m'alonje ma dolor 
S'eu aquest plaich li cossen 
E s'aissi.l dic mon pessat 
Vei mo damnatge doblat 
Cal que.n fassa o cal que no 
Re no posc far de mo pro

III

E s'eu l'am a dezonor 
Esquerns er a tota gen 
E tenran m'en li pluzor 
Per cornut e per sofren 
E s'aissi pert s'amistat 
Be.m teing per dezeretat 
D'amor e ja Deus no.m do 
Mais faire vers ni chanso

                              IV

Pois voutz sui en la folor 
Be serai fols s'eu no pren 
D'aquestz dos mals lo menor 
Que mais val mon essien 
Qu'eu ay' en leis la meitat 
Que.l tot perda per foldat 
Car anc a nul drut felo 
D'amor no vi far son pro 

 

V

Pois vol autre amador 
Ma domn'eu no lo.ill defen 
E lais m'en mais per paor 
Que per autre chauzimen 
E s'anc om dec aver grat 
De nul servizi forsat 
Be dei aver guizerdo 
Eu que tan gran tort perdo

VI

Li seu beill oill trahidor 
Que m'esgardavon tan gen 
S'atressi gardon aillor 
Mout i fan gran faillimen 
Mas d'aitan m'an mout onrat 
Que s'eron mil ajostat 
Plus gardon lai on eu so 
C'a totz aicels d'eviro

VII

De l'aigua que dels oills plor 
Escriu salutz mais de cen 
Que tramet a la gensor 
Et a la plus avinen 
Maintas vetz m'es pois membrat 
De so que.m fetz al comjat 
Que.ill vi cobrir sa faisso 
C'anc no.m poc dir oc ni no

T1

Domna a prezen amat 
Autrui e me a celat 
Si qu'eu n'aya tot lo pro 
Et el la bela razo

T2

Garsio ara.m chantat 
Ma chanso e la.m portat 
A mo Messager qu'i fo 
Qu'e.ill quer cosseill qu'el me do

 

XXII : E maint geing se volv e-s vira - l'Amour est enfant de Bohême qui n'a jamais connu de loi - En maintes façon se tourne et vire - A18 B22 PC70,18

E maint geing se volv e.s vira 

I

E maint geing se volv e.s vira 
Mos talans e ven e vai 
Lai on mos volers s'atrai 
Lo cors no.n pauza ni fina 
Si.m te coind' e gai 
Fin' amors ab cui m'apai 
No sai com me conteigna 

II

Ges amors no.s fraing per ira 
Ni se feing per dich savai 
Can es de bo pretz verai 
Qui la te en dissiplina 
Re no sap que.s fai 
Que no cove ni s'eschai 
Que nuls om la destreigna

III

Eu.m sui cel que res no tira 
Si tot ma domna.m sostrai 
Ja de re mo.m clamarai 
Car es tan pur' e tan fina 
Que ja no creirai 
Si de so tort li quer plai 
Que merces no l'en preigna 

 

IV

Per mo grat eu m'en jauzira 
E pel bo talan qu'eu n'ai 
M'es veyaire que be.m vai 
Gardatz  s'ela.m fos vezina 
S'eu n'agra re mai 
Eu oc c'aissi m'o aurai 
S'a lei platz que.m reteigna

Tornada

Messatger mot me tahina 
Car tost non est lai 
Viatz ven e viatz vai 
Mas la chanso ill'enseigna

 
 

XXIII : En cossirer et en esmai - Par l'Amour de ma dame je suis tout feu tout flamme - En souci et en émoi - A17 B23 PC70,17

En cossirer et en esmai

I

En cossirer et en esmai 
Sui d'un' amor que.m lass' e.m te 
Que tan no vau ni sai ni lai 
Qu'ill ades no.m teingn' en so fre 
C'aras m'a dat cor e talen 
Qu'eu enqueses si podia 
Tal que si.l reis l'enqueria 

Auria faich gran ardimen

II

Ai las chaitius e que.m farai 
Ni cal cosseill penrai de me 
Qu'ela no sap lo mal qu'eu trai 
Ni eu no.ill aus clamar merce 
Fol nesci ben as pauc de sen

Qu'ela nonca t'amaria 
Per nom que per drudaria 

C'ans no.t laisses levar al ven

III 

E doncs pois atressi.m morrai 
Dirai li l'afan que m'en ve 
Vers es c'ades lo li dirai 
No farai a la mia fe 
Si sabia c'a un tenen 
En fos tot' Espaigna mia 
Mais vuoill morir de feunia 
Car anc me venc en pessamen

IV

Ja per me no sabra qu'eu m'ai 
Ni autre no l'en dira re 
Amic no vuoill ad aquest plai 
Ans perda Deu qui pro m'en te 
Qu'eu no.n vuoill cozi ni paren 
Que mout m'es grans cortezia 
C'amors per midons m'aucia  
Mais a leis non estara gen 

 

V

E doncs ela cal tort m'i fai 
Qu'ill no sap per que s'esdeve 
Deus devinar degra oimai 
Qu'eu mor per s'amor et a que 

Al meu nesci chaptenemen 
Et a la gran vilania 
Per que.ill lengua m'entrelia 
Can eu denan leis me prezen

VI

Negus jois al meu no s'eschai 
Can ma domna.m garda ni.m ve 
Que.l seus bels douz semblans me vai 
Al cor que m'adous' e.m reve 
E si.m durava lonjamen 
Sobre sainz li juraria 
Qu'el mon mais nuills jois no sia 
Mais al partir art et encen

VII

Pois messatger no.ill trametrai 
Ni a me dire no.s cove
Negu cosseill de me no sai 
Mais d'una re me conort be 
Ela sap letras et enten 
Et agrada.m qu'eu escria 
Los motz e s'a leis plazia 
Legis los al meu sauvamen

Tornada

E s'a leis autre dols no.n pren 
Per Deu e per merce.ill sia 
Que.l bel solatz que m'avia 
No.m tuoilla ni.l seu parlar gen

En souci et en émoi

I

En souci et en émoi 
pour un amour qui m'enlace et me tient 
partout où que j'aille ici et là 
il me retient toujours par son frein 
maintenant i! m'a donné le cœur et l'envie 
de rechercher si je pouvais 
un amour tel que si le roi lui-même le trouvait 
il ferait preuve d'une grande hardiesse.

II

Hélas ! malheureux que dois-je faire 
quel conseil puis-je prendre 
elle ne sait pas le mal que j'endure 
et je n'ose pas implorer sa pitié. 
Pauvre niais ! tu as bien peu de bon sens 
elle ne t'aimera jamais 
pas plus par amour que par envie 
jusqu'à ce que le vent t'emporte.

III

Et donc puisque ainsi je mourrai 
je lui dirai la peine qui m'en vient 
oui vraiment aussitôt je le lui dirai 
non je ne le ferai pas, par ma foi 
même si je savais que sur le champ 
je posséderais toute l'Espagne 
mais je veux mourir de dépit 
car jamais cela ne me vient à la pensée.

IV

Jamais de moi elle ne saura ce que j'ai 
ni personne ne lui en dira rien. 
je ne veux pas d'ami en cette affaire 
mais que Dieu perde celui qui m'en tient lieu. 
car je ne veux ni cousin ni parent 
t une très grande faveur 
que l'amour pour ma dame me tue 
mais de sa part ce ne sera pas noble. 

 

V

Et donc elle quel tort elle me fait 
qui ne sait pas pourquoi cela arrive 
Dieu ! elle devrait deviner à présent 
que je meurs par amour pour elle 
par mon comportement stupide 
et par la grande vilenie 
qui me lie la langue 
quand je me présente devant elle.

VI

Nul plaisir n'équivaut au mien 
quand ma dame me regarde et me contemple 
car son beau et doux regard me va 
au cœur m'apaise et me fait revivre 
et si ce plaisir pouvait durer longtemps 
par tous les saints je lui jurerai 
qu'au monde il n'existe pas d'autre joie 
mais au moment du départ je brûle et me consume.

VII

Puisque je ne lui enverrai pas de messager 
et il ne me convient pas de le lui dire 
je ne me suis d’aucun secours 
mais une chose me console 
elle connaît les écrits et les comprend 
et il m’est agréable de lui écrire 
les mots et si cela lui plaît 
elle les lira pour mon salut.

Envoi

Et si elle ne prend à cœur la peine d’autrui 
qu’elle agisse pour Dieu et par pitié 
qu’elle ne m’enlève pas le beau moment 
qu’elle m’a accordé ni ses belles paroles.

XXIV : Pois preyatz mi seignor - L'Amour vit de souvenirs - Puisque vous me priez seigneur - A36 B24 PC70,36

Pois preyatz mi seignor

I

Pois preyatz mi seignor 
Qu'eu chan eu chantarai 
E can cuit chantar plor 
A l'ora c'o essai 
Greu veiretz chantador 
Be chan si mal li vai 
Vai me doncs mal d'amor 
Ans meills que no fetz mai 
E doncs per que m'esmai

II

Gran ben e gran onor 
Conosc que Deus me fai 
Qu'eu am la belazor 
Et ill me qu'eu o sai
Mas eu sui sai aillor 
E no sai com l'estai 
So m'auci de dolor 
Car ochaizo non ai 
De soven venir lai

III

Empero tan me plai 
Can de leis me sove 
Que qui.m crida ni.m brai 
Eu no.n au nula re 
Tan dousamen me trai 
La bela.l cor de se  
Que tals ditz qu'eu sui sai 
Et o cuid et o cre 
Que de sos oills no.m ve

IV

Amors e que.m farai 
Si garrai ja ab te 
Ara cuit qu'e.n morrai 
Del dezirer que.m ve 
Si.ll bela lai on jai 
No m'aizis pres de se 
Qu'eu la manei e bai 
Et estreigna vas me 
So cors blanc gras e le 

 

 

V

Ges d'amar no.m recre 
Per mal ni per afan 
E can Deus m'i fai be 
No.l refut ni.l soan 
E can bes no m'ave 
Sai be sofrir lo dan 
C'a las oras cove 
C'om s'an entreloignan 
Per meills saillir enan

VI

Bona domna merce 
Del vostre fin aman 
Mas jonchas ab col cle 
Vos m'autrei e.m coman 
Qu'e.us pliu per bona fe 
C'anc re non amei tan 
E si locs s'esdeve 
Vos me fatz bel semblan 
Que mout n'ai gran talan

T1

Mon Escudier e me 
Don Deus cor e talan 
C'amdui n'anem truan

T2

E qu'el en men ab se 
So don a plus talan
Et eu Mon Aziman

Puisque vous me priez, seigneurs 

I

Puisque vous me priez, seigneurs 
de chanter, je chanterai. 
Et dès que je pense chanter, je pleure 
à l'instant où je m'y essaie. 
Difficilement entendrez-vous un chanteur 
qui chante bien, si ses affaires vont mal. 
Suis-je donc malheureux en amour ? 
Au contraire, plus heureux que jamais ! 
Et alors, pourquoi suis-je en émoi ?

II

Je le reconnais ; Dieu m'a fait 
une grande faveur et un grand honneur 
puisque j'aime la plus belle femme 
et, pour autant que je le sache elle m'aime au 
Mais moi je suis ici, loin d'elle 
et je ne sais quel est son état d'âme ! 
C'est ce qui me tue de douleur 
car je n'ai pas l'occasion 
de me rendre souvent là-bas.

III

Cependant, je suis si heureux 
quand il me souvient d'elle 
que l'on peut crier et hurler autour de moi 
je n'entends absolument rien. 
La belle m'arrache 
si doucement le coeur de la poitrine 
que tel qui affirme que je me trouve ici 
et en est persuadé et' convaincu 
de ses yeux, en réalité, ne me voit point.

IV

Eh bien, Amour, que dois-je faire ? 
Pourrai-je jamais guérir par toi ? 
Pour le moment, je crois que je mourrai 
du désir qui me vient 
si la belle ne m'accueille auprès d'elle 
là où elle couche 
afin que je la caresse et la baise 
et étreigne contre moi 
son corps blanc, charnu et lisse. 

 

V

Je ne renonce guère à aimer 
quels que soient les maux et les tourments 
et quand Dieu m'y concède quelque bien 
je ne le refuse ni ne le dédaigne. 
Mais lorsque nul bien ne m'en échoit 
je sais supporter patiemment la peine 
car il est nécessaire parfois 
de prendre un certain recul 
pour mieux s'élancer en avant.

VI

Douce dame, ayez pitié 
de votre fidèle amant ! 
Mains jointes, tête inclinée 
je m'octroie et me recommande à vous. 
Car je vous jure, de bonne foi 
que je n'ai jamais aimé personne autant que vous. 
Et si l'occasion s'en présente 
montrez-moi un doux visage 
car j'en ai une grande nostalgie !

Tenson 1

Puisse Dieu accorder, à Mon Escuder et à moi-même 
la volonté et le désir 
de nous en aller vagabonder ensemble.

Tenson 2

Et qu'il emmène avec lui 
ce dont il a le plus envie 
et moi, Mon Aziman.

XXV : Tuich cil que-m preyon qu'eu chan - Il est fou celui qui, sans prudence, me dans l'Amour son espérance - Tous ceux qui me prient de chanter - A45 B25 PC70,45

Tuich cil que.m preyon qu'eu chan

Tuich cil que.m preyon qu'eu chan 
Volgra saubesson lo ver
S'eu n'ai aize ni lezer 
Chantes qui chantar volria 
Qu'eu no.n saup ni chan ni via 

Pois perdei ma benanansa 
Per ma mala destinansa

II

Ai las com mor de talan 
Qu'eu no dorm mati ni ser 
Que la noich can vau jazer 
Lo rossignols chant' e cria 
Et eu que chantar solia 
Mor d'enoi e de pezansa 
Can au joi ni alegransa

III

D'amor vos dirai aitan  
Qui be la saubes tener 
Res plus no.n pogra valer 
Per Deu mout fo bona.ill mia 
Mas no.m duret mas un dia 
Per qu'es fols qui ses fermansa 
Met en amor s'esperansa

IV

Amors m'a mes en soan 
E tornat a no-chaler
E s'eu l'agues en poder 
Dic vos qu'e.n feira feunia 
Mas Deus no vol c'Amors sia 
Res don om prenda venjansa 
Ab coup d'espa' o de lansa 

 

V

Amors e.us prec de mon dan 
C'autre pro no i posc aver 
Ja mais blandir ni temer 

No.us quer c'adoncs vos perdria 
Ben es fols qui'n vos se fia 
C'ab vostra fausa semblansa 
M'avetz trhait en fiansa

VI

Lemozi a Deu coman 
Leis que no.m vol retener 
Qu'era pot ill be saber 
S'es vers aco que.ill dizia  
Qu'en terr' estraigna.m n'iria 
Pois Deus ni fes ni fiansa 
No m'i poc far acordansa

VII

Pero per un bel semblan 
Sui enquer en bon esper 
Mon Conort dei grat saber 
C'ades vol qu'eu chan e ria 
E dic vos que s'ill podia 
Eu seria reis de Fransa 
Car al plus qu'ill pot m'enansa  

T1

No m'o teing a vilania 
S'eu m'ai sai bon' esperansa 
Pois ill lai re no m'enansa

T2

Romieu man que per m'amia 
E per lui farai semblansa 
Qu'eu ai sai bon' esperansa

Tous ceux qui me prient de chanter 

I

Tous ceux qui me prient de chanter 
devraient en vérité savoir 
si j'en ai l'occasion et le loisir. 
Qu'il chante, celui qui veut chanter ! 
Parce que moi je ne connais plus ni chant ni mode 
depuis que j'ai perdu mon bonheur 
par ma maudite destinée.

II

Hélas ! comme je meurs de désir ! 
Je ne dors plus matin ni soir 
car la nuit, lorsque je vais me coucher 
le rossignol chante et lance son appel 
et moi, qui avais l'habitude de chanter 
je meurs de tristesse et de peine 
quand j'entends la joie et l'allégresse.

III

Au sujet de l'amour je vous dirai ceci 
pour celui qui sait le retenir 
rien ne peut le dépasser en valeur. 
Par Dieu ! comme il fut excellent le mien 
mais il ne me dura point plus d'un jour ! 
Aussi est-il fou, celui qui sans aucune garantie 
place en amour son espérance

IV

Amour m'a rejeté avec mépris 
et m'a témoigné son indifférence. 
Et si je l'avais entre les mains 
je vous assure que je le traiterais cruellement ! 
Mais Dieu n'a pas voulu qu'Amour fût 
un être dont on pût prendre vengeance 
à coups d'épée ou de lance. 

 

V

Amour, je vous réclame mon malheur 
car nul autre avantage je ne puis avoir de vous. 
Jamais plus je ne veux vous courtiser ni vous craindre 
car même alors vous seriez perdue pour moi. 
Bien fou est celui qui en vous se fie 
car par votre fausse apparence 
vous avez trahi ma bonne foi.

VI

Lemozi, je recommande à Dieu 
celle qui ne veut pas me retenir 
et à présent elle peut bien savoir 
si c'est vrai ce que je lui disais 
que je m'exilerais en terre étrangère 
puisque Dieu, foi ni confiance 
n'ont pu me mettre d'accord avec elle.

VII

Cependant, à cause d'un certain doux semblant 
j'ai encore bon espoir 
je dois en rendre grâces à Mon Conort 
puisqu'elle veut toujours que je chante et rie. 
Et je vous dis que, si c'était en son pouvoir 
je serais roi de France 
car elle m'élève autant qu'elle le peut.

Tenson 1

Je ne considère pas comme une vilenie 
d'avoir mis ici ma bonne espérance 
puisque l'autre, là-bas, ne m'élève guère.

Tenson 2

A Romeu j'envoie dire que pour mon amie 
et pour lui, je ferai paraître 
que j'ai mis ici ma bonne espérance.

XXVI : Conortz, era sai eu be - Qui cherche le bon sens en Amour n'a ni bon sens, ni mesure - Je sais bien maintenant Conort - A16 B26

Conortz, era sai eu be

I

Conortz, era sai eu be 
Que ges de me no pensatz, 
Pois salutz ni amistatz 
Ni messatges no m'en ve. 
Trop cuit que fatz lonc aten, 
Et er be semblans oimai 
Qu'eu chasse so c'autre pren, 
Pois no m'en ven aventura.

II

Bels Conortz, can me sove 
Com gen fui per vos onratz 
E can era m'oblidatz, 
Per un pauc no.n mor desse 
Qu'eu eis m'o vauc enqueren 
Qui.m met de foudat em plai , 
Can eu midons sobrepren 
De la mia forfaitura.

III

Per ma colpa m'esdeve 
Que ja no.n sia privatz, 
Car vas leis no sui tornatz 
Per foudat que m'en rete. 
Tan n'ai estat lonjamen 
Que de vergonha qu'eu n'ai, 
Non aus aver l'ardimen 
Que i an, s'ans no m'asegura.

IV

Ilh m'encolpet de tal re 
Don me degra venir gratz. 
Fe qu'eu dei a l'Alvernhatz, 
Tot o fi per bona fe. 
E s'eu en amar mespren, 
Tort a qui colpa m'en fai, 
Car, qui en amor quer sen, 
Cel non a sen ni mezura . 

 

V

Tan er gen servitz per me 
Sos fers cor, durs et iratz, 
Tro del tot si' adoussatz 
Ab bels dihz et ab merce! 
Qu'eu ai be trobat legen 
Que gota d'aiga que chai, 
Fer en un loc tan soven, 
Tro chava la peira dura.

VI

Qui be remira ni ve 
Olhs e gola, fron e faz, 
Aissi son finas beutatz 
Que mais ni menhs no i cove, 
Cors lonc, dreih e covinen, 
Gen afliban, conhd' e gai. 
Om no.l pot lauzar tan gen 
Com la saup formar Natura.

VII

Chansoneta, ar t'en vai 
A Mo Frances, l'avinen, 
Cui pretz enans' e melhura :

VIII

E digas li que be.m vai, 
Car de Mo Conort aten 
Enquera bon' aventura.

Je sais bien maintenant Conort

I

Je sais bien maintenant Conort 
que vous ne pensez guère à moi 
car nul salut nul signe d'amitié 
ou message ne me vient de vous. 
Je pense avoir attendu assez longtemps 
et désormais il semble certain 
que je vais chassant ce qu'un autre prend 
puisque nul bonheur ne m'en vient.

II

Lorsqu'il me souvient Bels Conortz 
comme je fus noblement honoré de vous 
et comme vous m'oubliez à présent 
peu s'en faut que je meure sur-le-champ. 
Pourtant je vais chercher moi-même 
celui qui m'accusera de folie 
lorsque je reproche à ma dame 
ma propre forfaiture.

III

Il m'arrive par ma faute 
que je ne sois plus jamais son ami intime 
puisque je ne suis revenu à elle 
à cause de la folie qui m'en retient. 
J'en suis resté loin si longtemps que 
de la honte que j'en éprouve 
je n'ose avoir la hardiesse d'aller vers elle 
si elle ne me rassure avant.

 IV

Elle m'accuse de telle chose 
qui aurait dû m'attirer ses grâces. 
Par la foi que je dois à l'Auvergnat 
j'ai fait tout cela de bonne foi. 
Et si, en aimant, je me trompe 
on aura tort de m'en faire grief 
car qui cherche bon sens en amour 
n'a lui-même bon sens ni mesure. 

 

V

Aussi longtemps servirai-je 
noblement son coeur sauvage, dur et courroucé 
jusqu'à ce qu'il soit tout à fait attendri 
par les belles paroles et la compassion 
car j'ai trouvé dans mes lectures 
que la goutte d'eau qui tombe 
frappe si souvent en un lieu 
qu'elle creuse la pierre dure.

VI

Pour qui contemple bien ses yeux 
et son cou, son front et son visage 
beauté est si parfaite 
que rien n'y est de trop ni rien n'y manque 
son corps est svelte, droit et bien proportionné 
noblement vêtue, elle est gracieuse et joyeuse. 
Personne ne peut la louer aussi finement 
que la Nature la sut former.

VII

Chansonnette va-t'en maintenant 
chez Mon Frances aux manières avenantes 
dont le mérite augmente et s'accroît.

VIII

Et dis-lui que je vais bien 
que de Mon Conort 
j'attends encore la bonne fortune.

XXVII : Gent estera que chantes -Le soupirant désire le Paradis de l'Amour - Il me serait agréable de chanter - A20 B27

Gent estera que chantes

I

Gent estera que chantes, 
S'a Mon Conort abelis, 
Mas eu no cre que.m grazis 
Re que.lh disses ni.lh mandes, 
Car trop n'ai faih lonc estatge 
De vezer lo seu cors gen 
Avinen e d'agradatge! 
E lais m'en, si Deus be.m do, 
Pel meu dan e pel seu pro.

II

Mas fals lauzenger engres 
M'an lunhat de so pais, 
Que tals s'en fai esdevis 
Qu'eu cuidera que.ns celes 
Si.ns saubes ams d'un coratge. 
E car me don espaven, 
Vau queren cubert viatge, 
Per on vengues a lairo 
Denan leis, ses mal resso.

III

Car no parria, ames 
Nulhs om que d'amor s'aizis, 
Car per celar es om fis 
E.n estai de joi plus pres. 
Donc, s'eu en pren bon uzatge, 
Midons, c'a valor e sen, 
Prec m'esmen dins son ostatge 

L'afan, can veira sazo, 

E no i gart dreih ni razo. 

 

IV

E si.l plazia, .m tornes 
Al seu onrat paradis, 
Ja no.s cuit qu'eu m'en partis : 
Ans mor can no i son ades ! 

Deus ! car aurai vassalatge
Que denan leis me prezen ?
Trop m'aten en voupilhatge, 
Car no sap, s'ai tort o no, 
Per c'a dreih que.m ochaizo.

V

Domna, 'l genzer c'anc nasques 
E la melher qu'eu anc vis, 
Mas jonchas estau aclis, 
A genolhos et en pes, 
El vostre franc senhoratge! 
Encar me detz per prezen 
Franchamen un cortes gatge 
--Mas no.us aus dire cal fo -- 
C'adoutz me vostra preizo.

VI

Domna, vos am finamen, 
Franchamen, de bo coratge, 
E per vostr' om me razo, 
Qui.m demanda de cui so.

 
 

XXVIII : Lancan vei la folha - Le miroir ennemi numéro un de l' Amour - Quand je vois les feuilles - A25 B28

Lancan vei la folha

I

Lancan vei la folha 
Jos dels albres chazer, 
Cui que pes ni dolha, 

A me deu bo saber. 
No crezatz qu'eu volha 
Flor ni folha vezer, 
Car vas me s'orgolha 
So qu'eu plus volh aver. 
Cor ai que m'en tolha, 
Mas no.n ai ges poder, 
C'ades cuit m'acolha, 
On plus m'en dezesper.

II

Estranha novela 
Podetz de me auzir, 
Que, can vei la bela 
Que.m soli' acolhir, 
Era no m'apela 
Ni.m fai vas se venir. 
Lo cor sotz l'aissela 
M'en vol de dol partir. 
Deus, que.l mon chapdela, 
Si.lh platz, m'en lais jauzir, 
Que s'aissi.m revela, 
No.i a mas del morir.

III

Non ai mais fiansa 
En agur ni en sort, 
Que bon' esperansa 
M'a confondut e mort, 
Que tan lonh me lansa 
La bela cui am fort, 
Can li quer s'amansa, 
Com s'eu l'agues gran tort. 
Tan n'ai de pezansa 
Que totz m'en desconort! 
Mas no.n fatz semblansa, 
C'ades chant e deport.

IV

Als non sai que dire 
Mas: mout fatz gran folor 
Car am ni dezire 
Del mon la belazor. 
Be deuri' aucire 
Qui anc fetz mirador 
Can be m'o cossire, 
No.n ai guerrer peyor. 
Ja.l jorn qu'ela.s mire 
Ni pens de sa valor, 
No serai jauzire 
De leis ni de s'amor. 

 

 

V

Ja per drudaria 
No m'am, que no.s cove : 

Pero si.lh plazia 
Que.m fezes cal que be, 
Eu li juraria 
Per leis e per ma fe, 
Que.l bes que.m faria, 
No fos saubutz per me. 
En son plazer sia, 
Qu'eu sui en sa merce . 
Si.lh platz, que m'aucia, 
Qu'eu no m'en clam de re !

VI

Ben es dreihz qu'eu planha, 
S'eu pert per mon orgolh 
La bona companha 
E.l solatz c'aver solh. 
Petit me gazanha 
Lo fols arditz qu'eu colh, 
Car vas me s'estranha 
So qu'eu plus am e volh. 
Orgolhs, Deus vos franha, 
C'ara.n ploron mei olh. 
Dreihz es que.m sofranha 
Totz jois, qu'eu eis lo.m tolh.

VII

Encontra.l damnatge 
E la pena qu'eu trai, 
Ai mo bon uzatge: 
C'ades consir de lai. 
Orgolh e folatge 
E vilania fai 
Qui.n mou mo coratge 
Ni d'autra.m met en plai, 
Car melhor messatge 
En tot lo mon no.n ai, 
E man lo.lh ostatge 
Entro qu'eu torn de sai.

VIII

Domna, mo coratge, 
.l melhor amic qu'eu ai, 
Vos man en ostatge 
Entro qu'eu torn de sai.

Quand je vois les feuilles

I

Quand je vois les feuilles 
tomber au pied des arbres 
et que d'autres en souffrent et sont tristes 
moi j'en éprouve un bon sentiment. 
Ne croyez pas que je veuille voir 
feuilles et fleurs 
c'est qu'elle est orgueilleuse envers moi 
celle que je désire le plus. 
J'ai bien l'intention de m'en détacher 
mais je n'en ai guère le pouvoir 
car j'ai pensé toujours qu'elle va m'accueillir 
aussi je m'en désespère plus encore. 

II

D'étranges nouvelles 
vous pouvez entendre sur moi 
car, lorsque je vois que la belle 
qui avait l'habitude de m'accueillir 
à présent ne m'appelle plus 
ni ne me fait venir auprès d'elle 
mon cœur sous l'aisselle 
de douleur veut me quitter. 
Que Dieu qui mène le monde 
m'en laisse jouir 
car si elle m'est ainsi rebelle 
il n'y a plus qu'à mourir.

III

Je n'ai guère confiance 
aux augures ni à la chance 
car la bonne espérance 
m'a détruit et tué 
car elle me rejette si loin 
la belle que j'aime fort 
quand je recherche son amour 
comme si je lui avais fait quelque grand tort 
et j'en éprouve un tel chagrin 
que je me sens tout à fait désorienté 
mais je ne le laisse pas paraître 
et toujours je continue à chanter et à jouer.

IV

Aux autres je ne puis en dire 
davantage, je fais une très grande folie 
car j'aime et désire 
la plus belle femme du monde. 
J'aurais bien volontiers tué 
celui qui inventa le miroir ! 
Car, lorsque j'y pense 
je n'ai pas d'ennemi pire que lui. 
Et (je sais que) du où elle s'y mire 
et pense à sa valeur 
je ne pourrai plus jamais jouir 
d'elle et de son amour. 

 

V

D'amour charnel 
elle ne m'aime pas, cela ne nous convient pas 
mais s'il lui plaisait 
de me faire un bien quelconque 
je lui jurerais 
au nom d'elle et par ma foi 
que le bien qu'elle me ferait 
ne serait connu que par moi. 
Qu'il en soit selon son bon plaisir 
puisque je suis à sa merci. 
S'il lui plaît, qu'elle me tue 
moi je ne me plaindrai de rien !

VI

Il serait juste que je me plaigne 
si je perds par mon orgueil 
la bonne compagnie 
et le plaisir que j'avais l'habitude d'avoir. 
Je gagne peu 
Pour la folle hardiesse dont je témoigne 
Puisqu'elle s'éloigne de moi 
celle que j'aime et désire le plus. 
Orgueil ! que Dieu te brise 
car mes yeux pleurent à présent. 
Il est juste que vienne à me manquer 
toute joie puisque je m'en prive moi-même.

VII

Contre le dommage 
et la peine que je souffre 
j'ai ma bonne habitude 
de penser toujours à elle où qu'elle se trouve. 
Orgueil et folie 
et vilenie il fait 
celui qui distrait mon cœur 
et occupe mon esprit avec une autre 
car meilleur messager 
il n'existe pas dans le monde que mon cœur 
et je le lui envoie en otage 
jusqu'à ce que je retourne ici.

VIII

Dame, mon cœur 
le meilleur ami que j'ai 
je vous l'envoie en otage 
jusqu'à ce que je retourne ici. 

XXIX : Pel doutz chan que.l rossinhols fai - L'amant est l'homme-lige de sa Dame de coeur - Par le doux chant que fait le rossignol - A33 B29

Pel doutz chan que.l rossinhols fai

I

Pel doutz chan que.l rossinhols fai, 
La noih can me sui adormitz, 
Revelh de joi totz esbaitz, 
D'amor pensius e cossirans! 
C'aisso es mos melher mesters, 
Que tostems ai joi volunters, 
Et ab joi comensa mos chans.

II

Qui sabia lo joi qu'eu ai, 
Que jois fos vezutz ni auzitz, 
Totz autre jois fora petitz 
Vas qu'eu tenc, que.l meus jois es grans. 
Tals se fai conhdes e parlers, 
Que.n cuid' esser rics e sobrers 
De fin' amor, qu'eu n'ai dos tans

III

Can eu remire so cors gai, 
Com es be faihz a totz chauzitz, 
Sa cortezi' e sos bels ditz, 
Ja mos lauzars no m'er avans! 
C'obs m'i auri' us ans enters, 
Si.n voli' esser vertaders, 
Tan es cortez' e ben estans. 

 

IV

Cil que cuidon qu'eu sia sai, 
No sabon ges com l'esperitz 
Es de leis privatz et aizitz, 
Si tot lo cors s'en es lonhans . 
Sapchatz, lo melher messatgers 
C'ai de leis, es mos cossirers, 
Que.m recorda sos bels semblans.

V

Domna, vostre sui e serai, 
Del vostre servizi garnitz. 
Vostr' om sui juratz e plevitz , 
E vostre m'era des abans. 
E vos etz lo meus jois primers, 
E si seretz vos lo derrers, 
Tan com la vida m'er durans.

VI

No sai coras mais vos veirai! 
Mas vau m'en iratz e maritz. 
Per vos me sui del rei partitz, 
E prec vos que no.m sia dans, 
Qu'e.us serai en cort prezenters 
Entre domnas e chavalers, 
Francs e doutz et umilians.

VII

Huguet, mos cortes messatgers 
Chantatz ma chanso volonters 
A la reina dels Normans.

Par le doux chant que fait le rossignol 

I

Par le doux chant que fait le rossignol 
La nuit, lorsque je me suis endormi, 
Je me réveille tout ébahi de joie, 
Songeur et soucieux d’amour ; 
Car c’est là ma suprême vocation. 
À tout moment, j’accueille volontiers la joie, 
Et par la joie commence ma chanson.

II

Si l’on savait la joie que j’ai, 
- à condition que la joie puisse être vue et entendue - 
Toute autre joie paraîtrait infime 
Comparée à la mienne, car ma joie est immense. 
Tel se montre ravi et vantard, 
Parce qu’il se croit riche à outrance 
En parfait amour alors que j’en ai deux fois autant !

III

Lorsque je contemple son corps allègre, 
Si bien fait pour les plus belles choses, 
Sa courtoisie et ses belles paroles, 
Mes louanges ne me sont d’aucun avantage!
Car il me faudrait une année entière, 
Si je voulais en dire toute la vérité. 
Tant elle est courtoise et parfaite. 

 

IV

Ceux qui croient que je suis ici 
Ne savent guère combien mon esprit 
Est auprès d’elle, proche et intime, 
Quand mon corps en est si éloigné. 
Sachez-le : le meilleur messager 
Que j’ai d’elle, c’est ma pensée. 
Qui me rappelle sa belle présence.

V

Dame, vôtre je suis et serai, 
Entièrement à votre service. 
Je suis votre homme par ma parole et ma foi, 
Et je fus vôtre depuis toujours. 
Vous êtes ma première joie, 
Vous serez aussi la dernière, 
Aussi longtemps que durera ma vie.

VI

Je ne sais quand je vous reverrai 
Mais je m’ en vais quoiqu’ irrité et meurtri. 
Pour vous, je suis parti du roi, 
Et je vous prie qu’il ne m’en advienne aucun dommage 
Puisque pour vous je me rendrai à la cour, 
Entre dames et chevaliers, 
Sincère et doux et humble.

VII

Huguet, mon courtois messager, 
Chantez de bon cœur ma chanson 
À la reine des Normands

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